Un projet de loi anti-gay crée la polémique en Russie
Kathy Lally
La Russie a dépénalisé l'homosexualité en 1993, mais la situation se dégrade rapidement pour les homosexuels. Selon un député du parti au pouvoir : « ici c'est la Russie, pas Sodome et Gomorrhe »
MOSCOU - Ce vendredi Ilya Kolmanovsky, qui est hétéro, se tenait devant le parlement russe pour protester contre un projet de loi anti-gay. Il a évité l'arrestation, mais lundi, quand il s'est rendu à l'école où il enseigne la biologie à des classes de 3ème, il a été licencié.
Alors que de nombreux pays luttent contre les discriminations liées l'orientation sexuelle, la Russie semble vouloir les intensifier. Vendredi, alors que Kolmanovsky se tenait dans le froid glacial, la Douma a adopté en première lecture un projet de loi interdisant la distribution de "propagande homosexuelle" pour les mineurs, dont les adversaires craignent qu'elle rende illégales les gay prides, les manifestations pour les droits des homosexuels et les démonstrations d'affection en public des couples de même sexe. Moscou interdit déjà les « défilés de la fierté » gays au motif qu'ils pourraient déclenchent des troubles de l'ordre public.
La Douma a voté à 338 contre 1 pour le projet de loi, qui nécessite deux lectures de plus. Un des 450 députés s'est abstenu et 52 ont éviter d'aller voter. Un membre du parti au pouvoir Russie Unie a justifié son vote «oui» ainsi: «Nous vivons en Russie, pas à Sodome et Gomorrhe."
Le projet de loi nationale fait suite à l'adoption de lois similaires à Saint-Pétersbourg, Novossibirsk et dans trois autres villes, puisant dans une idéologie promue par le président Vladimir Poutine et son entourage qui combine l'anti-occidentalisme, l'exceptionnalisme conservateurs orthodoxes russe et les croyances religieuses.
«Cela fait partie d'un effort concerté par les autorités russes de créer un nouveau clivage politique entre la majorité conservatrice pro-Poutine et la minorité plus libérale, pro-occidentale »,, déclare Grigory Golosov, directeur de projet pour le Centre pour la démocratie et les droits de l'homme Helix à Saint-Pétersbourg, "Ils doivent inventer des questions autour desquelles un tel clivage peut être fabriqué."
À long terme cela pourrait se révéler un défi pour Poutine, continue Golosov, ajoutant que l'histoire montre qu'il est difficile de fabriquer une telle rupture. Mais à court terme, il n'y a aucun doute ; la loi anti-gay va passer.
En ce qui concerne la situation des minorités sexuelles ici, Golosov la décrit comme un «dommage collatéral." La Russie a dépénalisé l'homosexualité en 1993, mais un sondage réalisé par le centre indépendant Levada en Août montre que 62 pour cent des répondants la juge moralement inacceptable.
Confrontation, discussion
Lorsque Kolmanovsky, qui est aussi un écrivain scientifique, a rejoint la manifestation de vendredi, il s'est joint à environ 20 défenseurs des droits des homosexuels et à beaucoup plus de sympathisants du projet de loi anti-gay. Certains manifestants de même sexe s'embrassaient et un groupe de militants orthodoxes, certains masqués, chantaient des cantiques et les harcelaient.
La police a embarqué 15 personnes du groupe du « kiss-in »et cinq de leurs opposants d'après Kolmanovsky : «J'ai été rapide, et ils ne m'ont pas pris."
Cela l'a laissé bien seul au milieu d'une foule menaçante qui lui lançait des épithètes homophobes. Certains lui ont dit que les gens pourraient devenir gays en voyant les couples homosexuels s'embrasser ou en entendant que les homosexuels avaient des droits égaux ou étaient aussi normaux que les hétérosexuels. Mais Kolmanovsky était là pour offrir des arguments scientifiques sur le fait que l'orientation sexuelle est déterminée dans l'utérus ou peu de temps après. Ils étaient à priori peu disposés à l'écouter.
"Je leur ai montré ma bague de mariage et leur ai dit que j'avais deux enfants", a déclaré Kolmanovsky. «Étonnamment, ils m'ont juste jeté un oeuf et nous avons réussi à avoir une discussion. En Russie, vous n'avez pas d'espace pour le débat public. Nous avons eu une discussion, ce qui était très important. Ils étaient à l'écoute, et je l'écoutais. "
Drame à l'école
Le samedi – les lycéens russes suivent des cours six jours par semaine - Kolmanovsky est allé comme d'habitude à l'école n ° 2, où il enseigne depuis sept ans. Pendant qu'il enseignait les lois de la génétique mendélienne, le fondement de toute théorie génétique moderne, des menaces ont été postées sur le site Web de l'école.
Ceux qui ont posté les messages se décrivent eux-mêmes comme des parents de ses élèves, ce que Kolmanovsky dit ne pas croire. Mais ils ont promis de se plaindre auprès de personnes haut placées dans le système éducatif, et Kolmanovsky a reçu un appel de la directeur adjoint, qui était furieux à propos de l'affaire. Des plaintes en au haut lieu pourraient constituer une menace pour le principal et l'école dans un système où tout dépend du bon vouloir d'en haut . Le dimanche, le directeur adjoint a répondu aux messages sur le site Web de l'école, appelant Kolmanovsky, un trentennaire, une « idiote de tête brûlée ». «Je vous promets que nous allons lui faire enttendre raison», écrit le directeur adjoint. "Il n'est pas gay. Il est un père de famille modèle. Et il n'a jamais trompé sa femme. "
Kolmanovsky comprend qu'il s'agissait d'une tentative pour le sauver, mais il reste en colère. «Ce qui importe, c'est la liberté d'expression", dit-il.
Le lundi matin, Kolmanovsky est allé au bureau du directeur, où il a affronté la conscience collective blessée de l'ancienne génération de Russie.
Quand Vladimir Ovchinnikov fonda l'école en 1956, il présidait un foyer de dissidence et de pensées individuelles qui n'était pas les bienvenus dans l'Union soviétique. Lorsque le chef de la nation, Nikita Khrouchtchev, a ordonné aux écoles de donner aux étudiants une expérience pratique dans les usines, Ovchinnikov a placé les siens dans des laboratoires scientifiques.
L'école se fit connaître pour son excellence en mathématiques et en sciences, et se vantait d'une liste de diplômés exceptionnels. Mais en 1971, Ovchinnikov eu lui même une « leçon de liberté d'expression » en étant congédié pour avoir permis trop de libre pensée. Il trouva un autre emploi, mais en 2001, le système ayant changé, il fut réengagé comme directeur de la prestigieuse école.
Lorsque Kolmanovsky est entré dans son bureau, Ovchinnikov, maintenant 84 ans, lui montra les impressions des menaces. «Vous avez fait quelque chose de très stupide. Je ne comprends pas pourquoi vous n'avez pas démissionner. Vous êtes viré. »
Lundi soir, Kolmanovsky publia un compte rendu de l'épreuve sur le site Web de Radio Liberty. Lorsque des parents, des anciens élèves et des admirateurs de l'école entendirent les nouvelles, ils commencèrent à se plaindre. Leurs voix, il s'est avéré, ont été les plus convaincantes.
Mardi après-midi, le directeur a rétabli Kolmanovsky, qui a lui même été attristé qu'un homme qu'il admire profondément fut à ce point vilipendé dans les commentaires en ligne. Nous sommes des dommages collatéraux, dit Kolmanovsky «Ce n'est pas lui ou moi - c'est le système qui est à blâmer."
Plus tard, le directeur a affirmé qu'il n'avait jamais viré Kolmanovsky et qu'il était heureux qu'il continue d'enseigner à l'école.
Les russes progressistes ne peuvent que pleurer l'épisode et ce qu'il représente.
«L'homophobie élevé au niveau de la politique d'État c'est du fascisme classique," a écrit sur sa page Facebook Georgy Satarov, le directeur de la Fondation Indem qui lutte contre la corruption,"Voulez-vous que vos enfants étudient sous le fascisme?"
Le Washington Post du 29 janvier 2013