Syrie : les pertes économiques estimées à plus de 100 milliards de dollars
Les pertes subies par l'économie syrienne depuis le début du conflit ont culminé à 103 milliards de dollars fin juin 2013, soit l’équivalent de 174% du PIB atteint en 2010, selon un rapport publié par le Syrian Center for Policy Research (SCPR), en collaboration avec deux agences onusiennes (UNRWA et UNDP).
Dans les détails, le volume du PIB a chuté d'environ 48 milliards de dollars jusqu’à fin juin 2013 (sur un PIB de 60 milliards de dollars en 2010), dont une perte de 18 milliards de dollars sur les seuls six premiers mois de 2013.
La contraction économique s’est en effet accélérée cette année à l’ombre de l’intensification des combats ; le PIB a reculé de 34,3% au premier trimestre de 2013 et de 39,6% au second trimestre, comparé aux mêmes périodes de 2012, indique le rapport.
Cette chute est le résultat d’une forte contraction de la consommation et de l’investissement, deux composantes majeures du PIB syrien. En effet, la consommation privée a respectivement chuté de 40% et 47% durant les deux premiers trimestres de 2013, après avoir reculé de 19% sur l’ensemble de l’année 2012, indique le Syrian Center for Policy Research. L'investissement privé s’est contracté, quant à lui, de 23% et 13%, en phase avec l’investissement public qui a chuté de 23% et 30% au cours des deux premiers trimestres de 2013, ajoute le rapport.
A cette chute drastique du volume du PIB se sont ajoutées les pertes colossales en capital, estimées à 49,6 milliards de dollars jusqu’à fin juin dernier. L'économie syrienne a en effet subi une désindustrialisation massive à la suite de la fermeture et de la faillite de nombreuses entreprises depuis mars 2011, la fuite de capitaux, ainsi que le pillage et la destruction de nombreux sites de production. Le PIB industriel a d’ailleurs chuté de 70% en 2012, en glissement annuel, se contractant davantage en 2013, avec une baisse de 12,8% au premier trimestre et de 23,3% au second trimestre par rapport aux trimestres correspondants de l’année précédente.
Pertes en capital entre 2010 et juin 2013 (millions de dollars) Source: SCPR
Outre ces pertes directes et indirectes (destructions physiques et manque à gagner) qui totalisent près de 98 milliards de dollars, s’ajoute un troisième type de pertes économiques comptabilisées dans le bilan dressé par le centre de recherche. Il s’agit de la hausse des dépenses militaires au cours des trois dernières années, perçue comme une réaffectation de ressources budgétaires de bien public. La croissance des dépenses est estimée à 5,5 milliards de dollars depuis 2011.
Total des pertes ($milliards, aux prix courants) Source : SCPR
Changement de la structure du PIB
Alors que la valeur du PIB poursuit sa chute spectaculaire, sa structure a considérablement changé au cours des trois dernières années, l'agriculture ayant représenté 54% de l’ensemble des richesses produites au second trimestre de 2013, stimulée par des variations saisonnières liées à la période de récolte. Dans l’ensemble, la production agricole est toutefois en baisse de 7% par rapport au premier semestre de 2012, indique le rapport, en raison d’une baisse de 15% des plantations et d’une chute de 40% de la production dans la zone fertile de Raqqa, contrôlée par les rebelles.
Quant au secteur touristique, qui représentait une part conséquente du PIB syrien avec des recettes annuelles de près de 8 milliards de dollars, sa part est désormais quasi-nulle. Le secteur pétrolier est lui aussi frappé de plein fouet. Le PIB pétrolier s’est effondré de 49% en 2012, sur un an, avant de perdre 71% au premier trimestre de 2013 et 88% au second trimestre, avec une production en chute libre ; le nombre de barils par jour a dégringolé, passant d’une moyenne de 47 000 barils par jour sur les trois premiers mois de 2013 à 18 000 barils au second trimestre.
De leur côté, les services gouvernementaux, les dépenses militaires, les services sociaux et ceux d'ONG ont pris une part croissante au PIB au cours de cette période, mais en termes absolus, leur valeur ajoutée reste inférieure à celle des années précédentes, au vu de la fonte du PIB. Par ailleurs, l’implosion de l'économie formelle a entraîné une croissance de l'informalité et de l’économie criminelle, avec une hausse des activités illicites (blanchiment d’argent, commerce d’armes, etc.).
Le déficit public à 33% du PIB
Sur le plan budgétaire, le déficit public s’élevait au second trimestre de 2013 à 33% du PIB (ajusté et aux prix courants), alors qu’il ne dépassait pas 3% en 2010. Celui-ci est passé de 137 à 223 milliards de livres syriennes entre fin mars et fin juin 2013, et risque, selon le rapport, de se creuser davantage au troisième trimestre, en raison de l’augmentation des salaires dans le secteur public à la fin du second trimestre.
Les recettes publiques ne représentaient que 5,4% du PIB fin juin, dû à la fonte des recettes pétrolières ainsi que des recettes fiscales non pétrolières, tandis que les dépenses publiques augmentaient à 39% du PIB fin juin, contre 32% au premier trimestre.
Recettes, dépenses et déficit public (% du PIB)La dette publique a en outre atteint 73% du PIB, tirée vers le haut par le creusement du déficit et la nécessité d'accroître les emprunts extérieurs. En 2013, l’Iran a ouvert une ligne de crédit de 3,6 milliards de dollars pour l’achat de produits pétroliers, visant à contrer l’embargo occidental, et une autre ligne d’un milliard de dollars pour d’autres types d’achats. La dette syrienne, qui s’élevait à 23% du PIB en 2010, était l’une des plus faibles dans le monde avant le début du conflit.
Dette externe, dette locale et dette globale (% PIB)Source : SCPR
Dépréciation de 115% du taux de change
Sur le plan monétaire, la livre syrienne a continué de perdre de sa valeur face au chaos politico-sécuritaire et à la dépression économique, avec une dévaluation de 18,5% du taux officiel au second trimestre de 2013, contre 8,9% au premier trimestre. Le taux de change officiel a chuté de 115% entre mars 2011 et juin 2013.
Théoriquement, cette dépréciation devait contribuer à améliorer la compétitivité et doper les exportations, notamment celle des produits non pétroliers. Cependant, la dévaluation de la livre a été accompagnée d'un taux de change réel relativement stagnant en raison de la hausse vertigineuse des prix, laquelle, par ailleurs, a porté un coup dur au pouvoir d’achat et décimé une partie de la classe moyenne.
Hausse des prix, selon les différentes catégorie de produits (mars 2011/mars 2013)
De ce fait, le taux de change réel s’est apprécié au cours du deuxième trimestre de 2013, nuisant davantage aux exportations non pétrolières déjà affectées par les sanctions externes et le conflit militaire.
En parallèle, alors que la Banque centrale tente de règlementer la dévaluation afin de limiter la spéculation, le marché noir a continué de se développer avec un taux de change moyen de 182 livres pour un dollar en juin 2013, comparativement à une moyenne de 107 livres/dollar trois mois plus tôt. Cela a créé un écart croissant entre le taux officiel et le taux officieux, ayant atteint près de 80 livres en juin dernier, soit 80% du taux officiel.
Ces difficultés ont été exacerbées par une forte baisse des réserves en devises détenues par la banque centrale, estimées actuellement à près de 9 milliards de dollars, contre 18 à 20 milliards de dollars avant la crise.
Les divers taux de change (nominal, réel, officiel et officieux)
Sources : Banque centrale de Syrie, SCPR
Le chômage à 50% ; plus de 4 millions sous le seuil de pauvreté extrême
Sur le plan social, pas moins de 2,3 millions d'emplois ont disparu depuis le début de la guerre, mettant en péril la vie de 10 millions de Syriens, selon le Syrian Center for policy research. Cela a propulsé le taux de chômage à plus de 50% au premier trimestre de 2013, avant de reculer à 48,6% durant les trois mois suivants, d’après le SCPR. Selon un rapport récent de l’ESCWA, cité par The Syria Report, le taux de chômage s’élève désormais à 60%. Celui-ci variait entre 10% et 15% au début de la crise (selon les estimations), contre une moyenne arabe de 25%.
Evolution de l’emploi et du chômage (2011-2013)
Source: SCPR
La destruction massive d’emplois a provoqué une augmentation sensible du taux de pauvreté. Plus de la moitié de la population (80%selon certaines estimations) vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, avec 7,9 millions de personnes supplémentaires ayant enfoncé le seuil depuis le début de la crise, dont 4,4 millions vivant désormais dans une situation de pauvreté extrême.
Avant la crise, près de 7,4 millions de personnes étaient classés entre les limites supérieure et inférieure de pauvreté, soit 36% de la population. Selon le Programme alimentaire mondial des Nations Unies, cette situation a été exacerbée par une insécurité alimentaire croissante ; une baisse de 40% de la production de blé a été observée entre 2012 et 2013, celle-ci passant de 4,5 millions à 2,4 millions de tonnes.
En parallèle, le salaire médian a chuté de plus de 40% au cours des trois dernières années, selon The Syrian Observer. Celui-ci s’élevait à 12 000 livres syriennes, soit 255 dollars au taux de change officiel de l'époque. Aujourd'hui, le salaire médian est inférieur à 16 000 livres (l’équivalent de 150 dollars aux taux actuels).
Reflétant cette détérioration du niveau de vie, l'indice de développement humain (IDH) a perdu 20,6% de sa valeur par rapport à 2010, renouant avec ses niveaux du début des années 1980. L’indice est prévu d’atteindre un plus bas de 0,513 d’ici juin, contre 0,646 en 2011.
Evolution de l'IDH de 2005 à 2014 (scénarios de crise et de paix)
Source: Banque mondiale, SCPR
Cette baisse de l'indice est largement liée à l'impact dévastateur de la crise sur le secteur de l'éducation. Selon le rapport du SCPR, le taux de décrochage scolaire s’élevait à près de 50% à la fin du premier semestre de 2013, ce qui signifie que la moitié des enfants n’ont plus d’accès à l’éducation. Dans le même temps, le système éducatif a perdu près de 3.000 écoles en raison des dégâts physiques causés par le conflit, tandis que 683 autres établissements servent d’abris pour les personnes déplacées.
Le système de santé est également confronté à un effondrement significatif. Le nombre de médecins par rapport à la population est passé d’un ratio de 1:661 (un médecin pour 661 personnes) en 2010 à 1:4,041 fin juin 2013. En parallèle, quelque 57 hôpitaux ont été endommagés par les combats et 37 autres sont hors service, tandis que 593 centres de soins primaires – source principale de médicaments pour les malades chroniques - sont touchés.
Sur le plan social, le conflit armé a en outre provoqué un phénomène massif de déplacement et de migration interne forcée, tandis que la population réfugiée dans les pays voisins ne cesse de croître. Selon le SCPR, plus d'un tiers des Syriens (36,9%) ont quitté leur lieu de résidence habituel, tandis que trois millions de personnes ont quitté le pays, dont 1,73 million de réfugiés (notamment au Liban, en Jordanie et en Turquie) et 1,37 million d’émigrés (vers le Canada, les Etats-Unis, la France, etc.). En outre, plus de 4,8 millions de personnes (20% de la population) ont été déplacées à l'intérieur du pays.