Mondiaux d'athlétisme : Bondarenko à la hauteur ?
Les quelques 40 000 spectateurs annoncés dans le Stade Loujniki assisteront-ils ce soir au premier record de ces championnats du monde, lors de la finale du saut en hauteur ? L’Ukrainien Bohdan Bondarenko s’est approché cette année à 4 cm du record du monde vieux de vingt ans établi par le Cubain Javier Sotomayor : 2 m 45, soit un centimètre de plus que la hauteur d’une barre transversale des buts de football.
Progressions vertigineuses
Les records du monde sont de plus en plus difficiles à battre aujourd'hui, alors qu'aux Jeux de 1980, dans ce même stade, six records du monde avaient été battus: chez les femmes, le800 m, le relais 4x100 m et le pentathlon, et chez les hommes, le lancer du marteau, le saut à la perche et aussi le saut en hauteur avec 2 m 36, par à un inconnu, Gerd Wessig . La meilleure marque personnelle de l’ Allemand de l’Est âgé de 21 ans fit un bond de 15 cm, soit une progression de 7 %. La comparaison de ses performances maximales d’entraînement entre 1979 et 1980 révèle que sa détente fut améliorée de 9 %, sa vitesse de 13 % et sa force de 24 %. Et d’après les documents exhumés en 1991 par Brigitte Berendonk (1), la plus grosse augmentation se trouvait en fait dans les doses d’Oral-Turinabol (stéroïde anabolisant) : 130 %...
En 2013, la stupéfiante domination de Bondarenko a soulevé quelques sourcils… Mais contrairement à Wessig, l’Ukrainien avait déjà fait ses preuves : champion du monde junior en 2008, et champion d’Europe espoir des moins de 23 ans en 2011. Entre temps, son ascension a été ralentie par une intervention chirurgicale sur son pied d’appel en novembre 2009, avant une nouvelle série d’opérations aux deux pieds. Un longue rééducation l’a obligé à porter des bottes orthopédiques à la ville comme au stade, et le convalescent a même réussi à sauter 2 m 10. Débarrassé de ses soucis physiques, le finaliste olympique de Londres (7e) a ajouté 10 cm à son record personnel pour le porter à 2 m 41 et a effectué pas moins de cinq tentatives contre les fameux 2 m 45.
Pourra-t-il le battre ce soir ? Les légendes de la discipline que j’ai consultées sont partagées. L’ancien soviétique Igor Paklin, détenteur du record du monde en 1985 avec 2 m 41 y croit : « Avec Bondarenko, il faut s’attendre à tout. Seul lui peut battre le record. » Son successeur Patrick Sjöberg, 2 m 42 en 1987, veut y croire : « Je ne l’ai jamais vu sauter, mais en tout cas, je lui souhaite bonne chance ! Je ne sais pas pourquoi le record est toujours là, en tout cas il est temps qu'il soit battu... Mais Sotomayor pense peut-être différemment ! » D'après son compatriote suédois Stefan Holm, c’est non : « Je ne crois pas qu’il puisse le faire ici à Moscou. Les records du monde sont rarement battus en grands championnats, et il a encore cinq énormes centimètres à combler », estime le champion olympique en 2004 et auteur d’un 2 m 40 en salle. « Avant cela, il devra faire d’autres grands sauts à des hauteurs de 2 m 40, 2 m 41, 2 m 42… Il n’a fait seulement que sept compétitions à plus de 2 m 30 dans sa carrière! » Selon Holm, Bondarenko n’a peur de rien et la victoire lui semble promise : « Il est très fort physiquement, il court très vite et semble n’avoir absolument aucun respect pour les barres avoisinant le record du monde. Peut-être que Mutaz Barshim (Qatar), Erik Kynard (Etats-Unis), Derek Drouin (Canada) ou Ivan Ukhov (Russie) peuvent le battre, mais il faudra qu’ils sortent le saut de leur vie et que Bondarenko soit dans un jour sans… »
Dwight Stones : « Sotomayor ne savait pas qu'il était dopé »
Unique français engagé à Moscou, Mickael Hanany (éliminé en qualifications) est lui aussi réservé : « Il peut le battre mais il faudra qu'il soit dans les bonnes dispositions psychologiques. Ce qui est difficile en championnats », explique finaliste mondial en 2009 (5e). L’Italienne Sara Simeoni, lauréate des Jeux de Moscou, avait elle réussi à égaler son propre record (2 m 01) lors des championnats d’Europe de Prague en 1978 : « Pour moi, il a le tempérament qu’il faut pour s’attaquer au record. J’ai regardé le concours de qualification et aussi son saut à 2 m 41, il possède une course vitesse de course d’élan et une impulsion fantastique. » Hanany poursuit l’analyse de ses points forts : « Il décolle dans un très bon schéma biomécanique, bien aligné, haut sur ses appuis, sans se précipiter sur la barre, un franchissement technique, et il est très léger ».
Tout cela n’est pas suffisant pour dépasser Sotomayor, selon l’Américain Dwight Stones, premier homme à 2 m 30 il y a 40 ans. « Les 2 m 45 ne vont pas être effacés de sitôt. Ce record est un produit du dopage et d’une autre époque, affirme celui qui fut le premier à battre le record du monde avec le ‘flop’, le style popularisé par Dick Fosbury aux Jeux de 1968. « Je suis certain que 'Soto' ne savait pas qu’il était dopé durant sa carrière. Il rendrait service au saut en hauteur s’il admettait que ses performances ont été gonflées par des produits interdits. Personnellement, je l’aime bien, mais ce serait bon pour la légitimité et l’intégrité de notre sport qu’il renonce à ses performances. Il ne le fera pas car un record fait partie de l’identité de l’athlète, ça lui appartient, et y renoncer après plus de 20 ans est très difficile… » Stones porte aussi ses soupçons sur Bondarenko : « Je dois dire que je suis perplexe devant sa progression cette saison ».
L’Américain se détache aussi par ses prédictions à propos de la finale de ce soir : « ‘Bondo’ a atteint son pic de forme trop tôt dans la saison avec ses sauts en juillet. Je crois que Kynard finira devant lui, et en fait, il va peut-être même avoir du mal à décrocher une médaille… »
(1) Brigitte Berendonk, Doping-Dokumente. Springer, Berlin (1991)
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