Après ça, qui pourra dire encore que je ne suis pas un honnête homme?
Par Olivier Aron
« Moi président ce sera la transparence ! »
Étant appelé par les voix supérieures de l'éthique à devenir transparent comme l'eau claire, j'ai décidé de porter à la connaissance de la nation l'ensemble de mon patrimoine. J'ai conscience qu'une fois parvenu à la plus parfaite transparence, je cours le risque d'être à jamais invisible.
J'ai donc consacré un temps conséquent, mobilisant une armada d'experts irréprochables et insoupçonnables, recrutés dans les îles Caïmans et à Singapour, à réunir toutes les informations patrimoniales susceptibles de m'élever au firmament de la pureté.
Vous pourrez ainsi en toute connaissance de cause m'apporter vos suffrages à l'occasion de la prochaine élection présidentielle, avec la certitude de confier le pouvoir au plus honnête des hommes.
1) Biens immobiliers : je possède une petite résidence secondaire située sur les hauteurs de l'arrière pays niçois, dont la photo ci- dessus témoigne d'un état de décrépitude avancé. Évaluée par les services fiscaux de Papouasie, elle représente un capital de 50 €. En effet, il y manque 4 tuiles de couverture, le dispositif de chauffage de la piscine connait d'incessantes défaillances et la chasse d'eau des toilettes fuit désespérément. Mais plus grave encore, la machine à laver la vaisselle est vétuste et la grille d'accès à ma modeste propriété est en panne depuis 15 jours. Comme j'ai dû emprunter 3 000 000 € pour en faire l'acquisition en 1912 et que mes modestes revenus m'ont contraint à emprunter sur une période de 200 ans pour en faire l'acquisition, il reste un passif de 2 000 0000 €. La crise de l'immobilier étant passée par là, cette modeste bâtisse estimée il y a 100 ans à 3 000 050 € (€ constant), ne vaut plus que 2 000 050 €. Reste 50 € que j'ai proposé à mes enfants en nue propriété. Bref, je n'ai plus rien !
2) Mon petit appartement à Paris dans le Marais : bien acheté à un prix dérisoire quand les crocodiles infestaient encore cet arrondissement de la capitale, ce deux pièces n'a jamais pu être réhabilité. Les dégâts causés par la boue qui recouvrait le sol à cette époque sont irréversibles, au point qu'il m'a fallu recouvrir lesdits sols d'une bâche étanche. Ce bien étant insalubre et invendable, il m'a été impossible d'en déterminer le prix, sauf à mentionner le prix de 80 m² de bâche insubmersible, soit 450 €.
3) Capitaux mobiliers : pour épargner à mes concitoyens, qui aspirent légitimement à la transparence, une lecture trop fastidieuse, je prends la liberté de résumer les choses comme suit : je possède 28 comptes bancaires dans 18 établissements dont les avoirs se montent en totalité à 234,78 €. Les sommes déposées variant entre 2 cents et 23,45 €. Mon compte courant, en dépit de revenus mensuels de l'ordre de 20 000 € par mois est à découvert le 12 du mois. En effet, je suis écrasé par les impôts, les intérêts d'emprunt, les séances de manucure de ma concubine et celles de mon bichon chez son coiffeur. J'ai, en fouillant un peu, retrouvé trois caleçons de marque, mais dont je dois déplorer, pour deux d'entre-eux, un état calamiteux. Le rose à poids verts présente une profonde déchirure située dans la raie des fesses, tandis que le gris à papillons roses a perdu les deux boutons qui assuraient l'étanchéité de la braguette. Autant dire que seule la valeur du troisième peut être prise en compte, pour un montant de 127 € (valeur à neuf). J'ai bien une automobile, achetée en 1958, mais elle est dévastée par la corrosion et perd 200 litres d'huile par semaine. Ce seul budget lié à la nécessité de perfuser le précieux lubrifiant en permanence vient grever mon train de vie de façon spectaculaire ! J'ai bien une toile de Picasso dans mes toilettes, mais elle est couverte de moisissures du fait même d'une humidité hors du commun qui découle de la description que j'ai bien voulu vous faire en toute transparence ci-dessus. Cette toile étant désormais sans valeur, j'en ai fait donation il y a deux mois à l'€ symbolique à ma fille Agglaée, âgée de 3 mois, et il n'est pas contestable, qu'en dépit de sa valeur désuète, elle n'entre plus désormais dans la composition de mon patrimoine. J'ai bien encore deux ou trois paires de chaussettes, une trottinette et 3 boîtes de canigou, mais rien qui vaille la peine d'inquiéter mes compatriotes.
Je compte sur votre sagacité, à la lumière de cet inventaire exhaustif, pour voir en moi l'homme de la situation, dont la probité et l'honneur sans faille, seront gage d'une gouvernance que les français appellent de leurs vœux.
Moi Président, je promets d'être transparent au point que quiconque ne pourra plus douter de ma sincérité, de ma compétence, de mon inébranlable honnêteté et surtout, surtout, si transparent que bientôt quiconque ne pourra plus me voir...
O.A