Sylvie Barraya et Léna Monnerot
L’une peint et l’autre écrit…
Sylvie Barraya et Léna Monnerot
Par Mahia Alonso
Espagna
La poétesse Léna Monnerot a trouvé en Sylvie Barraya, peintre, son alter ego.
Une fine correspondance unit leurs âmes.
« Il était une fois une petite fille blonde qui dansait dans des ronds de lumière et la vie ne lui semblait que formes colorées pour s’évader des contours brumeux du bassin d’Arcachon, dans une grande solitude.
Il était une fois une petite fille brune qui dansait dans des ronds de paroles ; sa vie n’était que syllabes sonores au Morne-Rouge, sous le soleil des Tropiques à la Martinique… »
Un soir, je reçois un coup de téléphone :
«Je suis Léna Monnerot. Je viens de publier un livre sur l’œuvre de Sylvie Barraya. Il y a quelques années, nous nous étions rencontrées et vous aviez écrit un article sur l’une de ses expositions. Vous vous en souvenez ?»…
Cet appel inattendu m’a prise au dépourvu. Pourtant, presque instantanément, le visage de Sylvie Barraya s’est imposé à moi. Effectivement, nous avions passé une soirée, chez une amie commune. C’était en 1991.
Léna Monnerot me confia alors ses soucis au sujet de la santé de son amie et son souhait d’honorer son travail, l’objet de son livre en autoédition.
Quelques jours plus tard, j’ai reçu son livre, « Transparente dolor », un ouvrage artistique, avec de belles reproductions des œuvres de Sylvie Barraya, réalisées par Amandine Meneau. Un poème de Léna fait écho aux tableaux. Au fil des pages, je me suis laissé immerger dans l’univers de ces deux femmes, tout d’émotion, de couleurs, de transparence, baignant dans une spiritualité quasi charnelle…
J’ai donc revu Léna Monnerot, juste avant qu’elle ne s’envole pour la Martinique, le 31 octobre dernier. Une femme au destin marqué qui se raconte par le biais de la trajectoire de son amie Sylvie Barraya :
«C’est d’elle que nous devons parler!» insiste Léna.
La mal mariée (Sylvie autoportrait)
Léna vue par Sylvie Barraya
Deux destins, un lien très fort.
Je note mais surtout j’écoute. Et je sens. Dans les confidences de Léna, la littéraire, la baroudeuse qui a parcouru le monde à la poursuite de son idéal, celle qui respire la force, il y a une transcendance, un mystère éblouissant comme chaque fois que l’être humain est dépassé par l’amour qui subjugue tout.
Elle a poétisé leur rencontre. Elle avait quinze ans, Sylvie vingt-cinq :
«Un jour, dans le jardin du Luxembourg, alors que je répétais à mi-voix un poème, j’ai croisé une jeune femme amoureuses des couleurs mais encore inexpérimentée… Nous nous sommes regardées et nous avons instantanément su que nos âmes étaient sœurs. Nous ne nous sommes plus quittées, si ce n’est pour retrouver nos univers familiaux respectifs. Nous avons travaillé côte à côte des heures durant, partageant musique, art, beauté, exaltation… Elle bouillonnait de formes colorées et moi de mots vibrants. Nous évoluions soit dans la campagne provençale d’Egalières, soit dans la montagne pyrénéenne, à St-Bertrand de Comminges… avant de regagner chacune notre quotidien plus ou moins opaque, dur... Tableau après tableau, vers après vers, nos œuvres ont pris forme et vie puis se sont entrelacées pour donner ce livre, une forme d’aboutissement à une si longue amitié avant la nuit totale… »
Léna, une femme mosaïque.
Léna Monnerot
Léna Monnerot est née à Paris mais y a peu vécu. A quatre ans, elle perd sa maman et va vivre en Martinique chez sa grand-mère maternelle. Il faut dire que sa naissance ressemble à un véritable patchwork, ce qui est probablement à l’origine de son «utopie»: participer à l’instauration du bonheur sur terre.
En effet, son père est Indien, Antillais et Américain ; sa mère est Juive polonaise née à Varsovie mais de nationalité anglaise.
Léna grandit imprégnée des diverses cultures qui façonnent la citoyenne du monde qu’elle est devenue.
Elle revient faire ses études à Paris, au lycée Fénelon puis à la Sorbonne, en « lettres pures ». Elle fera carrière au sein de l’Alliance française dans divers pays de la vieille Europe où elle enseigne le français. Elle publie plusieurs livres. Elle sera également psychologue auprès d’enfants surdoués. Elle fait également du théâtre en amateur. Sa santé délicate ne lui permet pas de franchir le pas pour devenir professionnelle.
«J’étais douée pour beaucoup de choses mais j’ai tout fait en amateur. Ma satisfaction, avoir touché à tout ce que j’aimais.
J’ai fait beaucoup de sport jusqu’à 17 ans. Une grave chute de cheval m’a mise sur la touche. J’ai eu une vie privée très fragmentée…
Sylvie s’est lancée très tard dans la peinture. Elle savait tout des musées, galeries, des peintres mais elle n’osait pas s’y mettre. Je l’ai poussée… A présent, Sylvie vagabonde entre deux temps… J’ai voulu retenir sa trace…»
Sylvie, secrète, fragile et hyper-sensible.
Sylvie Barraya
Sylvie Barraya est née à Paris, il y a près de 90 ans. « L’amour de la peinture a accompagné son chemin atypique jusqu’au jour où les fleurs sont écloses » écrit Léna Monnerot et dans son introduction.
Léna me raconte Sylvie avec une bouleversante tendresse :
« Elle était fille unique et toute petite elle a eu la tuberculose. Le sanatorium. La solitude. Toujours la solitude. Elle n’est pas allée à l’école, elle a tout appris par elle-même. Elle était douée, aimait la littérature mais surtout les sciences. Elle n’a pas eu une vie heureuse… On s’est beaucoup soutenu mutuellement… Il a fallu combattre sa peur pour enfin prendre un pinceau. Elle s’était inscrite à un stage de peinture dans les Pyrénées et mourait de trac. Bien sûr, trois jours avant le départ, elle tombe malade. La grippe. Je n’ai pas faibli. Je l’ai contrainte à s’y rendre quand même. C’était crucial. Je l’ai mise dans une voiture la mort dans l’âme. Je me faisais l’effet d’être un bourreau. Or, ça a été la chance de sa vie ! A partir de là, sa carrière s’est mise en route. N’empêche que j’ai eu une trouille bleue de la faire partir dans l’état où elle se trouvait… !! »
La peinture de Sylvie Barraya est habitée. Pas un trait qui ne soit intempestif. Le symbolisme s’habille de naïveté. Sa technique sûre l’aide à brûler les étapes. Elle se libère des perspectives car tout compte, tout a même valeur, l’intérieur comme l’extérieur. Un figuratif qui s’enracine dans l’abstraction.
« Elle m’absorbe. Elle est si suggestive ! J’y déchiffre toute sa vie. Sa peinture réveille les forces vives de la personne qui regarde. Ca vous entraîne au-dedans de vous, » dit Léna.
« On a reconnu en Sylvie une coloriste hors pair, dit-elle encore. Mais ne vous y trompez pas, c’est faussement naïf. Complexe. Penchez vous sur ses toiles, vous vous y perdrez… »
Aujourd’hui, Sylvie Barraya atteinte d’Alzheimer, est dans une maison de retraite. Léna Monnerot va la voir tous les mercredis. L’une se souvient encore et l’autre de moins en moins… Reste quelque part, dans le Jardin du Luxembourg, une mémoire presqu’oubliée, celle de deux toutes jeunes femmes qui se croisent pour lier leurs destinées…
« Transparente dolor »
Photo de couverture
Et je feuillette le livre de Léna « Transparente dolor », qui célèbre son amie Sylvie…
« Je, dans la porte de lumière,
Moi, dans la porte de lumière,
Et nous deux, dans la porte de lumière.
Et tout autour, dans la coupure de l’œuf nous tenons ensemble. »
« Petite barque bleue où t’en vas-tu ?
Je porte l’homme et sa destinée… »
« Je suis amarrée au ciel, l’eau du fleuve est sous ma Terre
Les âmes des chevaux te regardent et t’attendent »
« Les joues, les yeux, le nez, la bouche, et la terre ferme en guise de peau. Tout est lac, tout est terre… »
« Les larmes creusent à même la chair… »
M.A