Monique Morvan, pionnière du tourisme vert en Gascogne
« Amis campeurs, vous avez déjà effectué un ou plusieurs séjours dans une ferme de notre petite région. Vous avez su apprécier la vie dans nos campagnes. Peut-être avez-vous déjà prévu l'organisation de vos prochaines vacances. Si vous avez l'intention de revenir parmi nous, ce que nous souhaitons, nous serons heureux de vous accueillir...
Peut-être aussi connaissez-vous des familles qui seraient tentées par l'expérience du camping en ferme d'accueil. Dans ce cas, nous vous serions reconnaissants de bien vouloir les informer de ce que vous avez trouvé chez nous, et de leur offrir des imprimés ci-joints qui leur donneront quelques renseignements pratiques. Nous vous en remercions et vous disons à bientôt peut-être.
Bonnes vacances. »
Les fermiers d'accueil.
Ce courrier manuscrit a été envoyé en 1973, un an après la création du « Club camping en ferme d'accueil », dans le Gers). C'est une femme, Monique Morvan, qui est à l'origine de la belle aventure du tourisme vert en Gascogne.
Nous sommes à Latrillotte, lieu-dit dont la renommée auprès des amateurs de tourisme vert n'est plus à faire. Depuis la mort prématurée de Raymond, en 1996, Monique vit seule dans la ferme où le couple a connu de beaux et de moins beaux jours, toute une vie de labeur, avec leurs quatre enfants aujourd'hui disséminés au gré de leur propre destinée.
La ferme, un havre, dont la porte reste ouverte à tous (photo 2) est juchée au sommet d'une colline dont les flancs sont recouverts de champs cultivés. Sur les hauteurs, au fond derrière l'habitation, le bois de chênes apporte l'été un ombrage très apprécié des campeurs. La départementale passe tout en bas. L'accès à Latrillotte y est indiqué par un large panneau vert.
« Mes parents étaient métayers dans la ferme juste en face sur l'autre colline. Je suis l'aînée de deux filles. Ma sœur a gardé la maison familiale. Moi je suis venue ici quand j'ai épousé Raymond. J'avais 18 ans et demi. C'était en 1958. »
Un ange passe. Les souvenirs troublent son regard. La vie ne l'a pas toujours gâtée, c'est le moins qu'on puisse dire quand on l'écoute. Une vie rude qui se gagne à la sueur de son front.
Monique a le cœur à fleur de peau. Une hyper sensible. Entre sourire et petite larme.
« Passons sur les mauvais jours, » dit-elle en raccrochant un sourire sur son visage bienveillant.
« L'aînée de mes quatre enfants est née en 1959... J'ai six petits-enfants et une arrière-petite-fille de 2ans et demi, Lalie. Je vous parle de l'aînée, Maryse, parce qu'elle a trouvé son bonheur avec un de mes premiers touristes. Vous savez, l'an prochain cela fera 40 ans que j'ai ouvert le camping à la ferme. Et bien, 41 familles qui ont séjourné ici se sont installées définitivement sur la commune. Ce n'est pas un bel exploit, ça ?! »
Sa mission : faire aimer la région. Et elle est fière Monique de ce succès :
« C'était notre but, quand nous avons démarré l'aventure, de faire aimer notre région aux étrangers. Ça a bien marché. »
En 1971, Monique soumet au conseil municipal l'idée de s'ouvrir au tourisme vert. Deux personnalités de Samatan, Pierre Brocas et Yves Chaze partagent son enthousiasme. Un voyage est décidé et une petite délégation d'agriculteurs, Monique en tête, part pour Naucelle (Aveyron), berceau du tourisme vert. Ils sont reçus chaleureusement, visitent les installations. Et, ils se sont dits : « on est capable de le faire ! »
L'été suivant, Monique et une douzaine de fermiers ouvrent leurs propriétés aux campeurs. Pour Monique, c'est une aubaine qui lui permet de se réaliser pleinement en épanouissant ses qualités de cœur. Et ce sera le garant de sa réussite. Bien des campeurs reviennent fidèlement d'année en année à Latrillotte. Ils ont à leur disposition 1 ha de terre et de bois. Et la présence vigilante mais discrète de leur hôtesse.
« C'était une époque héroïque, » dit-elle visiblement satisfaite de la tâche accomplie. Et puis Raymond était à ses côtés. Un époux chéri :
« Il a œuvré jusqu'au bout, me donnant le maximum pour que je travaille dans de bonnes conditions, c'est à lui que je dois mon succès dans le tourisme. »
Monique évoque Louise Dupont, alors présidente du syndicat d'initiative, aujourd'hui disparue, qui a énormément agi aux côtés des fermiers d'accueil :
« On écrivait des lettres à la main qu'on envoyait à toutes nos connaissances, en leur demandant d'en faire autant. Le bouche-à-oreille a été le moyen de nous faire connaître. Le curé de Samatan, l'abbé Donders, était hollandais. Il a fait venir sa famille, ses amis et de fil en aiguille, beaucoup de hollandais sont venus passer leurs vacances chez nous. Mon premier touriste est arrivé en juillet 1972 de l'Ain. C'était un agriculteur. On a eu droit dès le départ à six familles en même temps. Ça fait pas mal de monde quand ces familles ont des enfants ! On a donc créé le Club du camping en ferme d'accueil la première année et puis très vite, on a été chaperonné par la Chambre d'agriculture qui nous chapeaute toujours. »
Et Monique est infatigable : elle sensibilise les commerçants à l'accueil des touristes. Cheville ouvrière de cette aventure, elle met en place une véritable animation rurale, son mari toujours à ses côtés. Leur grand souci : que le citadin ne s'ennuie pas à la campagne. On concocte des animations. On les fait participer à la vie de la terre... :
« Un inspecteur de lycée professionnel venait exprès en juillet pour faire les moissons. Il aimait conduire la moissonneuse-batteuse ! »
Mais il faut également encourager ses collègues agriculteurs. Devant les difficultés, petit à petit le réseau s'amenuise. Ils ne seront plus que deux jusqu'à ce que l'autre irréductible prenne sa retraite. Latrillotte est le dernier camping à la ferme de Samatan.
Un mari pour sa fille
Le propre des souvenirs, c'est qu'ils se promènent dans la tête, sans respect de la chronologie. Monique se met à rire :
« Je revois celui qui allait être le beau-père de ma fille ainée... il avait un fils, et il avait dit : attachez vos poules, les coqs arrivent ! Je n'ai jamais oublié, et pour cause ! »
Monique a une mémoire phénoménale. Elle est capable de citer les noms de tous ceux qui sont venus séjourner à Latrillotte et il y en avait eu des centaines. En 1989, elle crée trois chambres d'hôtes qu'elle va amoureusement décorer. Très vite, elle recevra la distinction de « trois épis » décernée par la Chambre d'agriculture. Elle est affiliée aux Gîtes de France pour ses chambres d'hôtes, à « Bienvenue à la ferme » pour le camping. Une nuitée en chambre d'hôte comprend le petit déjeuner et si désiré, le repas du soir uniquement. La table de Monique prend très rapidement une renommée qui sera relayée par les médias, et la télévision. Cette année, France 2 lui a consacré un feuilleton sur cinq jours, dans le cadre du journal de 13 heures : « Il était un foie... » (voir le lien : http://info.francetelevisions.fr/video-info/index-fr.php?id-video=MAM_3500000000014149_201012171408_F2 )
L'histoire du confit s'invite chez Monique
Déjà en 2004, la télévision s'était intéressée à Monique. Le réalisateur Jean-Louis André était venu tourner un documentaire de 26 minutes en coproduction avec la télévision régionale et la société de production MC4. Ce film fait partie d'une série « Terre de goût » programmé sur France 3 et France 5. Qui dit Gascogne, dit foie gras.
Et voilà Monique, suivie du réalisateur et du cameraman, au marché aux gras le plus célèbre en France, celui de sa bonne ville de Samatan. Sous la caméra qui la filme, elle choisit les carcasses de canard avec leur foie. De retour à Latrillotte, toujours filmée, elle s'atèle à la découpe et la préparation du conflit qui sera filmé le jour suivant, tandis qu'un repas de fête sera offert à des amis pour les besoins du film, à base de canard évidemment.
« Le plus dur, rappelle Monique, c'était de garder le silence pendant que je découpais, et puis de parler une fois que j'avais fini, et surtout ne pas se mélanger entre les deux ! »
Mais Monique est une artiste, habituée à travailler sans filet, à improviser, innover, inventer à partir des bases traditionnelles de la cuisine. Elle a ainsi succédé à la très médiatique Maïté, qui animait la leçon de cuisine au foie gras, dans le cadre du salon des antiquaires de Samatan.
Monique Morvan ne rate jamais le marché du lundi mais aujourd'hui c'est
Marchés au gras et de plein vent.
spécial, elle est accompagnée de Martin, 9 ans et Raphaël,6 ans, ses petits fils. Qu'à cela ne tienne, « ils vont apprendre à choisir les bons produits, avec moi et je m'y connais ! » Et les voici qui s'engagent d'un bon pas, entre les étals. Le marché de plein vent de Samatan, c'est un méli mélo de couleurs, de senteurs, où les saucisses grillées côtoient le miel doré ; les tomates rebondies et les melons parfumés, jouxtent les fromages aux fumets rugueux ; la quincaillerie s'immisce entre deux stands de vêtements. Tout à 5 ou 10 €... mais pour l'heure, Monique, les deux garçons tenus solidement par la main, file en slalomant à travers la foule compacte. Le marché, c'est le jour de grande sortie pour les habitants des alentours.
« Mais faut pas croire, du monde, il en vient de partout ! s'exclame Monique. Moi, le plus souvent je viens avec mes touristes, je leur fais découvrir le bon producteur, choisir le bon foie. Les marchés au gras du Gers ont lieu toute l'année et sont organisés sur le principe d'une vente directe du producteur au consommateur. Ici, les produits sont garantis par un contrôle encadré par les services vétérinaires. Qualité des productions, élevage traditionnel sur de petits volumes, fraîcheur des produits et hygiène, sont les atouts de ces différents marchés. Le marché appelé « aux carcasses », propose des produits issus d'oies et de canards entiers pour vous permettre de réaliser des confits, magrets et aiguillettes. Le marché appelé « au gras », lui, propose une vente de foies gras frais entiers d'oies ou de canards. Il y a même un service de découpe sur place afin d'en faciliter le transport et la préparation. »
Une recette de Monique : le hachis Parmentier de cuisse de canard confit au foie gras
« On dégraisse les cuisses confites en les faisant chauffer dans un récipient à feu doux. Quand la graisse a fondu, mettre de côté et à égoutter.
Puis on retire la peau et tout le gras, les cuisses étant encore tièdes. On désosse. On effile la chair.
On ajoute une ou deux échalotes finement pressées et on place le tout dans un mixeur pour hacher.
On remet le hachis dans une cocotte, on humecte avec un bon bouillon et on chauffe en remuant pour garder une onctuosité. On peut ajouter de la noix muscade et un peu de quatre épices.
On aura mis à cuire les pommes de terre pour la purée. J'écrase à la fourchette c'est meilleur. Une vraie purée, Avec du beurre, de la crème fraîche, du lait, sel et poivre, noix muscade ! On a déjà mis le four à préchauffer à 220/240°. Pendant ce temps on a découpé le foie gras en petits cubes, on ajoute du sel, du poivre, de la noix muscade et un peu d'Armagnac.
Ensuite on prend un plat en terre, on n'y met la chair préparée et bien tassée en couche épaisse, puis on ajoute les cubes de foie gras cru sur la viande , puis on étale la purée sur le foie gras. Saupoudrer un peu de fromage râpé par-dessus et on met dans le four très chaud.
Le temps de prendre l'apéro, c'est cuit. Il faut 15 à 20 minutes. Le foie gras à ne doit pas fondre, on retrouve les morceaux... Bon appétit ! »
Un dernier conseil de Monique :
« Surtout ne pas avoir d'œillères !Choyer nos visiteurs, leur révéler l'art de vivre à Latrillotte et les convaincre de revenir : cette richesse humaine, c'est mon terreau ! »
Monique Morvan a été présidente du comité des fêtes pendant 10 ans et membre actif pendant 23 ans ; bénévole pendant 20 ans au salon des antiquaires. Elle est actuellement co-présidente du comité de jumelage avec Ramatuelle (Var).
Elle a reçu la médaille de bronze du tourisme des Gîtes de France et la médaille d'honneur des comités des fêtes de France