Je note, tu notes, il note…
Inconnue du grand public, la notation financière a fait une entrée fracassante sur la scène médiatique.
Il avait fallu s'habituer, il y a quelques années, aux annonces détaillant les soubresauts quotidiens de la bourse sans mieux comprendre pour autant la crise; désormais les communiqués concernant la note financière d'un Etat font trembler tout un pays et la perte du triple A résonne comme un échec national!
Et ces deux feuilletons alimentent jour après jour les médias, nourrissent les réflexions, les peurs et les débats.
Puisque nous avons désormais l'oeil rivé sur ces thermomètres, il faut bien comprendre leurs portées et leurs limites.
Des agences privées se sont crées aux Etats-Unis pour mesurer la solvabilité, la capacité à rembourser d'un acteur économique, entreprise, banque ou Etat. En s'y référant explicitement, plutôt que de se forger une opinion propre, les gouvernements et les institutions publiques leur ont donné une publicité et une validation qui a rendu cette activité très rentable et très puissante.
Or, ces agences américaines de notation souffrent de plusieurs péchés originaux: leur référentiel, leur credo économique libéral, n'est pas explicité ce qui rend peu transparentes leurs décisions et la synthèse qu'ils publient est tout juste digne d'un étudiant en mastère de sciences économiques! ; ces agences se sont de plus régulièrement trompés depuis le début de la crise financière et portent donc une responsabilité sur les dérèglements qui sont aujourd'hui manifestes (mais elles n'ont pas été notées elles!); enfin, si leur méthodologie a été construite sur de multiples données pour les entreprises, la transposition aux Etats parait hasardeuse et naïve.
Il s'agit même d'un déni de démocratie car, sans aucune légitimité propre, elles n'hésitent pas à juger des politiques menées par des gouvernements élus. On se souviendra d'ailleurs de la modification à la baisse de la note de la Tunisie lors du départ de Ben Ali; l'Occident avait alors donné un drôle de spectacle entre les applaudissements timides à un mouvement démocratique et l'étranglement financier porté par les agences de notation! En tout cas, ces agences ont à cette occasion, dévoilé leur préférence économique pour la dictature; mais personne n'a relevé!
Leurs décisions peuvent être cependant lourdes de conséquences . En effet, l'abaissement de la note d'un Etat va conduire les créanciers à demander un taux d'intérêt plus élevé pour couvrir leurs risques; c'est le fameux «spread», c'est à dire la différence du taux d'intérêt du pays concerné avec l'Allemagne.
En d'autres termes, toute interrogation sur la solvabilité d'un pays va lui coûter cher en relevant ses taux d'intérêt et en alourdissant le remboursement de sa dette. Logiquement les agences de notation constateront que le poids de la dette s'est accru, que les risques sont plus élevés et que la note doit être à nouveau baissée.
Impossible dès lors de sortir du cercle vicieux et cela d'autant plus que les médecins de Molière, «la troïka» européenne, auront au passage prescrit une nouvelle saignée, c'est à dire un nouveau plan d'austérité. C'est cette logique absurde qui est aujourd'hui à l'oeuvre en Grèce .
Il faut néanmoins reconnaître un peu de bon sens dans les commentaires de ces agences car en baissant la note de la France et d'autres pays européens, elles ont pointé l'absence de perspectives de croissance. Mais la surdité des gouvernements est telle que la seule réponse est celle de l'austérité et non celle de la croissance.
Il faut donc se désintoxiquer de ces notations !
En les prenant pour ce qu'elles sont: l'opinion d'un acteur économique comme un autre. En veillant à ce qu'aucune régulation nationale ou européenne n'y fasse référence.
En développant une agence européenne, qui aurait toute sa place à côté des agences américaines et de leur récente concurrente chinoise.
En développant parallèlement une notation sociale transparente des entreprises pour prendre en compte la sphère réelle et pas seulement la finance et appréhender par exemple le chômage des jeunes, le travail des enfants ou encore les dérèglements climatiques.
Yves Barou
Economiste, Président du Cercle des DRH Européens.