La blanquette d'agneau de l’hédoniste chef Bernard
La blanquette d'agneau de l’hédoniste chef Bernard
Dans l’authentique vallée d’Ossau, enclavée au milieu des Pyrénées et non loin du fameux col de l’Aubisque, de ses troupeaux de brebis et de sa colonie de vautours sans parler de l’ours qui divise, la blanquette d’agneau faisait et fait toujours la réputation d’une maison et d’un restaurant digne de ce nom. C’était toujours les femmes, mères nourricières reliées à la terre-mère, qui cuisinaient et c’est toujours d’actualité à l’heure de la parité entre les hommes et les femmes. Mais y a-t-il un secret pour que ce plat soit une réussite culinaire, voire une sacrée fête pour les papilles ? Une idée du mets qui transcende et sublime littéralement la recette avec ses pauvres mots ?
« Une blanquette ne se commandait pas la veille pour le lendemain… précise en éclairant notre lanterne le truculent chef Bernard Coudouy à Laruns, à quelques encablures de l’Espagne. J’ai compris un jour le petit secret lorsque je demandais à ma grand-mère de nous cuisiner ce fameux plat. Elle me répondit : « Non, pas aujourd’hui, je n’ai pas de bouillon… » Cuisiner avec des petits carrés de bouillon déshydratés ce n’était pas ce qu’on leur avait appris à nos chères grand-mères. Elles ne prévoyaient donc de la blanquette que lorsqu’elles avaient concocté un pot au feu ou une poule au pot la veille où l’avant-veille ».
Vous avez dit « agneth » ?
Sachez aussi - afin de ne pas cuisiner et déguster idiot au risque de passer pour des « eunuques de la culture » -, que l’agneau de lait en Béarnais se dit « agneth », un agneau sevré qui devient « broutard » s’appelle « anèsque, anèsquète ». En “blanquette” l’agneau fut si longtemps oublié, que certains cuisiniers de la “dernière génération”, reprenant les recettes de jadis, ont pu laisser croire qu’ils l’avaient inventée... Alors qu’elle fait partie de notre patrimoine culinaire depuis presque trois siècles. A tel point que son origine géographique est encore aujourd’hui difficile à déterminer et que ce mets brouille les pistes à loisir comme pour mieux garder son secret de fabrication : Normandie, Bourgogne, Lyonnais, Béarn… Cuisiné dans toutes les régions, et on ne compte plus les variantes selon les goûts et les habitudes régionales : on lui ajoute de l'ail en Provence, on lui enlève la crème à Bordeaux, par exemple. A chacun sa recette, à chacun sa vérité !
Dans cette affaire culinaire, une chose est sûre : la blanquette qui continue à nourrir l’imaginaire sinon l’inconscient collectif, a conquis l'ensemble du territoire français et fait partie d’une identité culinaire bien de chez nous. Ce ragoût traditionnel redevenu moderne et tendance, que l'on peut trouver sur une table familiale, au bistrot, même jusque dans le rayon d'un supermarché ou au fin fond d’une vallée pyrénéenne, sonne le retour des petits plats mijotés qu’on réserve aux amis intimes. Elle s’inscrit dans le palmarès des plats préférés de nos compatriotes comme le boeuf bourguignon, le pot-au-feu, le lapin à la moutarde et le coq au vin. " Les Français expriment par ce choix leur nostalgie face à un modèle alimentaire qui s'effrite et a tendance à se déstructurer avec les nouveaux modes de vie et de consommation. C’est en quelque sorte notre éternelle madeleine de Proust", commente le sociologue spécialiste de l'alimentation Jean-Pierre Poulain, qui enseigne à l'université de Toulouse-Montmirail.
Un peu d’histoire…
La blanquette apparaît au XVIIIe siècle, et l'historien Jean-Louis Flandrin en attribue la paternité à Vincent de La Chapelle qui, le premier, l'a couchée sur le papier en 1735 dans son « Cuisinier moderne ». Mais la recette ne fait pas le cuisinier mais plutôt toute l’alchimie mythologique qui l’enrobe, l’idéalise et en fait un plat pas comme les autres . Son nom de blanquette qui se réfère à la couleur de la viande et de la sauce, valorise sa blancheur et deviendra le symbole d'une certaine tradition culinaire familiale qui connaît les bonnes choses et sait prendre son temps. À l'époque, il n'existe qu'une blanquette, elle est exclusivement composée de veau. Les restes de rôti étaient servis en entrée sans autre accompagnement que des oignons grelots et des champignons de Paris. À partir de la seconde guerre mondiale, la blanquette change de statut et entre au menu comme plat principal accompagnée de riz blanc. Tant et si bien que cette recette a conquis toutes les régions de France et de Navarre... et passe pour être une des plus anciennes recettes de notre gastronomie.
Avec la tête de veau et bien plus que le beefsteak pommes frites analysé et « immortalisé » par Roland Barthes dans « Mythologies », la blanquette demeure dans le panthéon de la mythologie culinaire de l’Hexagone et une sorte de nostalgie nationale du bon vieux temps. Symbole de « l’endocuisine », cuisson lente de l’intérieur du mets mitonné qu’on réserve d’abord et surtout à ses proches, à ceux qu’on aime… Au contraire du rôti, paradigme de « l’exocuisine », viande cuite en surface, faite un peu d’esbrouffe, de m’as-tu vu et toujours bien présentable… qu’on concocte, en principe, pour les invités de marque et mis en scène dans les célèbres fiches recettes du magazine « Elle ».
La cuisine traditionnelle héritée le plus souvent de nos mères et grand-mères fait donc partie de la culture de nos régions et d’un véritable art convivial de bien vivre qu’on cultive avec un art consommé dans la Vallée d’Ossau qui gagne à être mieux connue à l’ombre du pic du Midi d’Ossau. Afin de vous faire saliver, Bernard Coudouy vous livre, de suite et histoire de conclure sur la bonne bouche, la recette personnalisée de son cru et assaisonnée de ses commentaires, qu’il décline, peaufine et sert dans son restaurant de l’Arrégalet (60 couverts, avec terrasse) à Laruns. Un authentique et vivant « reportage d’idée » autour de la blanquette d’agneau…
Comme nous l’avons constaté récemment de visu, l’heureux chef propriétaire y pratique avec passion, secondée et inspirée par sa femme Dolorès, une cuisine traditionnelle et une gastronomie de terroir, tout en gardant à l’esprit que les bons chefs ne se prennent guère au sérieux, qu’ils doivent raconter et chanter leurs plats fétiches et surtout aimer d’abord régaler et faire plaisir aux autres. Sans oublier, lorsque l’occasion se présente, d’entonner ici en patois des chants polyphoniques béarnais avec les jeunes musiciens chanteurs du coin pour accompagner la digestion ou en guise d’apéritif autour d’un verre de Jurançon. C’est essentiel pour l’ambiance autant que se procurer des bons produits du marché, une recette de terroir et un savoir faire, voire un tour de main pour réussir le plat dans les règles de l’art et à la satisfaction des convives repus qui pourtant en redemandent. Bon appétit !
La recette de la blanquette d’agneau selon Bernard Malgré ses précisions et un luxe de détails, il ne s’agit pas ici seulement d’une recette proprement dite mais d’une envie gourmande et d’un récit imagé autour de la blanquette d’agneau racontée par un Béarnais haut en couleurs et en verve. Bref, une sorte de conte gourmet mitonné à l’ancienne… dans la vallée d’Ossau. Pour quatre personnes, compter : -1 kg de devant d’agneau de lait (de la vallée d’Ossau ou à défaut du Béarn) coupé en morceaux - un oignon - 2 cuillères à soupe de farine - 100 gr de beurre - une cuillère à soupe d’huile d’arachide - un petit litre de bouillon (précieusement gardé dans votre réfrigérateur) -un petit bouquet de persil - 1 jaune d’œuf - Dans un récipient à fond épais, style cocote en fonte, faire fondre à feux doux le beurre en y incorporant l’huile (qui empêche le beurre de cramer vite) - toujours à feux doux, mettre les morceaux d’agneau, les tourner régulièrement jusqu’à ce que les morceaux soient blancs sur toutes les faces. - avec une écumoire, sortir l’agneau. Réserver. - toujours à feux doux mettez l’oignon finement ciselé.Faire fondre (l’oignon devient transparent) - remettre l’agneau dans la cocote, mélangez vite fait avec l’oignon. -Singez (mettre la farine mélanger le tout en laissant cuire une ou deux minutes) -versez le fameux bouillon, augmentez le feu pour amener à ébullition tout en remuant de temps en temps (à ce stade, la farine à tendance à rester au fond et à cramer.) - ficelez bien votre bouquet de persil et plongez le dans la blanquette. -ramenez à feu doux, couvrez et laissez cuire deux petites heures. Vous avez peut être noté que je ne vous ai pas parlé d’assaisonnement…En effet, votre bouillon est déjà assaisonné, donc il faudra selon votre goût rectifier après cuisson (sel, poivre, simplement) - lorsque la blanquette est cuite, sortir les morceaux d’agneau avec l’aide de l’écumoire, réserver. - Dans une casserole du même volume que la cocote (à peu près) mettre le jaune d’œuf. - A feux doux, fouettez l’œuf, attention, pas de cuisson, il faut juste chauffer. Avec une louche, incorporez petit à petit le bouillon chaud, tout en remuant bien sûr (comme pour une mayonnaise) vous obtiendrez ainsi une sauce liée et homogène. - Mettez vos morceaux d’agneau dans la casserole et mélangez doucement. |