Laure Leroy, «Donner envie de lire»
Laure Leroy, édition Zulma
« Donner envie de lire ! »
Dans les années 90, j’avais suivi de près la naissance et les premiers pas d’une maison d’édition établie dans l’ancienne école de Cadeilhan, petite commune gersoise. Les éditions « Zulma » (du prénom de la comtesse de Castries dans « Le lys dans la Vallée » de Balzac et on notera que ce prénom commence par la dernière lettre de l'alphabet et s'achève par la première) vont tenir trois ans dans ce petit pays du bonheur de vivre. Malgré une volonté forte de s’y enraciner, l’éditrice Laure Leroy, à peine plus de vingt ans lors de sa création, va finalement empaqueter son bébé et le transplanter Boulevard Haussmann à Paris où sa facture originale lui permet d’accéder rapidement dans la cour des grands sans rien brader de ce qui a fait sa spécificité depuis sa création.
« J’avais, dans les débuts, beaucoup d’illusions, et autant de choses à apprendre. Je n’étais pas seule à lancer la maison mais j’étais celle qui faisait office de publisher – là où les Français ne voient qu’un "éditeur", les Anglo-Saxons distinguent entre le publisher, qui est le chef d’entreprise, et l’editor qui, lui, a le nez dans les textes et gère le travail avec les auteurs. »
L’éditrice est revenue quinze ans plus tard dans le Gers, à la librairie la Tartinerie de Sarrant avec un de ses auteurs phares, Hubert Haddad, pour une rencontre avec les lecteurs : « C’est un bonheur de revenir dans le Gers ! » me confiait-elle, alors. Rayonnante, elle n’avait rien perdu de sa passion, de son envie de tout prendre à bras le corps dans un bel élan de générosité. Pourtant, la Maison avait connu des heures difficiles :
« D’une certaine manière, cela a été une chance : nous étions au pied du mur et nous devions vraiment nous remettre en question. Nous ne pouvions plus nous tromper: cette situation abyssale était l’ultime contrainte qui allait nous pousser à ne plus tâtonner et à prendre d’emblée les bonnes décisions. »
Quand elle parle de « tâtonnements », Laure Leroy précise :
« Je ne vise pas les textes en eux-mêmes : il n’y a pas un choix que je regrette d’un point de vue littéraire. Mais justement, ces quinze années d’apprentissage m’auront enseigné, entre autres choses, que le métier d’éditeur ne consiste pas simplement à publier de beaux textes. C’est beaucoup plus compliqué que cela. »
Une maison d’édition, pour exister, doit se démarquer :
« Je me suis posé toutes les questions relatives à ce qu’implique le métier d’éditeur et à chacune d’elles j’ai tâché d’apporter la bonne réponse. Par exemple, nous avions créé beaucoup de collections à nos débuts qui ont depuis été éliminées. Ce remaniement est le fruit d’une réflexion globale profonde, que reflète bien le catalogue actuel. C’est un magnifique ensemble très structuré de littérature contemporaine française et étrangère, avec une identité éditoriale et graphique très forte, reconnue par les libraires, la presse, et les lecteurs. La marque Zulma se repère aisément, et son identité est telle que de nombreux lecteurs la perçoivent comme une grande collection ; elle inspire confiance et donne envie de découvrir des auteurs dont on ignore tout. C’est plutôt encourageant. Nous en sommes arrivés là au prix de gros sacrifices… notamment en réduisant de façon drastique le nombre de livres publiés chaque année. Il nous a fallu renoncer à publier beaucoup de très belles choses pour nous en tenir à une petite douzaine de publications annuelles.»
Pour harmoniser le fond et la forme
Laure Leroy cherche toujours la même chose : donner envie de lire. Alors il faut rendre indissolubles le fond et la forme. Pour le fond, elle fait confiance à ses auteurs qu’elle recrute à travers la planète. Il faut dire que Zulma a découvert ou mis en avant bien des romanciers aujourd'hui reconnus.
Curieuse des langues et des cultures lointaines peu connues, Laure Leroy publie entre autre des textes en Bengali (Tagore) ou malayalam (V.M. Basheer), en persan (Zoyâ Pirzâd). Et pour la forme, la réponse est venue de son association avec le graphiste David Pearson, londonien découvert chez Penguin Books.
« Ses couvertures sont à la fois très belles et en parfaite adéquation avec notre ligne éditoriale redéfinie. Elles ne font plus apparaître de différence entre les textes français et étrangers. Et puis, elles sont conçues comme des portes ouvertes sur l’imaginaire ; ni figuratives ni narratives, elles sont très stylisées, très structurées, tout en possédant un côté baroque… Elles stimulent vraiment l’imagination et, si on cherche à les décrire, on s’aperçoit qu’on emploiera à peu près les mêmes termes que si l’on tentait de qualifier le genre de littérature que nous publions.
J’ai donc contacté David Pearson et je lui ai demandé s’il voulait bien travailler pour Zulma. La perspective de dessiner des couvertures pour une petite maison d’édition de littérature basée en France lui a semblé très stimulante. Il a accepté et, depuis, c’est une affaire qui roule… »
Le livre devient alors un véritable objet avec sa couverture à rabat en Edit me brut extra blanc, à la texture un peu cotonneuse, estampillé d’un triangle, tête en bas où se loge discrètement le Z de Zulma et le papier intérieur (Astrid sable) a l’aspect soyeux. Pour Laure Leroy, il est une seule injonction : « lisez-moi ! Et le plaisir est là. »
« Je crois que tous les amoureux de littérature sont fondamentalement attachés au livre papier, même s’il représente une forme de luxe. Cela dit, le prix de nos livres, compris entre 15 et 20 euros, se situe dans la moyenne des "grands formats" vendus aujourd’hui. »
En 2011, Zulma a fêté ses vingt ans. On peut confirmer qu’elle a su préserver cette détermination qui marquait les débuts de la Maison : porter le devenir de Zulma sur les crêtes de l’excellence éditoriale.
Et toujours humble, Laure Leroy conclut :
« Une lecture d’éditeur doit être très sereine et très tendue, très fine… mais surtout bienveillante et admirative parce que les auteurs du calibre de ceux que nous publions sont, de toute façon, bien plus forts que nous! »
Zulma : pour une littérature de plaisirs
Zulma, pour les lecteurs, ce fut longtemps une maison d'édition de livres érotiques. Fondée en 1991, cette jeune maison devait notablement agrandir l'angle des genres publiés, pour présenter des écrivains français ou étrangers, confirmés ou débutants.
À l'origine, l'aventure naît de la rencontre entre Laure Leroy et Serge Safran. Elle, vient d'effectuer des stages chez NYX, Fayard, et participe à l'aventure du Castor Astral. Lui, journaliste régulier pour le Magazine littéraire, professeur par nécessité, faisait partie également de l'équipe du Castor Astral. Bénévoles tous deux au sein de la maison d'édition bordelaise (et parisienne), ils ont créé une Société Anonyme pour "publier des choses qu'on aime, mais en faisant en sorte que l'on puisse en vivre."
Au début, les livres sont diffusés par C.E.D.-Belles Lettres et enregistrent des tirages de 2 500 à 3 000 exemplaires. Le premier ouvrage publié appartient à une autre langue et vise une autre époque : Le Journal d'une jeune femme de qualité signé Cleone Knox raconte l'éducation européenne d'une jeune Irlandaise au XVIIIe siècle. Le livre aura une bonne presse mais ne trouvera pas le lectorat souhaité. Le succès viendra du troisième ouvrage (qui suivra La Clef des ombres de Jacques Abeille) : Les Kâma-sûtra donne l'élan à Zulma en même temps que son image de maison spécialisée dans l'érotisme.
En 1994, le désir d'avoir une meilleure diffusion et une distribution plus conséquente poussent les éditeurs à changer de partenaires : les livres de Zulma apparaissent avec le nom de Calmann-Lévy associé. La diffusion est assurée par Hachette.
Et puis, Zulma volera de ses propres ailes vers une destinée couronnée de succès.
http://www.zulma.fr/actualites.html
http://www.dailymotion.com/video/xlmgc5_entretien-exclusif-passion-bouquins-laure-leroy-directrice-des-editions-zulma_webcam
http://terres-nykthes.over-blog.com/article-les-editions-zulma-ont-vingt-ans-77396566.html