Les Ukrainiens en goguette dans le « Versailles » de Ianoukovitch
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La visite est longue car le site, immense, à une demi-heure de Kiev, se parcourt normalement en voiture. Mais les citoyens avaient le temps. Ils se sont promenés en famille, avec poussette ou chien en laisse, respectant avec une infinie sagesse les instructions criées à l'entrée par les membres du service d'ordre du mouvement, qui ont pris la place des hommes de la sécurité présidentielle. « Les gens, ne détruisez pas les preuves de l'arbitraire ! »
Mieux. Personne ne foule les pelouses bichonnées. Personne ne tente de s'introduire dans les bâtiments pour les saccager. Les visiteurs sont là pour découvrir, ébahis, cette résidence fantasmatique, qui a fait l'objet de tant d'articles d'investigation et de supputations sur son exubérance. Le fait de se trouver là, en ce jour étourdissant, suffit à nourrir leur soif de vérité, même s'ils ne sont pas autorisés à pénétrer à l'intérieur des bâtiments, pour éviter les pillages.
LE COMBLE DU MAUVAIS GOÛT
Partout, les matières sont précieuses et prétentieuses ; les décors, rococo et kitsch. Le comble du mauvais goût : des fausses colonnes antiques. Par la fenêtre des bâtiments, on devine quelques meubles aux dorures criantes et aux tissus savants. On découvre un terrain de golf, un court de tennis, des cages pour paons et faisans ; une statue de cheval peinte en blanc ; des cerfs en bronze qui servent de figurants sur de nombreuses photos des passants.
Le jardin botanique a été entretenu avec goût et attention. Plus loin, au bord de l'immense masse grise et grondeuse du Dniepr, offrant une vue à couper le souffle, le « Galleon ». Une sorte de bateau de pirate à quai, servant visiblement de salle de réception. « On est invité chez Viktor Feodrovitch ! » rit une femme en parlant au téléphone. « C'est le Versailles ukrainien ! » hallucine un homme devant le bateau.
CASSE-CROÛTE ET DOCUMENTS
A côté du terrain de golf se trouve une entrée directe à la résidence, prévue pour les VIP, avec un portique de sécurité. Une affiche demande de ne pas entrer avec un couteau, un pistolet, des explosifs ou un nunchaku. Un des rares bâtiments – il y en a des dizaines, sur près de 140 hectares – où les visiteurs peuvent pénétrer est un hangar à hélicoptères.
A l'étage, on regarde les documents sans s'en emparer, on fait la queue pour aller aux toilettes, on organise un petit casse-croûte avec ce que contient le frigo du personnel : du saucisson, du fromage et de la salade. Ailleurs, on rapporte avoir trouvé un reçu pour une remise de 12 millions de dollars en espèces, ou encore des documents trempés qu'on aurait voulu détruire à la hâte. Les précautions bienvenues des militants de Maïdan.