Agnès Leclercq
ou la passion des avions
par Maïa Alonso
Agnès Leclercq est catégorique:
«L’aéronautique, c’est pas que pour les garçons!»
«J’ai ce regard féminin sur l’esthétique, l’insolite, le spécifique de mon quotidien professionnel.»
Elle m’accueille à la fois timide et chaleureuse. Nous nous sommes connues lors du vernissage d’une de ses premières expositions quelques années plus tôt et j’ai dès lors suivi le déroulement de sa carrière artistique. Dès le début, j’ai aimé son regard sur les choses de la vie. J’ai même prêté ma plume pour une série de photographies qui l’a lancée dans le monde des arts photographiques – Envol – (Voir annexe).
Agnès a donc, comme nombre d’entre nous, une double vie : elle est ingénieure informatique à Airbus (Toulouse) et artiste photographe. Elle est aussi une des marraines de l’association nationale « Elles bougent »¹, pour une sensibilisation générale des femmes visant à transmettre la passion et ainsi susciter des vocations dans un monde professionnel réputé typiquement masculin.
A tous les niveaux de ses activités, Agnès Leclercq œuvre à l’intégration des femmes dans les milieux qui leur sont le moins ouverts : « Mon regard de femme, j’ai voulu le porter sur ce monde traditionnellement masculin qu'est mon univers professionnel. »
Elle poursuit, évoquant son évolution au sein de la célèbre entreprise aéronautique :
« Toute personne a son propre regard sur le monde, ainsi, chacun perçoit à sa façon la réalité, filtrée, éclairée par sa personnalité, influencée par son sexe, son expérience et son émotion à un instant donné. Femme artiste, je suis sensible à l'élégance des avions, avec une affection presque maternelle pour l'A380 que j'ai conçu (un peu !), avant de le voir naître puis prendre son envol.
Femme, appartenant à une minorité, j'ai un regard détaché sur le groupe majoritaire. Femme, plus récemment présente, je vois parfois le côté décalé de cet univers créé et encore fortement dirigé par des hommes.
Que ce soit en traduisant en images la beauté des avions aux différentes étapes de leur fabrication, que ce soit en exprimant la grâce du ballet de cette énorme fourmilière humaine, que ce soit en capturant la singularité de certaines situations dans ce milieu unique, j'ai ce regard féminin sur l’esthétique, l’insolite, le spécifique de mon quotidien professionnel. »
Par petites touches artistiques, Agnès Leclercq invite à suivre son regard sur ce qu’elle appelle « son monde ».
Une histoire de logique
Agnès Leclercq naît à Pontoise en 1968 :
«C’est une petite ville ancienne, avec de vieux monuments, à seulement 30 km de Paris, dont elle bénéficie du souffle tout en jouissant de la quiétude de son caractère provincial. J’y ai suivi mes études primaires et secondaires puis je suis allée à Paris XIII pour faire un IUT informatique. Je préfère les maths à la physique. J’aime les choses exactes, c’est rassurant. Plutôt logique, j’ai donc opté pour une carrière d’ingénieur…»
Le prestige de Toulouse associé à son école réputée pour être la meilleure dans ce domaine – l’ENSEEIHT - attire la jeune Agnès qui va suivre pendant trois ans les études conclues par son diplôme d’ingénieur en informatique. Parallèlement, elle fait un master de PNL (Programmation neurolinguistique).
«Ce furent de supers moments, je me suis régalée.»
Agnès commence sa vie professionnelle à Grenoble, en 1991. Elle rappelle : «C’était le début de la guerre du Golf ce qui rendait le marché du travail difficile et aucun emploi sur Toulouse. Je suis restée deux ans à Grenoble. Et puis j’ai eu l’opportunité de partir en Allemagne, à l’Agence Spatiale Européenne. J’ai ainsi pu faire progresser mon anglais! J’ai noué des amitiés anglo-irlandaises qui perdurent depuis…»
Elle revient alors sur Paris mais après quelques mois, Toulouse lui ouvre à nouveau les bras. Nous sommes en 1996. Elle achète un appartement qui domine la ville pour être certaine de s’y enraciner : « J’avais Toulouse au cœur ! »
Quatre ans plus tard, elle signe son CDI à Airbus :
«Entre temps j’avais eu d’autres propositions mais je voulais vraiment rester à Toulouse…»
Elle ne le regrette pas ! Elle est chef de projet sur les communications avions-tour de contrôle pendant sept ans. Depuis peu, après une sélection rigoureuse, la voici «supplier panel manager», pour 90% de son temps et coach en management, pour le reste, en interne au sein d’Airbus.
Et puis, la photographie…
Le père d’Agnès est un homme «important», dit-elle. Carrière dans la magistrature, conseiller à la Cour de cassation… Il a pris sa retraite il y a un an, à 75 ans. C’est «l’idole» d’Agnès, et susciter son admiration va souvent la motiver.
Quand Agnès a entre dix et quinze ans, son père aime la photographier :
«Je l’observais m’observant… Il m’est arrivé de lui emprunter son appareil…» A l’adolescence, j’ai dévoré la revue "Chasseurs d’image", particulièrement la rubrique «leçon de photos». C’est comme ça que j’ai appris la photo, seule, avec cette revue… A 18 ans, pour mon bac j’avais demandé un appareil photo. J’ai eu un Pentax P30 reflex argentic. (L’informatique me parle plus que la chimie et dès que le numérique est apparu, j’ai lâché l’argentic !) Puis j’ai changé pour un autofocus, c’était super bien ! Un Canon EOS 50 E – argentic bien sûr, encore à ce moment ! Et un peu plus tard ce sera un Panasonic numérique FZ30, objectif Leika… C’est important d’être en osmose avec ton appareil, tu peux te concentrer sur le sujet et pas sur la technique…»
Propulsée photographe, Agnès marche le nez au vent, flairant les situations, malaxant ses idées. Elle fait des essais, «seule dans son coin», sans option particulière. Son objectif, explorer sans être influencée, et peu importe le sujet.
«C’est alors que j’ai rencontré l’association IBO Mai photographique et j’ai découvert le travail des séries alors que je cherchais la photo parfaite. J’ai fouillé dans mes archives et j’ai commencé par un premier plan ouvrant sur un second, partant de la rambarde du campanile à Florence, le tout formant un contraste de plans que j’ai appelé «Cadres». Une deuxième série a suivi : «Reflets», travail sur l’eau, les vitrines. Une série très riche pour composer à plusieurs niveaux… J’ai essayé de faire ce qu’on réalisait avec l’argentic, des superpositions d’images, en travaillant sur deux épaisseurs.»
Reflets –Agnès Leclercq
Deux courants émergent alors. D’abord les photographies d’avion.
«J’avais manqué la possibilité de photographier le dernier vol du Concorde. Je n’ai pas voulu rater le premier vol de l’A380.» (Voir Annexe).
Rose pour les filles…
Ses photos de l’A380 et sa rencontre avec une femme cadre d’Airbus, lors de la première exposition à Toulouse d’Envol, la propulsent officiellement : « photographe d’Airbus ». Elle participe alors à la vente aux enchères de photographies d’avions au profit du futur musée aéronautique « Aéroscopia » qui sera prochainement érigé à Blagnac.
«C’est alors que j’ai réalisé ma série " Rose pour les filles", pour briser les clichés… Cela s’est fait dans le cadre du concours MAP10³, un appel à projet du festival de photographies de Toulouse dont le thème était «Regards de femme». Mon but, démontrer que l’aéronautique c’est aussi pour les filles ! Fallait donc dépasser ces lieux communs voulant que le rose soit la couleur des filles…»
Vers l’abstraction
Sa série "Jeu de dames " se veut création picturale. Jouer avec les idées, les formes, les ombres. Juchée au quatrième étage de l’immeuble d’Airbus où elle a son bureau, en plongée, Agnès mitraille le chassé-croisé du personnel, en bas, sur le parvis semblable à un damier. Les pions sont figurés par les déambulations des femmes et des hommes. Elle va faire trente-huit clichés, chacun portant un titre qui, au final, raconte une histoire sur la place des femmes au sein de l’industrie en général, sur le retard du développement de leur carrière.
Agnès insiste sur le souci manifesté par Airbus pour l’égalité des chances, en fonction du taux de participation femmes/hommes dans les écoles de l’aéronautique. Airbus mène une politique forte de soutien aux associations qui font la promotion des vocations des femmes (métiers techniques, ingénierie) mais aussi en faveur des personnes handicapées ou d’origines sociales et culturelles étrangères.
«Parallèlement à ce travail, j’ai développé d’autres séries de photographies pour atteindre l’abstraction contemporaine. Il y a deux ans, mon père m’a défié d’y parvenir. J’ai donc choisi des sujets pouvant le mieux se traiter de façon abstraite comme l’eau. L'eau, de tout temps, dans toutes les cultures, est symbole de vie, de pureté mais aussi de renouveau, de changement. L’eau est toujours changeante, surprenante: tantôt limpide, cristalline ; tantôt opaque, trouble. A la fois miroir et matières ; reflets et relief; couleurs et transparence.
Cette richesse fait d'elle le matériau idéal pour une réflexion esthétique. Elle devient pour la photographe ce que la gouache est au peintre. Que de ces photos, telles des peintures abstraites, jaillissent les beautés de l'eau!»
Et puis, le pointillisme…
«Puis j’en suis arrivée au pointillisme. Mon idée c’était de me rapprocher de Paul Klee et là j’ai fait ma série "Miroirs aux silhouettes"».
Agnès Leclercq exposera 25 photographies "Rose pour les filles" et 38 "Jeu de dames" pendant le mois de septembre 2010 à Airbus, au cours de ce mois eut lieu la « Family day » - les portes ouvertes d’Airbus aux familles des employés qui vit défiler 150 000 visiteurs au bureau d’étude d’Airbus. La série "Rose pour les filles" a été choisies pour décorer vingt salles de réunion du Bureau D'études à Saint Martin, autre site d’Airbus.
Ce 29 mai, un nouveau vernissage, au collège de Fontenilles (31) proposera de découvrir ses séries "pointillisme", "Miroirs aux silhouettes", "Diois" au collège de Fontenilles le mardi 29 mai à 18 heures.
©Maïa Alonso, pour Nananews