Le réchauffement accroît le risque de pénuries alimentaires
Le Monde | 19.06.2013 à 18h49 • Mis à jour le 19.06.2013 à 19h00 | Par Laurence Caramel
La Banque mondiale a lancé, mercredi 19 juin, une nouvelle mise en garde contre les conséquences néfastes du changement climatique sur les pays en développement situés à l'intérieur de la ceinture tropicale. En pointant les difficultés croissantes auxquelles ils risquent d'être confronté pour nourrir leur population. "Avec une augmentation moyenne de 0,8 °C des températures mondiales depuis l'ère préindustrielle, les impacts du changement climatique sont déjà sérieux et nous montrent comment les activités humaines altèrent l'environnement dont l'humanité dépend pour vivre", rappelle l'institution internationale en s'interrogeant sur l'incidence d'un scénario de réchauffement de 2 °C voire de 4 °C d'ici à la fin du siècle, jugé de moins en moins fantaisiste.
Dans le rapport publié mercredi et réalisé avec les scientifiques du Postdam Institute et du Climate Analytics, elle en décline les retombées possibles pour trois zones particulièrement vulnérables : l'Afrique subsaharienne, l'Asie du Sud et du Sud-Est. "Nous avons toutes les raisons de penser que nous serons en mesure d'éliminer l'extrême pauvreté dans le monde d'ici 2030, mais nous échouerons si nous ne nous attaquons pas au changement climatique", constate son président JimYong Kim en préambule du rapport ; "les résultats de cette étude dépeignent un monde où le climat et ses manifestations extrêmes provoquent dévastation et souffrances".
"LES POPULATIONS DES DELTAS FRAGILISÉES"
En Afrique subsaharienne, où la population devrait doubler d'ici à 2050, l'impact le plus massif est attendu sur la production agricole avec des conséquences très directes sur l'insécurité alimentaire. Sécheresses plus abondantes en Afrique australe, déclin des rendements des grandes cultures comme le blé, le maïs et le sorgho, appauvrissement des zones de pâturages dans la zone sahélienne... "Même avec un réchauffement limité à 2 °C, la proportion de la population souffrant de malnutrition pourrait augmenter de 25 % à 90 % selon les pays", avancent les scientifiques.
Des risques de même nature existent en Asie du Sud-Est où l'intensité des cyclones, les pics de températures en été et l'élévation du niveau de la mer dessinent les principales menaces pesant sur les régions côtières fortement urbanisées. Tous ces phénomènes vont en particulier "fragiliser les populations des deltas où citadins comme ruraux devront composer avec les inondations, la salinité accrue de l'eau et l'érosion côtière". Les trois deltas du Mékong, d'Irrawaddy et de Chao Phraya, dont une large partie des terres se situe 2 mètres en dessous du niveau de la mer, sont particulièrement exposés, précise le rapport en pointant les lourdes conséquences sur l'agriculture, l'aquaculture et le secteur de la pêche. Ici aussi, alors que 40 % des protéïnes animales consommées proviennent de la mer, le changement climatique est une contrainte supplémentaire forte pour la sécurité alimentaire.
En Asie du Sud, la perturbation du cycle des moussons, aura aussi un impact sur la sécurité alimentaire. Plus de pluies, à d'autres périodes de l'année, plus de périodes sèches dans des zones qui jusqu'alors n'en connaissaient pas. Le rapport dessine une nouvelle géographie climatique de la région qui implique à moyenne échéance de fortes capacités d'adaptation. "Avec une hausse des températures de 2 °C, la région devra importer deux fois plus de céréales d'ici à 2050 pour satisfaire les besoins en calorie par personne."
DISPOSER DE DONNÉES À DES ÉCHELLES LOCALES PLUS FINES
"Lorsque nous avons élaboré les Objectifs du millénaire pour le développement dans les années 1990, le changement climatique restait, pour la plupart d'entre nous, une menace très lointaine, reconnaît Rachel Kyte, vice-présidente de la Banque mondiale pour le développement durable. Ce qui se passe depuis cinq ans, nous montre que le changement climatique a d'ores et déjà des conséquences importantes et qu'elles vont s'amplifier."
La Banque mondiale compte poursuivre son travail avec le Postdam Institute afin de disposer de données à des échelles locales plus fines. Ces données sont indispensables pour "calibrer" les politiques de développement qu'elle finance, notamment dans le domaine agricole. "Les politiques macroéconomiques ne peuvent plus être pensées sans tenir compte du changement climatique", affirme-t-elle en assumant que la Banque mondiale continue de financer des centrales thermiques fonctionnant aux énergies fossiles dans les pays en développement.
"1,2 milliard de personnes n'ont pas accès à l'énergie dans les pays pauvres. Nous nous sommes fixés comme objectif de combler ce retard d'ici à 2030. Nous le ferons en soutenant massivement les énergies renouvelables mais nous aurons aussi besoin des énergies fossiles. Nous n'allons pas pénaliser les plus pauvres parce que les pays riches ne font pas les efforts qu'ils devraient pour réduire leurs émissions de CO2."