Exception culturelle : pour la presse américaine, la Gaule a encore frappé
Le Monde | 19.06.2013 à 19h33 • Mis à jour le 19.06.2013 à 22h08 | Par Anna Villechenon
Vu des Etats-Unis, cette bataille a suscité des réactions mitigées et certains s'interrogent sur la stratégie des européens dans cette négociation. Dans une tribune publiée dans le New York Times, Karl-Theodor zu Guttenberg et Pierpaolo Barbieri, deux spécialistes de la politique étrangère basés aux Etats-Unis – le premier a également été ministre de la défense en Allemagne – estime que ce "compromis flou", "qui ni n'inclut ni n'exclut le secteur artistique" permet "à chacun de revendiquer la victoire, mais affaiblit forcément la position de l'UE dans les négociations en laissant la porte ouverte à une réplique du même type des Etats-Unis" – ce que redoutait justement la Commission européenne, qui va devoir se battre sur de nouveaux autres fronts, comme l'agroalimentaire ou l'environnement.
"LA GAULE A RECOMMENCÉ"
Pour le Washington Post, la revendication de l'Hexagone est loin d'être surprenante, puisque "la France et Hollywood entretiennent une relation tendue". Et de souligner que "Paris a pendant des années cherché à protéger ses industries culturelles grâce à des subventions et quotas [de diffusion] généreux (...)" – une pratique devenue "tout à fait acceptable dans le bloc" européen, "mosaïque de pays souvent petits avec leur propre langue et leur propre culture".
Le Los Angeles Times donne, au contraire, dans le sarcasme : "Vingt ans après que la France a mené une bataille quasi solitaire pour préserver ses restrictions sur la culture pop-américaine, la Gaule a encore frappé". En 1993, alors que le Parlement européen vote le principe de spécificité culturelle – incluant donc, de fait, la culture dans les négociations du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT) –, la France ne s'en satisfait pas et impose un an plus tard que la culture ne fasse pas partie des discussions. Pour le quotidien de la côte Ouest, cette récidive a le mérite de réaffirmer la position de la France, qui considère que "la culture et le droit d'un gouvernement de [la] protéger est un principe sacré qui ne doit être outrepassé ni par le libre-échange ni par les préceptes de l'UE".
"PATCHWORK DE SUBVENTIONS"
De son côté, le Wall Street Journalbrandit des chiffres pour mieux constater que sur le Vieux Continent, "la culture locale représente désormais une petite partie distincte au sein du marché du divertissement". En Europe, le contenu produit aux Etats-Unis représente plus de 60 % des programmes de radio et de télévision, mais aussi des films de cinéma, et ce, "en dépit d'un patchwork de subventions de l'Etat, qui prend en charge – et protège éventuellement de l'extinction –, un type de production qui a peu de chances de recevoir le soutien d'Hollywood, de rencontrer un succès planétaire ou même de faire des profits", raille le quotidien.
Et de souligner que "même en France", les programmes de télévision en "prime time" les plus populaires sont les mêmes qu'aux Etats-Unis ("The Mentalist", "Grey's Anatomy"...).
Sur un ton moqueur, Slate appelait au calme avant la réunion cruciale de vendredi, prévenant que l'exception culturelle française et la menace de veto de François Hollande ne feraient pas couler les négociations. Et en effet, ce ne fut pas le cas. Pour le site d'information, "si les pourparlers échouent – ce qui pourrait très bien arriver –, ce sera parce que négocier un cadre réglementaire pour deux continents différents, avec des institutions et des histoires politiques très différentes, est vraiment difficile".