Patriote, oui,
mais sous toute réserve et
sous conditions
Par Gil Jouanard
On ne saurait à bon droit se réclamer de la pensée libre, voire libertaire, de ces écrivains français qui, aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles offrirent à notre « culture nationale » ses lettres de noblesse les plus universelles, si l’on ne se déclarait pas irréductiblement ennemi de ces troupes qui, au nom du roi, de l’empereur ou de la République, assassinèrent les Cathares et ceux qui les hébergeaient, commirent des exactions durant les « guerres d’Italie » de la Renaissance, incendièrent le Palatinat au nom de Louis XIV, massacrèrent les Huguenots cévenols à la même époque, réprimèrent dans le sang l’insurrection des Madrilènes sous Napoléon, commirent des monstruosités en Algérie et ailleurs au nom du « maintien de l’ordre ». Et comment ne pas haïr et mépriser à la fois ces policiers et ces gendarmes également français qui, durant l’Occupation, raflèrent à Paris et ailleurs des dizaines de milliers de Juifs pour les livrer à l’occupant ? Et ceux qui tirèrent si souvent sur la foule ?
Penser le contraire équivaudrait à disculper ceux des Allemands qui approuvèrent les monstruosités faramineuses que leur armée, leur police et leurs politiciens commirent au XXe siècle, ce que personne n’oserait aujourd’hui assumer en Allemagne même.
S’il fallait donc que les Allemands se désolidarisent de leur Etat, de leur gouvernement, de leurs responsables civils et militaires, entre la fin des années 1930 et le milieu des années 1940, pourquoi devrions-nous, en ce qui nous concerne, nous solidariser au nom du patriotisme avec nos propres Etat, gouvernement, responsables civils et militaires, lorsque ceux-ci faillirent de façon grave, en des circonstances dont tout Français digne de la Nation qui produisit la « Déclaration des droits de l’homme » se doit moralement et intellectuellement d’être honteux et révolté ?
Et dès lors, comment tel représentant de telle « communauté », qu’elle soit de nature confessionnelle, « culturelle » ou sociopolitique, pourrait-il prétexter un devoir de solidarité aveugle envers les représentants du pouvoir au sein de sa nation réelle ou… virtuelle ?
J’espère qu’il ne se trouve pas d’Espagnols (sinon en nombre largement minoritaire) enclins à approuver les massacres directs et indirects d’Améridiens lors de la Conquête de l’Amérique aztèque et inca ; ou d’Américains solidaires du massacre d’autres Indiens dans les plaines des Etats-Unis (ou encore d’enfants Vietnamiens lors des mitraillages et des incendies au napalm de rizières et de villages); ou de Turcs considérant que la prise de Byzance par les Ottomans était « légitime » ; ou même…de Suisses pour être fiers d’avoir constitué le gros des troupes des deux camps à Marignan puis à Pavie, où ils étaient mercenaires au point de se trouver face-à-face, copains de villages voire cousins et pourquoi pas frères ? J’ose espérer que les Italiens ne sont pas délirants de joie à l’idée que leurs ancêtres romains soumirent l’Europe, le Moyen et le Proche-Orient et l’Afrique du Nord, non pas en missionnaires mais en phalanges aussi impitoyables que l’avaient été plus anciennement celles des Perses, celles des Assyriens, celles des Hittites, ainsi de suite.. .
Et je voudrais croire (mai hélas je peine à supposer) que les Arabo-Berbères ont honte d’avoir été esclavagistes en Afrique et ailleurs, partout où ils le purent, tantôt fauteurs de razzias, tantôt conquérants peu amènes et impérialistes insatiables. Et que les Israéliens n’ignorent pas que le royaume antique d’Israël fut fondé au prix d’annexions et conversions diverses. Ce qui place cet âge semi mythique, mais aussi très réellement historique, dans un cas de figure en tout point semblable à celui de tous les autres Etats du monde et non comme une superproduction divine !
La France, outre les horreurs qui furent commises en son nom, est le produit d’annexions successives, rarement effectuées de façon consensuelle et strictement pacifique (à l’exception du Comté de Nice, des Etats « vauclusiens » du Pape et de la Savoie, qui se « donnèrent » à la République si prometteuse de justice, d’équité et même…de fraternité !)
Alors, de grâce, que se tempèrent les réflexes patriotards et que se réfrènent les pulsions de xénophobie ! Mieux vaut se dire que l’on est soi, individu autonome, et à ce titre libre d’approuver ou de désapprouver ceux qui nous dirigent et qui décident pour nous en fonction de légitimités dictatoriales, absolutistes ou même, cas de figure le plus douteux du fait de son hypocrisie,…pseudo démocratique.
Si l’on pense par soi-même, jamais on n’obtempèrera aux consignes et slogans simplistes dont les effets sont toujours détestables et souvent meurtriers.