Nihilisme et Information : la quête du sens
Christian Duteil
On ne court pas à Boston mais on fonce vers Babel, confusion des langages, confusion des images. Nous sommes abominablement «téléprésents au monde», l’écran TV nous transporte dans la violence ambiante, nous donne l’illusion de l’ubiquité et d’immédiateté dans une profusion d’images qui tapissent en live le salon des voyeurs que nous sommes tous quoi qu’on en dise et s’en défende.
Les attentats sur la ligne d’arrivée du marathon ont choqué l’Amérique et sidéré le monde entier. Les deux explosions qui ont eu lieu presque simultanément lundi dernier à 14h30 (heure locale) ont fait trois morts, dont un enfant de trois ans, et une centaine de blessés. D’après le Wall Street Journal, cinq autres engins explosifs devaient également frapper la ville. Les autorités ont réussi à les trouver et à les désactiver à temps. Au lendemain des explosions meurtrières de Boston, la photo d’un homme sur le toit d’un immeuble près du lieu du drame, affole les réseaux sociaux. Ce mystérieux inconnu a-t-il un lien avec les attaques ?
Distance et proximité. Dégoût extrême et volonté de connaître ce monde inconnu, sans repères, du nouveau terrorisme. Le monde brûle, jour après jour, et des hommes meurent sous nos yeux. Le président américain Barack Obama a décidé de prendre immédiatement la parole après les attentats, tout en jouant la carte de la prudence en déclarant qu’il ignorait « qui a commis les actes et pourquoi ? »
Depuis l’épisode de la tour de Babel et la confusion des langues, nous mourrons d’indifférence, c’est-à-dire de carences en nouvelles crédibles malgré la prolifération des écrans, le recoupement des sources d’informations et le journalisme « embedded ». Car malgré notre désir d’une « politique du sens », il n’y a rien à voir derrière la multiplication des images spectaculaires et du trop à voir. Le « monde » a perdu ses pôles, ses centres, ses cohérences et vit dans le non-événement de la guerre annoncée et prévisible. La chronique quotidienne nous abreuve d’informations alors que nous frisons l’overdose du courrier électronique.. Mais ces infos trop parcellaires, ces images nihilistes trop éclatées, ne permettent pas de comprendre les tenants et aboutissants de ces événements dramatiques et nous livrent un monde fragmenté. Quiconque avance une interprétation, qui la propose ou l’impose avec force, se voit rétorquer que, de toute façon, ce n’est qu’une interprétation. Or, toute interprétation du monde n’est rien d’autre qu’une vision du monde intéressée et tendancieuse qui n’exclut pas une certaine violence. Comme dit Cioran «Ce que je fais démolit ce que je veux.»
CD