Rencontre: Catherine Mitjana-Bardy
Rencontre avec…
Catherine Mitjana-Bardy
Libraire indépendante
« Sans le collectif, on n’arrive à rien : tout le monde est porteur de richesse »
A l’occasion de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur qui avait lieu le 28 avril, journée marquée par la 14ème Fête de la librairie par les libraires indépendants, Nananews a rencontré Catherine Mitjana-Bardy, libraire indépendante (avec son mari Didier Bardy) à Sarrant, dans le Gers. Une journée pour s’interroger sur l’avenir des librairies indépendantes et débattre des difficultés qu’elles rencontrent.
Il est des lieux privilégiés où le régal de la prunelle et de l’esprit s’allie à celui des papilles et si on souhaite concilier saveurs du terroir, bio de préférence, et lecture, la librairie Tartinerie à Sarrant est l’adresse à garder précieusement.
Sarrant, classé parmi les plus beaux villages de France, réputé pour ses fêtes médiévales en aout, a vu depuis bientôt douze ans, sa notoriété redorée par la présence dans ses murs, d’une librairie pas tout à fait comme les autres. Une librairie indépendante : la librairie Tartinerie, créée en 2000 par Catherine et Didier :
« Personne n’y croyait. Les plus pessimistes nous avaient dit on vous donne dix jours ; les plus optimistes, dix mois et pourtant, en 2010 nous avons fêté les dix ans de la librairie qui sur le papier s’appelle « Des livres et vous » mais que les nombreux usagers du lieu ont baptisé la Tartinerie. Aussi vogue la librairie-Tartinerie!...»
Si cette librairie est un lieu de rencontres et d’expositions, c’est aussi une table qui propose une petite restauration, avec ses désormais célèbres tartines à base d’aliments bio. En fait et c’est là son attrait, la Tartinerie est un lieu convivial où se mêlent lecteurs et gourmands :
« Didier rêvait d’une librairie, moi, d’un lieu de rencontre. On a mélangé tout ça, et voilà ! Il y a les livres que nous choisissons, accompagnés d’une nourriture naturelle… Nous avons partagé notre engagement militant contre le modèle économique de "cerveaux vides". Pour nous, face au système, une seule réponse : le collectif. Oui, c’est le retour au local et au collectif croisé qui importe… ».
Une rencontre capitale
Didier et Catherine - Une animation avec l'auteur fétiche Alain Monnier
Catherine poursuit :
« J’ai rencontré Didier grâce au développement local qui m’a toujours tenu à cœur ! Je participais au dernier gros chantier d’Air Inter et j’étais responsable de la cellule chargée de trouver des emplois destinés aux conjoints des personnes qu’on déplaçait. Il y en avait 300 à trouver ! Il fallait mobiliser le réseau, les média, … Je suis rentrée en relation avec la Mission locale. Didier était justement détaché à la Direction du Travail pour aider les missions locales.
Ce fut une formidable expérience… Et quand on a voulu créer ce lieu, on a appliqué pour nous ce qu’on avait fait pour les autres.
On a rêvé et on a créé… »
Se batte sans cesse
Libraires indépendants, les Bardy ne bénéficient pas, comme des libraires classiques, des marges fixes octroyées par les offices (diffuseurs/distributeurs), ni du droit à restituer les invendus. En effet, la librairie indépendante ne dépend pas d'une société ou d'un groupe financier dont la logique est, par métier, financière. L'indépendance, génératrice de qualité, a un coût, celui de leur infatigable investissement dans la vie et l’animation de cet espace désormais connu dans tout l’hexagone, grâce entre autre à des reportages diffusés à des heures de grande écoute, et fréquenté par des éditeurs et auteurs ayant pignon sur rue à Paris. C’est aussi un lieu d’accueil privilégié pour les éditions régionales, les artistes plasticiens ou encore les musiciens. Tout créateur ayant pour gage la qualité trouve ici un support exceptionnel.
« Quand on créée un lieu improbable, on est hors circuit. On défend une littérature de qualité, on croit en l’homme. Mais il faut se battre tout le temps. Si tu lâches les rames, tu repars dans l’autre sens…
Le milieu du livre, c’est rude ! Oui, il faut se batte sans cesse. Choisir ses livres, c’est déjà un combat. Une librairie de type classique perçoit une certaine marge (supérieure à celle concédée aux librairies indépendantes) et pour convaincre le libraire de renoncer à son indépendance, on lui dit qu’il n’y a pas de risque puisqu’il pourra renvoyer les invendus. Il lui faut prendre ce que les offices proposent.
Nous, nous voulons choisir nos livres et comme nous les défendons, nous comblons la différence de marge… »
Bien sûr, cela leur « coûte » plus d’effort et d’ingéniosité. C’est un véritable challenge qui les pousse à inventer toutes sortes d’actions pour attirer et fidéliser le public :
« C’est ainsi qu’on essaie d’avoir des relations privilégiées avec les éditeurs. Dans cet objectif, nous avons instauré le mois de l’éditeur. Cet été nous aurons le mois d’Au Diable Vauvert et le mois de la Différence. »
Il faut rêver d’abord et voir ensuite si c’est réalisable.
Catherine est née en pays Bigourdan, dans une famille nombreuse. Elle est la cinquième d’une fratrie de sept enfants. Son père, tourneur sur bois, dirigeait une petite fabrique de meubles, avec sa femme.
« Je viens d’une famille d’entrepreneurs. J’ai acquis d’emblée cette notion d’entreprise ce qui explique que j’en ai l’esprit : la sécurité professionnelle ne rentre pas dans mes paramètres ce qui fait que jamais je n’aurais pu me plier à un emploi de salariée, ce n’est pas dans ma culture. Je suis habituée à la prise de risques inhérents à toute entreprise. Ce qui explique aussi le choix d’être libraire indépendant !
J’ai fait des études de psychologie et de développement local à Pau et Toulouse. Tout mon parcours professionnel tourne autour du travail, de la place qu’il occupe.
Ce qui m’a motivée au départ, c’est mon intérêt de l’humain : l’homme avec l’homme puis l’homme dans son environnement relationnel et enfin l’homme aux prises avec le travail. Comment trouver sa place.
J’aime accompagner les gens pour qu’ils soient bien dans leur milieu social, humain et politique. Les livres sont un outil extraordinaire pour connaître le monde. J’ai toujours aimé les livres. J’en avais toujours un à recommander à mes amis. Cela fait caisse de résonnance. Un livre traduit l’universalité de tous les problèmes. Tu peux t’appuyer sur la connaissance : j’ai un problème, j’ouvre pour voir ce qu’il y a autour… »
La rupture amène le changement
A la fin de ses études, Catherine œuvre dans l’orientation et l’accompagnement professionnels :
« J’ai beaucoup travaillé avec des gens en rupture. La rupture est souvent subie alors que c’est une période bénie de changement. J’ai pu noter de gros problèmes de société sur la problématique d’orientation ! Il y a beaucoup à faire là-dessus. On ne va pas au fond. L’important, c’est de trouver ce qui répond à chacun. On pense aujourd’hui que si quelque chose est « facile » c’est que ce n’est pas « important ». A mon avis, il faut rêver d’abord et voir ensuite si c’est réalisable. On ne donne pas aux gens et aux jeunes surtout, la possibilité de rêver.
Il faudrait retravailler sur la connaissance, les métiers, intégrer l’idée d’apprendre tout au long de sa vie, réinterroger ses pratiques, les alimenter… Repartir faire des études à n’importe quel âge, défendre son droit à la formation.
A ce sujet, cela reflète bien notre façon de penser et de fonctionner à tous les deux, notre librairie propose un choix très important de livres professionnels (culturel, social, éducatif…) ; nous avons même un fonds permanent réputé pour être le plus achalandé. Nous allons partout en France, participons à des colloques, des salons, sur ces thématiques…
D’ailleurs, dans le domaine éducatif, avec ces outils, nous organisons des rencontres apprenantes comme bientôt, « Lire à l’adolescence » (le 11 mai à la Maison des écritures Lombez en Midi Pyrénées, ndlr). Nous organisons aussi des colloques sur la culture, le tourisme, le territoire, avec un objectif : quelle synergie à construire ? Il faut faire travailler les gens pour faire monter la connaissance et enclencher le changement en vue de l’amélioration souhaitée. À Sarrant, nous poursuivons dans ce sens et nous avons de nouveaux projets comme ouvrir une extension et ainsi augmenter notre capacité d’accueil. C’est important. On aimerait recevoir des classes littéraires, des groupes, animer des ateliers d’écriture, d’arts plastiques, de la lecture d’images… Il y a tant à faire !! »
Les activités ne manquent guère à la Tartinerie. Catherine et Didier ont créé une maison d’édition sur le développement local « La librairie des territoires ». Et puis il y a le partenariat avec la manifestation nationale Tatoulu, dont l’objectif est d’éduquer les enfants au débat, à l’esprit critique.
J’ai relié la librairie à ma passion.
La Tartinerie offre, à une grande diversité de personnes, un lieu vivant et utile. L’espace a été conçu pour recevoir des artistes et des conférenciers et proposer des interventions et des spectacles toujours de qualité.
Chacun a son rôle à la Tartinerie, même si de temps en temps, ils se l’échangent : à Didier, la librairie, à Catherine, la cuisine et l’accueil :
« On vient manger au milieu des livres des produits locaux de qualité, à toute heure de la journée. Nous avons voulu ce lieu avant tout convivial, intergénérationnel et propice aux rencontres.
Nous servons des assiettes avec une tartine et une grande salade pour 6.60 € et tous les desserts sont à 3.60 €. Les produits locaux sont privilégiés et nous proposons entre autres des tartines au foie gras, au magret de canard ou au fromage de chèvre. La plupart des boissons sont artisanales ou équitables : limonade, jus de fruits, smoothie, pétillant de fruit, bière, cidre, thé, tisane et le café restera à 1€. »
Toute la famille est la bienvenue, une petite salade accompagne les tartines des plus petits et l’heure du goûter est le moment de se retrouver autour d’une farandole de confitures ou d’une tartine au chocolat, tout en feuilletant quelques livres.
La librairie-tartinerie, c’est aussi des viticulteurs qui l’approvisionnent en vins, le boulanger qui fournit un pain spécial pour les tartines, les maraîchers qui cultivent salades, tomates et autres légumes pour accompagner les tartines; la coopérative Ethiquable commercialise des produits issus du commerce équitable…
« Nos fournisseurs partagent un même plaisir, celui d’offrir des produits authentiques. Le territoire, c’est en fait la France entière. Il y a partout des compétences dans des lieux de réflexion. Travailler avec les producteurs de notre région, c’est primordial. »
De la nécessité du livre et des libraires
Catherine et Didier, lors des dix ans de la librairie
A l’occasion des dix ans de la librairie, en juillet 2010, Didier Bardy et Catherine Mitjana-Bardy ont publié un livre, « De la nécessité du livre et des libraires », dans lequel ils ont rassemblé de nombreux témoignages de lecteurs (parmi les 12 000 qui franchissent le seuil chaque année), d’auteurs (dont Alain Monnier, auteur fétiche qui n’hésite pas à mentionner la librairie dans ses romans,) et d’éditeurs (Zulma, Les nouvelles éditions Loubatières, Le Diable Vauvert, etc.) qui animent chaque mois la vie de la librairie, mais aussi des producteurs ( Limonade de Fontestorbes, Ethiquable, Confitures de l’Abbaye de Boulaur) dont on retrouve les produits à leur table. Une ramification de compétences issues de lieux de réflexions qui concourt à soutenir l’action militante des libraires de Sarrant : un combat quotidien est nécessaire pour réaliser "ce miracle apparemment anodin, de faire venir jusque sur des étagères ou des tables, des romans, des essais, sans compter leurs auteurs" lit-on en dernière page du livre.
« Ici, les livres sont à portée de la main et on peut passer des heures à les feuilleter à sa guise. Lieu de la sérendipité par excellence : c'est-à-dire l’art de trouver ce qu’on n’est pas venu spécialement chercher et que l’on est disposé à accueillir.
Nous proposons plus de 20 000 références dans de très nombreux domaines : littérature française et étrangère, essais, histoire, jeunesse, régionalisme, voyage, arts, pratique et une spécialisation dans les livres professionnels relatifs au développement local. Il est possible et même vivement recommandé de nous passer commande si vous cherchez un livre en particulier.»
Parfois alors qu’on s’y est arrêté seulement pour manger, voilà qu’un livre s’invite à vous…
En dix ans, Catherine et Didier ont proposé 350 animations gratuites sans subvention, créant trois salaires. 12 000 à l’année lecteurs fréquentent la Tartinerie.
©Mahia Alonso pour Nananews
http://www.dailymotion.com/video/xco5q3_reportage-sur-la-librairie-tartiner_lifestyle
http://www.dailymotion.com/video/x1qxii_reportage-france3_news
La Tartinerie, c’est aussi une association LIRES - http://www.lires.org
En bref. –
Professionnels du développement économique, social et culturel, Didier Bardy et Catherine Mitjana-Bardy ont comme ambition de créer un lieu de rencontres autour du livre en milieu rural. En 2000, ils créent l’association « LIRES » et ouvrent « La librairie tartinerie » à Sarrant, village gersois de 300 habitants, qui offre un espace convivial avec ses 20 000 titres et son programme d’animations hebdomadaires.
En 2005, la librairie devient la SARL « Des Livres et Vous » et l’association s’occupe des animations et de l’accompagnement de structures. En tant que librairie généraliste, elle répond à une demande de proximité grâce à un fonds composé de trois grands pôles : littérature française et étrangère, jeunesse et sciences humaines.
En 2011, l’association « LIRES » crée les éditions « La librairie des Territoires »® qui publient leur premier ouvrage : « Culture, Tourisme et Territoire ».
La Librairie est labellisée LIR. Ce label est destiné à soutenir et valoriser le travail de sélection, de conseil et d’animation culturelle réalisé par les librairies indépendantes, qui jouent un rôle déterminant pour la promotion de la diversité éditoriale.
La Librairie des Territoires
« Depuis 2006, nous parcourons la France en participant à des colloques relatifs au développement local, de cette activité est née La Librairie des territoires. En 2010, La Librairie des territoires devient également une maison d’édition spécialisée dans les enjeux territoriaux. Sa conception s’inspire des observations que nous avons pu faire sur les livres relatifs au développement territorial et aux sciences sociales appliquées. Elle associe concepts, méthodes et récits d’expériences. Le lien entre ces trois entrées nous semble indispensable pour rendre le livre, outil de réflexion, accessible à l’ensemble des acteurs du territoire.
Rencontre citoyenne
La librairie des territoires a développé les concepts de « rencontres apprenantes » et de « colloques apprenants » pour permettre à tout un chacun d’être armé pour, demain, être acteur et auteur de ses projets :
- Construire ensemble une culture citoyenne autour d’une thématique qui repose sur un problème social, intellectuel, humain pour participer à une dynamique de décision et d’action territoriale.
- Utiliser comme outils de réflexion et de travail le livre, la lecture et l’échange.
- Proposer un programme de travail autour de thèmes qui en émergeront.
L’association Lires accompagne dans leur création et leur développement des structures qui veulent associer le livre et la petite restauration dans un espace de convivialité. L’objectif de l’accompagnement vise d’une part à appréhender le contexte de la librairie française et l’inscription du projet dans le territoire, d’autre part à favoriser l’acquisition de savoir-faire indispensable pour faire fonctionner de tels lieux et favoriser ainsi le lien social.
Pratique
La librairie-tartinerie est au cœur du village de Sarrant, à côté de l’église. Situé dans le Gers, nous sommes à 1h de route de Toulouse et de Montauban et à 35 min d’Auch.
Librairie-Tartinerie
Place de l’église
32120 Sarrant
Contacts 05 62 65 09 51 / 06 81 22 16 76 ou par mail à This e-mail address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it "> This e-mail address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it
Horaires d’ouverture : Week-end, jours fériés et tous les jours des vacances scolaires de 11h à 21h.
Réservation souhaitable en soirée pour le repas.
Possibilité de venir en semaine sur réservation pour les groupes.