Rudolph Valentino aimait aussi les garçons
Franck Cadet
Sur son journal intime daté du 5 mars 1924, on peut lire :
“Un très beau garçon m’a suivi pendant un quart d’heure et finalement, il m’a abordé devant l’Opéra...
Je suis entré chez lui et déjà dans l’escalier il m’a embrassé avec frénésie... J’étais comme déchaîné... Nous avons fait l’amour comme deux tigres jusqu’à l’aube...”
Le Casanova du cinéma muet : Je n’étais qu’un paysan égaré... C’était une erreur !
Rudolph Valentino a pu péniblement articuler ces mots. Pour qui les a-t-il dits? Pour Jean Acker, sa première femme qui est là, à son chevet on ne sait trop pourquoi alors qu’elle l’a quitté la première nuit de leurs noces pour son impresario et ami Georges Ullman ? Pour ce père Congedo qui est arrivé de Castellaneta, le village natal de l’acteur, et lui a déjà donné l’extrême-onction? On ne sait. Ce dont on est sûr, c’est que ces mots furent les derniers de Rudy, le beau Rudy, la vedette numéro 1 de l’Amérique.
Nous sommes de 23 août 1926. Il est midi.
Et maintenant, il va falloir le leur annoncer. Le directeur du Polyclinic Hospital de New York risque un regard par la fenêtre. Combien sont-ils, en bas, qui attendent depuis des heures, bloquant la circulation dans un Broadway où les magasins sont fermés, désertés les bureaux ? Plus de dix mille sans doute. Certains ont même passé la nuit. De demi-heure en demi-heure, on a publié des bulletins de santé de plus en plus mauvais, car l’état de Valentino n’a cessé d’empirer. On a cru, un moment, à un miracle : un nouvel antiseptique était envoyé de Detroit par avion. Malheureusement l’avion, pour cause de brouillard, a dû faire un atterrissage forcé et le porteur du remède en a été réduit à prendre le train. Une course contre la montre a alors commencé.
En plus de l’ulcère à l’estomac dont souffrait la vedette depuis très longtemps et d’une pleurésie au poumon gauche qui avait nécessité son hospitalisation l’avant-veille, la péritonite s’est déclarée. De nombreuses transfusions furent inefficaces. Tout était consommé maintenant, il restait à faire face à la foule...
Une infirmière paraît sur le balcon. Elle prononce le nom de l’idole puis sa gorge se noue, l’émotion est trop forte, elle s’évanouit. Le directeur s’avance alors:
Rudolph Valentino n’est plus.
Tout d’abord, il y a un profond silence. Personne ne veut croire à la nouvelle, à cette catastrophe nationale, puis une sourde rumeur monte, s’amplifie. Certains, contre toute raison, veulent encore espérer. Bientôt, un vent de panique souffle sur New York. Durant deux jours, l’hystérie collective va faire des blessés par centaines. Il y aura même des morts...
Les gens se piétinent pour entrevoir une dernière fois, sous son couvercle de verre, le visage de ce dieu du cinéma. Ne l’appelait-on pas “l’amant du monde”?
Rudolph est inhumé à Hollywood dans un cimetière appartenant à la firme Paramount. Il ne part pas seul : une montagne de fleurs arrivée des quatre coins du monde va se faner sur sa tombe.
“Je n’étais qu’un paysan égaré...” a-t-il murmuré dans son agonie. Et c’était bien vrai!
La jeunesse d’Alphonzo Guglielmi di Valentino
Tel est bien le nom, en effet, de ce fils de vétérinaire italien et d’une brave paysanne française, né le 6 mai 1895 à Castellanetta, petit village d’Italie du sud. Le jeune garçon a le caractère vif, emporté. Les travaux des champs le rebutent. Rien ne s’arrange avec l’âge. Il a 17 ans quand son père meurt ; il se révolte alors contre l’autoritarisme de sa mère, une maîtresse femme qui a la gifle et le coup de bâton faciles. Il se retrouve en prison à Tarente. Rien de trop grave cependant : vagabondage et menus larcins. On a dit (et c’est fort possible) que l’un de ses co-détenus l’initia alors à l’homosexualité. Rendu très vite à la liberté, il réclame sa part d’héritage, l’obtient et va la dilapider à Paris et à Monte-Carlo. Sans plus un sou mais avec beaucoup de dettes, il n’a plus qu’une hâte, quitter la vieille Europe et s’embarquer pour le Nouveau Monde. New York le fascine. Tant d’Italiens y ont réussi, pourquoi pas lui ? La mamma lui fournit l’argent nécessaire. Il prend un billet de troisième classe sur le Cleveland. Il a en poche la valeur d’un dollar et ne parle pas un mot d’anglais, mais il n’importe ! L’avenir sourit aux audacieux. Nous sommes en 1913, il a donc 18 ans et toutes ses illusions...
Très vite, sa patrie d’adoption le déçoit. L’Amérique, ça n’est pas toujours l’Amérique et pour vivre tout d’abord comme partout ailleurs, il faut travailler. Des emplois, on en trouve et surtout de peu reluisants. Il est tour à tour coursier, commis d’épicerie, plongeur dans une trattoria, barman, vendeur à la sauvette, laveur de voitures... Mille métiers, mille misères. Il lui arrive de coucher sur un banc public quand il n’a plus de quoi payer l’hôtel.
Un emploi plus lucratif, jardinier chez un milliardaire, lui permet de s’installer dans le centre de Manhattan, là où sont les bars chics et les cabarets à la mode. Comme il danse le tango à merveille, il va devenir danseur mondain (à l’époque, on dit “gigolo”). A tout prendre, c’est moins fatigant que de tailler les rosiers et ça rapporte davantage car, de belle prestance, il s’arrange, en plus de son salaire, pour percevoir cadeaux et pourboires de ses riches partenaires. Leur accorde-t-il plus qu’une simple danse et cela, pas à titre gracieux? La question reste sans réponse. Les biographes de Valentino passent volontiers sous silence le fait qu’il fait de la prison (une et peut-être deux fois). Les chefs d’accusation sont “le chantage et la traite des blanches”, dit Stéphane Bourgoin dans un article qu’il a consacré au grand séducteur. Ce journaliste nous signale encore que, mystérieusement, quand il sera devenu vedette, quelques années plus tard, son dossier par trop compromettant disparaîtra mystérieusement des archives de la police. Mais après ce pas en avant, revenons en arrière comme on le fait dans le tango. Retrouvons Rodolpho au “Maxim’s”, l’établissement chic où il “travaille”. Il se fait maintenant appeler Rodolpho di Valentina, se prétend marquis et s’invente un passé plein de duels, de passions violentes et d’intrigues rocambolesques. Pour un peu, il y croirait!...
Le temps du tango
Il est bien vite révolu, ce temps-là, du moins celui des gigolos. La police a fait fermer plusieurs boîtes: les “petits messieurs” qui y sévissaient avaient la fâcheuse habitude de soustraire trop d’argent à leurs dupes faciles. Notre faux marquis le comprend bien vite, mais abandonner le tango, c’est dur... Pourquoi ne pas voir la chose sous un autre angle? Avec une partenaire, il monte un numéro et, du même coup, franchit un échelon dans le social: sa danse n’est plus vénale, elle devient artistique. Oui, un artiste, voilà ce qu’il est maintenant! Pour faire tout à fait peau neuve, il change une fois de plus d’identité et de marquis di Valentina devient comte Guglielmi.
Sa rencontre avec le comédien Bryan Foy en 1917 est déterminante pour sa carrière. Les deux hommes se plaisent - même beaucoup, disent les mauvaises langues - et Rodolpho quitte New York pour Los Angeles. Brynie se charge de lui faire faire une carrière dans cet art nouveau qu’est le cinématographe. Pratiquement, il l’entretient de longs mois car la chance se fait attendre. Le bel Italien tourne de petits rôles qui lui rapportent peu. Il reprend son numéro de tango dans un cabaret. C’est alors qu’il fait la connaissance de Jean Acker, vedette de la Metro, et après quelques jours d’une cour assidue, il l’épouse. On ne sait trop pourquoi, avant même que le mariage ne soit consommé, celle-ci s’enfuit et ne le reverra qu’à la veille de sa mort. Qu’a-t-elle appris sur son compte pour lui interdire l’entrée de la chambre nuptiale? Un mystère de plus... Mortifié, Rodolpho pense regagner New York quand, enfin, le destin lui fait signe : June Mathis, une scénariste, le propose à la Metro pour le rôle principal des “Quatre cavaliers de l’Apocalypse”, film que va mettre en scène Rex Ingram. Les producteurs ne sont pas très chauds. Pourtant, dès les premières scènes (et notamment celle du tango... le tango, encore!), tout ce petit monde des studios est en révolution. Aurait-on découvert une authentique vedette? On remanie le scénario pour donner plus d’importance au rôle de Rodolpho. Quand le film sort, c’est un triomphe. L’Amérique découvre celui qu’elle attendait, une espèce de Casanova qui va la subjuguer, la faire rêver, délirer même...
C’est Natacha Rambova qu’il avait comme partenaire dans ce premier triomphe. Elle est une vedette très en vogue et fille adoptive d’un milliardaire. Il l’épouse. L’enfer, alors, va commencer.
Qui a peur de Natacha Rambova?
Rudolph Valentino, sans doute. C’est le dernier nom d’emprunt d’Alfonzo Guglielmi et celui que retiendra la postérité. Natacha vivait à l’ombre de la grande comédienne Alla Nazimova, une lesbienne notoire. Elle mise maintenant sur son mari et entend diriger sa carrière, se mêlant de tout, intervenant à tous les niveaux, autant auprès des scénaristes que des producteurs. On ne voit qu’elle, on n’entend qu’elle sur les plateaux où il tourne et chacun en a bientôt sa claque! Rudolph, lui, ne dit rien. Il se conforme aux désirs de son épouse, refuse les films qu’on lui propose s’ils ne sont pas du goût de Natacha, change de firme... Un point sur lequel elle va se tromper pourtant. On propose à Valentino de tourner “Le Cheik”, le personnage principal d’un roman osé qui longtemps a été censuré. Elle, trouvant l’œuvre médiocre, lui conseille de renoncer à ce projet. Lui croit que cela peut marcher et, pour la première fois, passe outre. On sait la gloire que ce film lui a rapportée.
Sans “Le Cheik”, il n’aurait pas été ce qu’il est encore pour des dizaines de milliers de “fans”. C’est “Le Cheik” qui a fait de lui ce monstre sacré du muet qui, figé dans les glaces du silence, ne vieillira pas, gardera à tout jamais le visage de l’éternelle jeunesse que souhaitait Dorian Gray.
Le couple connaît dès lors des hauts et des bas. On se quitte, on se reprend, mais le cœur n’y est plus. Natacha écrit pour son mari un scénario: “The hooded falcon” qui restera lettre morte mais pour les besoins duquel ils vont en Europe.
- A Londres, Rudolph est agressé par un groupe d’homosexuels qui lui arrache boutons de manchettes, cravate, pans de chemise...
- A Paris, il parvient certains jours à passer incognito. A d’autres, il est reconnu mais il ne semble pas s’en plaindre, puisque cela lui procure de piquantes aventures.
- * Sur son journal intime daté du 5 mars 1924, on peut lire :
“Un très beau garçon m’a suivi pendant un quart d’heure et finalement, il m’a abordé devant l’Opéra... Je suis entré chez lui et déjà dans l’escalier il m’a embrassé avec frénésie... J’étais comme déchaîné... Nous avons fait l’amour comme deux tigres jusqu’à l’aube...”
(Cette nouvelle va désoler plus d’une ancienne fan… mais que voulez vous la publication d’extraits du journal intime et personnel de la star, va mettre un terme au mythe du latino Lover.)
Au retour en Amérique, rien ne va plus entre les époux. Natacha demande le divorce. Elle ne mettra jamais les pieds dans la nouvelle et somptueuse demeure de Beverley Hills. Rudolph s’y enferme des semaines entières sous la seule garde d’un domestique allemand (à moins qu’il n’y soit séquestré). Certains soirs, le voisinage entend des cris déments. On a tout écrit là-dessus:
- Valentino, depuis des années, souffre d’un ulcère et par moments, la douleur est intolérable, ce qui expliquerait les cris.
- Autre version: il se ferait fouetter, puis sodomiser par son garde du corps ou bien encore, celui-ci lui refuserait ses bons offices... A la vérité, le petit paysan italien est seul, terriblement seul. Il erre dans cette grande maison, contemple ses objets d’art, ses 250 costumes, ses 2 000 cravates et s’ennuie à mourir. Il tourne quelques films encore, gagne beaucoup d’argent, en dépense encore plus. Il est criblé de dettes quand, son mal empirant, il entre à l’hôpital le 21 août 1926. Que s’est-il passé? L’ulcère s’est-il transformé en cancer?
- Le point de pleurésie qu’on décèle au poumon droit n’arrange pas les choses mais c’est en fait une péritonite qui, agissant sur un organisme affaibli, provoquera la mort de la vedette.
Pola Negri, sa dernière fiancée, accourt. Elle arrivera trop tard. Son chagrin fait peine à voir, pourtant les mégères de New York lui lancent des mottes de terres, des ordures au visage. Il faut bien se venger: Valentino l’a tenue dans ses bras, elle et pas elles! Des femmes se suicident, des hommes aussi, peut-être...
Retenez-bien ce chiffre: dix millions d’admiratrices prirent le deuil. C’est à peine pensable! Depuis toutes ces années, rien n’est oublié de cette gloire folle. La tombe du beau Rudy est fleurie d’un bout de l’année à l’autre par des monceaux de fleurs. Les nonagénaires qui se souviennent de leur idole en parlent encore en termes attendris. Leur voix se brise quand elles évoquent le regard de velours de Valentino.
L’une de ses grandes amies françaises, madame de Recqueville, nous le décrit ainsi:
“Il était le type même du séducteur latin, il était beau dans toute l’acception du mot. Il avait des traits d’une grande distinction, un regard chaud qui vous allait droit au cœur. Il dansait le tango à merveille. Ce n’était peut-être pas un acteur de grand talent (le cinéma parlant l’aurait peut-être coulé), mais quel séducteur !”
Valentino, une énigme. La plus grande du siècle dernier. Plus grande peut-être que celle d’Anastasia... Car, lui, il ne savait même pas qui il était !
A l’heure ou il est question du mariage pour tous… Valentino aurait sûrement fait son Coming-Out.
* Le journal intime de Rudoph Valentino est gardé au Museum du Cinéma d’Hollywood.
Le Cheik (« The Sheik ») est un Film muet américain réalisé par George Melford sorti aux États-Unis en 1921 et adapté du best-seller Le Cheik d’Edith Maude Hull. Produit par la compagnie cinématographie Famous Players-Lasky Corporation, il a pour vedette le «latin lover» Rudolph Valentino.
Ce film d'aventures exotiques raconte l'enlèvement et la séquestration d'une jeune anglaise par un cheik arabe au milieu du désert. Il obtient un énorme succès à travers le monde, principalement auprès de la gent féminine, et entre dans la culture populaire américaine en faisant notamment l'objet de nombreuses parodies. Il assoit définitivement Rudolph Valentino dans son statut de sex-symbole et d'icône du cinéma. Une suite sort en 1926 sous le titre Le fils du Cheik et remporte le même succès.
Franck Cadet
Source :Les dessous de L’Histoire – Wikipédia.