Doris Lessing, éternelle contestataire
DorisLessing
Prix Nobel de Littérature
Prix Nobel de la littérature en 2007, à presque 88 ans, celle que l’on pourrait nommer « une vieille dame indigne », Doris Lessing devient la onzième femme et l'écrivain le plus âgé à recevoir cet honneur. Femme de lettres engagée et militante, notamment pour les causes marxistes, anticolonialistes et anti apartheid, elle a aussi été associée quasiment à son insu, au combat des féministes.
L'écrivain britannique Doris Lessing (de son nom de naissance Doris May Tayler)
est l’auteur de près d'une soixantaine de titres : romans, nouvelles, pièces de théâtre, poèmes, essais, récits autobiographiques et témoignages. Elle a toujours refusé de se laisser enfermer dans des carcans intellectuels ou politiques et occupe une place de premier ordre dans la littérature britannique contemporaine où elle apparaît comme le témoin privilégié de son époque. Elle pointe du doigt la société actuelle, ses excès, ses dysfonctionnements et ses dérives (éthiques, idéologiques ou politiques).
Doris Lessing a durablement marqué ma vie de jeune femme. Je me suis immédiatement sentie proche d’elle, la découvrant fin des années 70, avec les deux tomes de son roman (fortement inspirée par sa vie), « Les enfants de la violence » : on y suit une adolescente, Martha Quest à la veille de la seconde guerre mondiale puis sa vie d’adulte dans la suite « L'Echo lointain de l'orage ». Un ouvrage sur les désillusions, l'effondrement du système colonial et ses ravages sur les relations entre les Noirs et les Blancs, sur la situation de la femme et de la condition de l'artiste au XXe siècle, tous les thèmes qui la hantent, qu’elle dénonce inlassablement. Engagements dans lesquels, absolue et idéaliste, je me retrouvais toute entière.
Le destin de son héroïne semblait en effet me raconter ma propre histoire qui s’écrivait au jour le jour, dans le Paris des années 70 où je découvrais moi aussi l'ivresse de la liberté … dans l'impossibilité d'abolir complètement les contraintes sociales et morales. Doris Lessing nous fait partager son cheminement intellectuel, social, sentimental et politique, à travers tout le XXe siècle. Avec une écriture qui s’adapte au type de ses romans : romanesque, épique, réaliste ou encore même, lyrique. Elle s’est essayée à la science fiction, au roman psychologique, abordant également l’ésotérisme avec le soufisme.
Ecrivain engagée
Doris Lessing est née le 22 octobre 1919
à Kermanshah (Iran). Son père y est employé de banque. Elle a 6 ans lorsque sa famille s’installe en Rhodésie du Sud alors colonie britannique (actuel Zimbabwe), dans l'espoir de faire fortune grâce à la culture du maïs, du tabac et des céréales. Pensionnaire dans un institut catholique, elle supporte mal cette vie. Doris est en opposition constante avec sa mère. Elle quitte définitivement l'école à 15 ans, travaillant en tant que jeune fille au pair puis à 18 ans, comme standardiste à Salisbury (l'ancienne capitale de la Rhodésie du Sud). Revenue un temps à la ferme parentale, elle se passionne pour la littérature et se plonge dans la lecture des grands classiques. Avec une prédilection durable pour Proust, Stendhal et Balzac.
Dès 1938, elle commence à écrire des histoires tout en exerçant plusieurs emplois pour gagner sa vie. Elle rédige également en parallèle de courts récits et des nouvelles, arrivant à en vendre deux à des magazines sud-africains.
À 19 ans, elle se marie avec un fonctionnaire et a deux enfants. Elle le quitte en 1943 après avoir rencontré un Allemand, Juif et communiste, Gottfried Lessing, qu’elle épouse. Ils ont un fils.
Interdite de séjour au Zimbabwe
A 36 ans, elle s'installe à Londres avec son jeune fils et se consacre alors à l'écriture : membre du parti communiste britannique et s'inspirant de son passé africain, elle dénonce l’inégalité des races. Son manuscrit « Vaincue par la brousse (The Grass is singing) est accepté par le premier éditeur auquel elle s'adresse. En 1951 elle publie un recueil de nouvelles tirées de son expérience africaine : « Nouvelles africaines » (This was the Old Chief's Country) suivie par cinq ouvrages d'inspiration autobiographique, publiés entre 1952 et 1969 et regroupés sous le titre « Les Enfants de la violence » (The Children of Violence). En 1955, « Le Cinquième Enfant », satire des mœurs de l'époque, la consacre dans l’univers féministe. Des engagements qui lui valent, en 1956, une interdiction de séjour en Rhodésie. Elle pourra finalement retrouver certains membres de sa famille au Zimbabwe dans les années 80, lors des premières années au pouvoir de Robert Mugabe.
En 1956, après un séjour dans la Fédération de Rhodésie et du Nyassaland où, en tant que journaliste, elle interview le premier ministre sud-rhodésien Garfield Todd et le premier ministre fédéral Godefroy Huggins, elle est finalement interdite de séjour dans toute la fédération et en Afrique du Sud.
En 1971, avec « La Descente aux enfers » (Briefing for a descent into Hell, Doris Lessing abandonne le genre du témoignage autobiographique pour une littérature visionnaire, appréhendant la notion de foi et les arcanes de l’âme. Un roman teinté de mysticisme, avec une introduction au soufisme qu’elle a commencé à étudier dans les années 60. Ce récit ouvre une vaste interrogation sur le devenir de l'humanité et l'avenir de la planète.
Alias Jane Somers
En 1983 et 1984, en signe de protestation face au sort réservé aux jeunes écrivains, elle se livre à une supercherie littéraire, publiant sous le pseudonyme de Jane Somers deux romans qui se voient refusés par son éditeur habituel : « Journal d'une voisine » (Diary of a Good Neighbour) et « Si la vieillesse pouvait » (If the Old Could), centrés sur les problèmes de la vieillesse, de la solitude, de la mélancolie, de la nostalgie, de la maladie et de la mort. Tous deux marquent son retour au réalisme, confirmé un an plus tard par « La Terroriste » (1985).
A plusieurs reprises elle revient en Rhodésie du Sud (Zimbabwe). En 1995, elle constate la dégradation de la situation sociale du pays, mais fait encore confiance au président Mugabe. Agée de 76 ans, elle se rend en Afrique du Sud pour y voir sa fille, ses petits-enfants et promouvoir son autobiographie. Au début des années 2000, elle s'en prend pour la première fois brutalement au régime de Mugabe. Elle est alors de nouveau déclarée « indésirable » au Zimbabwe.
Esprit critique
Engagée, Doris Lessing ne se laisse jamais aveugler. Elle quitte par exemple le parti communiste en 1956, après la répression de Moscou contre la révolte hongroise. Après l'avoir soutenu pendant des années, elle dénonce aussi, pour la première fois en 2000, le régime dictatorial du Président Robert Mugabe, d’où une nouvelle interdiction de séjour au Zimbabwe. L'année suivante, lors du festival du livre d'Edimbourg, elle crée la surprise en s'attaquant à certaines féministes dont elle était pourtant devenue l'icône. Selon elle, « après avoir fait une révolution, beaucoup de femmes se sont fourvoyées, n'ont en fait rien compris. Par dogmatisme. Par absence d'analyse historique. Par renoncement à la pensée. »
« Le Carnet d'or » paru en 1962, journal de bord autobiographique d'un écrivain est incontestablement l’œuvre qui la consacre dans le monde littéraire et lui vaudra le Prix Nobel.
Le Carnet d’or (The Golden Notebook)
Le Canet d’or est le portrait puissant et révélateur d’une femme en quête de sa propre identité, personnelle et politique, de ses désillusions politiques : la jeune romancière Anna Wulf, hantée par le syndrome de la page blanche, a le sentiment que sa vie s’effondre. Par peur de devenir folle, elle note ses expériences dans quatre carnets de couleur : noir pour les souvenirs, rouge pour la politique, jaune pour la fiction et bleu pour l'introspection. Mais c’est un cinquième, couleur d’or, qui sera la clé de sa guérison, de sa renaissance. À la croisée des genres, l'ouvrage se dote d'une structure narrative originale, mêlant l'héritage réaliste des grands romans du XIXe siècle à des techniques littéraires postmodernes (récit éclaté, composition stylistique sophistiquée, collage de plusieurs types d'écriture, mise en abîme et jeu du roman dans le roman, digressions verbales, considérations du créateur sur son œuvre...). Le Golden Notebook a inspiré plusieurs générations de femmes dans le monde, devenant la bible du nouveau féminisme du vingtième siècle.
Quelques dates.-
1919 : Naissance de Doris Lessing
1950 : Vaincue par la brousse, son premier livre
1954 : Somerset Maugham Award
1955 : Le Cinquième enfant la révèle comme une figure du féminisme.
1976 : Prix Médicis étranger pour son roman Le Carnet d'Or (1976)
2000 : elle publie son autobiographie La Marche dans l'ombre
2001: elle critique avec virulence certaines féministes "fourvoyées" lors du festival du livre d'Édimbourg.
2007 : elle publie son dernier livre Un enfant de l'amour et reçoit le Prix Nobel de littérature pour l'ensemble de son œuvre, la consacrant parmi les plus grands écrivains du siècle. De tous ses romans, remarquables d’intelligence, de passion et d’originalité, Le Carnet d’or demeure l’œuvre phare.
VIDEO : « Apostrophe » de Bernard Pivot :
http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/CPB81053226/doris-lessing.fr.html