La médecine des temps obscurs du XIV au XVIII siècle
Au Moyen-Âge, la mort était quotidiennement présente, et rarement naturelle. Les épidémies, les guerres, l’insalubrité, la malnutrition, la violence et les accidents de toutes sortes symbolisaient cruellement la précarité de la condition terrestre des hommes. Si les plus pauvres d’entre eux étaient les premiers touchés, les Grands du royaume de France, rois compris, n’étaient pas à l’abri de l’activité saignante et purgeante des médecins et chirurgiens de leur temps...
Notre-Dame de la Délivrance fut, des siècles durant, la meilleure des sages-femmes. Hors de toute prescription médicale, Saint-Cloud se faisait fort de guérir les furoncles de ceux qui le priaient. Et à la suite de son glorieux règne, Saint-Louis protégeait ses ouailles de méchantes déficiences de l’ouïe ! Autant d’exemples significatifs d’une médecine aux confins de la croyance religieuse et de la magie.
Le corps vivant de l’univers
Les hôpitaux comme la “maison-Dieu”, construite grâce à la générosité de Saint-Louis, étaient alors placés sous la responsabilité des religieuses. Les femmes ont d’ailleurs longtemps été les piliers d’une médecine spontanée, populaire. Le traitement des plaies leur était ainsi réservé, en raison d’une éducation familiale qui les initiait à la préparation de baumes et d’onguents.
Par ailleurs, dès le XIVème siècle, une rivalité se développa entre la chirurgie, branche inférieure de l’art, réduite à une simple corporation de métiers malgré son rôle accru sur les champs de batailles et dans les hôpitaux, et les médecins, nobles représentants du savoir et lointains disciples des maîtres antiques Galien et Hippocrate. Aux chirurgiens les mains sales et le sang, et aux médecins les chaires de l’Université catholique et les théories. Car ces derniers, rivés aux observations des maîtres antiques, perpétuèrent pendant plusieurs siècles une vision de la médecine soumise au contrôle de l’Eglise... et fidèle à ses dogmes. L’univers était alors conçu comme un corps vivant dont tous les membres (l’homme, mais aussi la terre, la nature, les astres, ...) étaient solidaires, dépendants et agissaient les uns sur les autres. C’est ainsi que Saturne facilitait le fonctionnement du foie humain.
Le savoir officiel
Les écoles de médecine, dont les premiers exemples datent du XIIIème siècle respectaient un enseignement officiel dont l’essentiel des connaissances reposait sur la doctrine des quatre éléments. Pas de bonne santé sans une harmonie parfaite entre les quatre humeurs cardinales - le sang, le phlegme, la cholère et la mélancholie - auxquelles s’ajoutait le fluide vital (ou spiritus). Les programmes en vigueur pendant tout le Moyen-Age symbolisaient à eux seuls l’étrange alchimie entre connaissances rationnelles, sur la base de la classification d’Aristote et croyances irrationnelles. Un programme qui mélangeait plaisamment la grammaire et l’arithmétique à l’astronomie et la musique.
Pour être admis au dernier grade du doctorat et recevoir la bénédiction de la Faculté, mieux valait s’en tenir à des connaissances classiques, sans empiéter sur les expérimentations modernes auxquelles s’essayaient alors de nombreux praticiens. Ce que n’avait pas encore su prévoir un certain Michel de Nostradamus, qui, en 1532, lors de sa soutenance de thèse, se mit les professeurs à dos en évoquant de nouveaux traitements pharmacologiques expérimentés par ses soins auprès des pestiférés.
Ils sont beaux mes remèdes.
Le Moyen-Age vit également le règne des herboristes et des marchands venus d’orient, mystérieux et influents créateurs de remèdes miracles, tisanes, onguents, et pommades aux effets magiques. Plus que du dosage de leurs mélanges, ces bonimenteurs ambulants se préoccupaient d’abord de la vente de leurs produits sur la place publique. Précurseurs de la publicité, ils séduisaient les badauds en alternant discours enjôleurs, formules cabalistiques, fumeuses citations latines et magistrales mimiques.
Les moines, grâce aux jardins botaniques et aux herbiers qu’abritaient les grands monastères depuis l’époque carolingienne, tentaient de faire contre poids à ces charlatans. Mais les religieux eux-mêmes n’étaient pas à l’abri de dérapages, consistant à proposer aux manants crédules contre espèces sonnantes et trébuchantes des tisanes additionnées d’huile bénite ou des plantes séchées sur l’autel.
Les grandes villes comme Paris virent apparaître des boutiques d’espiciers ou d’apothécaires (du grec apotheke signifiant “réserve” ou “cave à vin”), dont les devantures s’ornaient de pains de sucre, aliment encore inconnu à la fin du Moyen-Age. Ces marchands de remèdes pouvaient ainsi, pignons sur rue, vendre quelques unes des trois mille formules contenues dans l’Antidotaire de Nicolas sans pour autant s’astreindre à des études spécialisées. Cependant, certains abus poussèrent la Royauté a édicté des mesures de contrainte. Ainsi, Jean le Bon soumit-il la vente de ces remèdes à l’obligation pour les « espiciers-apothicaires » de savoir lire les recettes. Et ceux qui achetaient une drogue toxique à des fins criminelles étaient condamnés à mort... comme le rappelait la corde suspendue au plafond de nombreuses boutiques.
Fientes de paon, vipères séchées.
Les apothicaires, bien que devenus une profession distincte de la vulgaire “épicerie” en 1514, eurent bien du mal à échapper à leur réputation : remèdes peu efficaces, et “comptes d’apothicaires” peu fiables. Mais sous l’égide de leur enseigne en forme de licorne, citron, chapeau ou vase, les boutiques Au moutardier, A l’Ours qui boit, au Singe qui file continuèrent longtemps à vendre leurs panacées. Les remèdes leaders jusqu’au XVIème siècle furent incontestablement la thériaque et l’orviétain ; la première, un excellent contre-poison composé notamment de réglisse, de myrrhe, d’encens, de pilules de vipères et de rognons de castors avait pour seul inconvénient d’être mortel pour les patients qui n’étaient pas réellement empoisonnés. Quant au second, à base de vipères séchées avec leur cœur et leur foie, il guérissait miraculeusement la gale, la teigne, la peste, la goutte et la vérole.
La pharmacopée du docteur Charas, datée de 1697, faisait encore la part belle à la vipère. Elle contenait la recette suivante, efficace selon le bon docteur contre les ulcères du poumon, la vérole et la lèpre : “Choisissez des vipères longues, pesantes, à l’oeil vif, au museau retroussé, qui se soient nourries de rameaux de fenouil vert, coupez les têtes et les queues, enlevez les entrailles et la peau, faites bouillir avec du sel et de l’aneth. Puis pressez légèrement la chair cuite, mélangez la avec du pain sec pulvérisé pour en faire de petits trochisques que l’on fait sécher. Mettre le tout dans des vases d’étain, de verre ou d’or...”.
Le docteur Charas était très versé dans les sécrétions animalières, puisqu’il préconisait également la fiente de paon contre l’épilepsie, le germe de grenouille contre les vomissements ou le sel de cloportes et de vers contre la goutte....
Huiles de chiens nouveaux nés et extraits d’urine.
Quelques décennies plus tard, en plein Siècle des Lumières, et après la découverte de la quinquina et de l’ipéca, l’un des plus illustres de ceux que l’on avait désormais coutume d’appeler des “pharmaciens”, Nicolas Lémery, défendait les vertus de l’huile de petits chiens nouveaux-nés et de vers de terre bouillis contre la sciatique, et de l’eau de fiente de vache et de limaçons écrasés contre les rhumatismes... !
Il n’était jusqu’à Mme de Sévigné qui se faisait un devoir d’ingurgiter chaque soir quelques gouttes d’essences d’urine humaine aux vertus curatives très en vogue à la Cour.
Les études de pharmacie proches de leur forme actuelle furent créées sous le Consulat. Ce qui n’empêcha pas les baumes extraordinaires, bains de plante infaillibles, ondes apaisantes et autres “remèdes de bonne femme” de se perpétuer jusqu’à nos jours...
Cependant, au delà de ces nombreux vestiges de l’obscurantisme, la Renaissance n’en marqua pas moins une étape importante dans l’évolution de la médecine.
En effet, l’humanisme ambiant permit des changements décisifs dans deux directions complémentaires : la redécouverte de maîtres anciens, notamment par l’intermédiaire des médecins arabes et juifs chassés d’Espagne, et la recherche d’un savoir plus expérimental de laquelle naîtront les premières dissections de cadavres humains. Le développement de cette pratique fut à l’origine de l’évolution vers un savoir plus empirique, fondé sur la chimie et sur la création de remèdes efficaces comme les sirops et les purgatifs. Une évolution qui, en outre, bénéficia du développement de l’imprimerie qui facilita la transmission du savoir auprès des étudiants.
L’anatomie, jusque-là délaissée par les docteurs, devint à partir de la Renaissance, sous l’influence des italiens, un élément essentiel de la nouvelle médecine. Frédéric II, empereur d’Allemagne et roi des Deux-Siciles, avait dès 1238 rendu obligatoire une année de dissection sur cadavres humains pour exercer la médecine. Mais le traité d’anatomie de Mundini de Luzi, rédigé à la fin du XIIIème siècle et étudié jusqu’au milieu du XVIème, ne suffisait pas à contourner les interdits de l’Eglise et à officialiser une matière “honteuse”, pratiquée sous le manteau. L’expérimentation animale apporta d’importants éléments de recherches, à une époque où, par exemple, on ne connaissait pas le rôle de transformation chimique de l’estomac.
Au XVIème siècle encore, les leçons d’anatomie au cours desquelles se déroulaient des dissections n’allaient pas sans surprise. En effet, le grand maître Galien, dont les ouvrages faisaient toujours référence, s’était contenté de pratiquer des dissections sur les animaux. Aussi, à la suite de l’ouverture tracée au scalpel par un chirurgien barbier, les professeurs, face aux regards inquisiteurs de leurs élèves se voyaient parfois confrontés à d’insolubles contradictions entre les descriptions de singes et les “anomalies” organiques placées sous leurs yeux. On en conclut longtemps à une dégénérescence de la race humaine depuis l’Antiquité.
Que vous soyez petit ou grand
Les ombres du Moyen-Age mirent longtemps à se dissiper, y compris dans les arcanes du pouvoir où se pressaient les Grands de la Médecine.
Le 20 avril 1643, Louis XIII, mourant, fit appeler à son chevet le doyen de la Faculté de médecine de Paris, Michel Delavigne. Confiant dans le savoir du grand homme, le roi lui demanda :
- Le moment fatal est-il proche ?
- Sire, je crois que ce sera bientôt que Dieu délivrera Votre Majesté... d’ailleurs, je ne trouve plus le pouls !
24 jours d’agonie et quarante-sept saignées plus tard, la prédiction du disciple d’Hippocrate se vérifia. L’autopsie du Roi Très Chrétien, consignée dans le “fatal procès verbal d’ouverture” délivré par Delavigne révèle “... de nombreux ulcères purulents, sanieux, tabescens... au fond de l’estomac, une grappe d’abcès bruns, fuligineux, verdâtres et noirâtres... le foi desséché et ratatiné... dans le lobe du poumon gauche, une caverne grande et profonde, plein de pus...”. Paix à son âme.
Un de ses confrères, Pierre Dionis, qui eut l’honneur d’autopsier le ministre Louvois, et dont la devise médicale était :”Saigner plus fréquemment possible, saigner puissamment et copieusement”, s’était spécialisé dans les réductions d’hernies. Au prix de quelques parties viriles ? Qu’importe ! précisait-il. Pour un homme d’église c’était même, selon lui un avantage puisque ainsi il ne risquait plus de contrevenir au voeu de chasteté.... Ce même Pierre Dionis se montrait extrêmement sensible aux influences de la lune, dont les phases de déclins étaient paraît-il néfastes aux opérations de la cataracte.
Au XVIIème siècle, la médecine était encore à l’aube d’une étude complète de la physiologie du corps humain. Les nouveautés thérapeutiques n’apportaient pas de solutions décisives contre les épidémies et les fièvres. Et ce n’est qu’après une interminable querelle d’école que la théorie de la circulation du sang de Harvey fut officialisée , avec la création d’une chaire d’enseignement de la circulation du sang par Louis XIV en 1672. Ce siècle n’en marqua pas moins un tournant dans l’histoire de l’expérimentation de méthodes thérapeutiques efficaces pour une homme mieux soigné, et plus apte à se défendre contre la mort.
La chasse aux cadavres
Félix Platter, prêt, comme tous ses camarades étudiants du XVIème siècle, à tout pour “obtenir des sujets” raconte dans ses mémoires l’une de ses expéditions : “Bien armés, observant le plus profond silence, nous nous rendons au cimetière du couvent Saint-Denis (...) Nous déterrons le mort en nous aidant des mains seulement car la terre n’avait pas eu le temps de s’affermir. Une fois le cadavre à découvert, nous lui passons une corde et tirant de toutes nos forces nous l’amenons en haut ; après l’avoir enveloppé de nos manteaux, nous le portons sur deux bâtons à l’entrée de la ville. Il pouvait être trois heures du matin. Nous déposons notre fardeau dans un coin et frappons au guichet. Un vieux portier se présente en chemise et ouvre ; nous le prions de nous donner à boire prétextant que nous mourrons de soif. Pendant qu’il va chercher du vin, trois d’entre nous introduisent le cadavre.... Quant aux moines de Saint-Denis, ils se virent obligés de garder le cimetière et, de leur cloître, ils décochaient des traits d’arbalète sur les étudiants qui s’y présentaient...”
Ambroise Paré : quatre cadavres pour un roi.
30 juin 1559 ; le tournoi en champ clos auquel Henri II participe malgré les supplications de la reine Catherine de Médicis alarmée par plusieurs prophéties, tourne au drame. La lance du jeune comte Gabriel de Montgomery, après s’être violemment brisée contre le casque du roi, lui a crevé l’oeil droit et défoncé le crâne.
Avant de le décramponner de son cheval, les gardes accourus entendent Henri II murmurer : Je suis mort.
Mais Ambroise Paré, chirurgien ordinaire du roi, ne l’entend pas de cette oreille. L’inspection du trou béant creusé dans la tempe royale par l’extrémité de la lance lui laisse quelques espoirs. Mais, le plus célèbre chirurgien du siècle, celui qui, sur les champs de bataille, au cours d’innombrables amputations, a le premier remplacé la cautérisation par la ligature des artères n’ose ausculter, trifouiller le crâne du roi encore vivant comme il le ferait pour le premier manant venu. Et encore moins se lancer en aveugle dans une audacieuse trépanation. Pour mener à bien les expériences empiriques à l’origine de son immense renommée, et avant d’envisager l’opération, il ordonne l’exécution de quatre condamnés à mort. Sur le champ !
Grâce à cette mesure drastique, il entame ainsi la plus extraordinaire autopsie de l’histoire, par cadavres interposés.
Opération impossible
A l’aide d’un bâton pointu du même calibre que la lance du pauvre Montgomery, il s’acharne à reproduire une blessure identique à celle du roi sur les “défunts” mis à sa disposition. Sans succès sur les trois premiers cadavres dont les crânes sont sèchement défoncés, les yeux enfoncés, les tempes transpercées par Paré sans parvenir à une exacte similitude. La quatrième tentative est la bonne et, sous les applaudissements de ses élèves, le chirurgien s’affaire aussitôt sur l’orbite qu’il vient d’évider, en tire quelques bris d’os et lambeaux de chair qu’il étudie magistralement. Le verdict tombe : il y a bien peu d’espoir.
Une paire de tenailles, un maillet, une scie : les instruments nécessaires à la trépanation sont pourtant prêts. Mais le diagnostic établit par Ambroise Paré, après une ultime auscultation de la blessure du roi, interdit toute tentative d’opération. “Une altération en la substance du cerveau qui est de couleur fauve ou jaunâtre, environ la grandeur d’un pouce, auquel lieu est un commencement de putréfaction”. Le roi mourra officiellement dix jours plus tard, le 10 juillet, à 41 ans. Le savoir du plus grand chirurgien du siècle n’a rien pu y faire. L’un des astrologues préférés de la reine, Lucas Gauric, ne l’avait-il pas prédit en 1542, en conseillant au roi d”éviter tout combat singulier en champ clos, notamment aux environs de la quarante et unième année, parce qu’à cette époque de sa vie le roi était menacé d’une blessure à la tête qui pourrait entraîner rapidement la cécité ou la mort”.
Le destin, malgré les efforts d’Ambroise Paré, s’était contenté de choisir la mort.
Franck Cadet
Dates Importantes
1346 : Grande Epidémie de peste sur toute l’Europe
1490 : La syphilis apparaît en Europe
1545 : Premiers travaux d’Ambroise Paré
1561 : Observations anatomiques de Fallope
1628 : Publication de la Description de la circulation du sang de Harvey
1640 : l’emploi du quinquina se généralise en Europe
1667 : Denis réalise la première transfusion de sang d’agneau
1683 : Leewenhoek découvre les bactéries.
1720 : Lady Montague importe la variolisation en Europe.
1777 : Travaux de Lavoisier sur la respiration
1781 : Traité d’accouchement de Baudelocque
1796 : Première vaccination contre la variole, effectuée par Jenner