Diane Sambron,
historienne,
spécialiste du monde arabe, de l'islam et du droit des femmes
Diane Sambron, Historienne
Diane Sambron est docteure en histoire contemporaine Paris IV-Sorbonne, spécialiste du monde arabe, de l’islam et de la question des droits des femmes. Elle a soutenu une thèse sur «La politique d’émancipation du gouvernement français à l’égard des femmes musulmanes pendant la guerre d’Algérie» sous la direction de Jacques Frémeaux.
Marcela Ferraru réalisatrice
Les femmes musulmanes furent les héroïnes de la bataille d’Alger. A ce titre, elles gagnèrent toute la reconnaissance et le respect de la patrie naissante en 1962. La Constitution algérienne a reconnu qu’en raison de leur participation à la guerre, « les femmes algériennes ont acquis tous leurs droits ».
Or, l’évolution de leurs droits s’infléchit constamment sous les gouvernements successifs de l’Algérie indépendante, jusqu’à l’adoption en 1984 du code de la famille, aussi qualifié « code de l’infamie », ou des projets de vote par procuration des femmes dans les années 90.
Cette situation est inédite dans un bassin méditerranéen où les droits des femmes, notamment en matière de charia, ont partout progressés : en Tunisie, Maroc…
Cet ouvrage offre un plaidoyer en faveur des droits des femmes d’Algérie et démontre que la liberté et l’égalité, valeurs universelles et louables pour revendiquer, comme le fit l’Algérie, le droit à l’indépendance, ne se sont pas traduites par l’émancipation d’une moitié de sa population.
Au-delà de l’aspect militant, le livre retrace de manière fidèle, précise, et exhaustive l’évolution de la condition des femmes en Algérie, depuis la fin du XIXème siècle jusqu’aux années post-indépendance. L’exercice étant inédit, il entend permettre aux femmes musulmanes d’Algérie et à celles issues de l’immigration algérienne, de se réapproprier une mémoire, celle de l’évolution de leurs droits et de leur condition et permet en outre de témoigner de l’évolution du système colonial français de l’époque.
Thèse de Diane Sambron sur les femmes algériennes durant la guerre d'Algérie et la politique française à leur égard.
Analyse de Maurice Faivre.
La politique d’émancipation du gouvernement français
à l’égard des femmes musulmanes pendant la guerre d’Algérie.
Thèse de Diane Sambron. 771 pages dont 236 pages d’annexes.
Bibliographie.
Sources : Archives SHAT (2ème et 5ème Bureau) - CAOM : cabinet du DGGA – OURS
CAC : Ministères Justice, Education nationale, Travail – Bibliothèque Marguerite Durand.
Dirigée par Jacques Frémeaux, cette thèse de doctorat a été soutenue à l’université de Paris IV le 7 octobre 2005.
Après un préambule traitant de la condition féminine musulmane en Algérie au début de la colonisation, se référant au droit islamique et aux influences culturelles et sociologiques du réformisme et de la colonisation, la thèse comprend trois parties :
I. Les femmes musulmanes, enjeu de la guerre. Pour contrer la participation des femmes à la lutte pour l’indépendance, l’armée française engage une action sociale et politique qui comporte des résultats positifs, mais aussi des limites1.
II . Evolution statutaire de la musulmane. La réforme du statut personnel s’accompagne d’un accès à la citoyenneté.
III. Evolution de l’insertion économique, par la solarisation et le travail.
La conclusion montre que pendant une période de latence de dix ans, ces réformes ont été conservées par le pouvoir algérien, mais qu’elles ont ensuite été remises en cause par un Code de la famille rétrograde.
Cette thèse très dense ne peut être résumée en quelques lignes. En voici les idées principales :
la condition des femmes selon le droit islamique (fiqh) et le droit coutumier berbère, présente un certain nombre de pratiques qui ne sont pas compatibles avec le Code civil : - le mariage précoce – la contrainte matrimoniale (djebr) – la répudiation – la polygamie – l’impossibilité d’hériter et de divorcer,
- les juristes français ont dès le début du 20ème siècle étudié ces pratiques et se sont efforcé de les faire évoluer dans un sens moderniste et égalitaire. Dans les années 1930, le statut kabyle a été aligné sur le droit malékite en matière d’héritage et de divorce. La citoyenneté, reconnue par le statut de 1947, n’a cependant pas été confirmée par décret,
- l’engagement de quelques femmes (11.000 sur 4 millions) dans le parti nationaliste a fait prendre en considération la nécessité d’engager les femmes dans la politique de pacification, et dans ce but de réformer la condition féminine. Il s’agit à la fois de protéger et de séduire la population. Des structures de soutien humanitaire sont créées à cet effet: assistantes des SAS, équipes médico-sociales itinérantes, et plus tard mouvement de solidarité féminine de mesdames Massu et Salan, qui suscite de très nombreuses adhésions,
- dès 1956 ont été entreprises des études par le 5ème Bureau, puis par une Commission des réformes présidée par Raymond Charles. Parallèlement au statut libéral accordé aux femmes tunisiennes par Bourguiba, une première loi a modifié en 1957 le régime des tutelles au bénéfice des femmes,
- le plan de scolarisation de mars 1955 envisage de développer la scolarisation des filles, qui devient obligatoire en ville en 1957, et dans le bled en février 1958. L’armée prend en compte cette scolarisation, qui avait été longtemps négligée, et qui atteint un niveau de 15% en 1960 (davantage en 1961),
- le droit de vote des femmes, accordé par la loi-cadre de février 1958, reçoit une large approbation lors du référendum du 28 septembre. Désormais, les femmes votent à toutes les échéances électorales suivantes.
- l’action volontariste des généraux Salan et de Gaulle aboutit enfin à l’ordonnance du 4 février 1959 sur les mariages contractés par les personnes de statut civil local, qui adapte le statut de la femme algérienne au statut de la métropolitaine. Elle consacre la protection de la femme dans la formation du mariage, et l’égalité des époux dans l’accès aux conditions de dissolution du mariage. L’âge légal est fixé à 15 ans, le mariage doit être inscrit à l’état-civil, le consentement des époux exclut la contrainte paternelle, le divorce judiciaire remplace la répudiation. Cependant la polygamie et une certaine inégalité successorale sont maintenues.
- L’ensemble de cette législation constitue une réforme profonde de la société musulmane, représentant une laïcisation du statut personnel et un rapport égalitaire vis-à-vis de la religion. L’islam positif est considéré comme compatible avec les droits de la femme, et le droit musulman désacralisé. Expérience originale, cette réforme se place dans une vision à long terme de la modernisation de la société par le biais des femmes.
L’opinion algérienne reste partagée, les enquêtes des préfets et de l’armée montrent que les réformes sont bien perçues par les fractions les plus jeunes, les élites intellectuelles et nombre de juristes musulmans, mais que les traditionnalistes, les religieux et les cadis sont très réticents. La scolarisation est acceptée, le mariage civil est mis en application de façon inégale, seul le droit de vote suscite l’enthousiasme.
- Dans sa conclusion, Diane Sambron décrit l’évolution des nationalistes algériens. Pendant la guerre, l’appel du FLN à la participation des femmes à la lutte a été constant, mais les femmes incorporées ont été retirées des maquis en 1957, et les incohérences du discours FLN au sujet de l’émancipation des femmes laissaient présager un retour à des rôles plus traditionnels des femmes. Alors que le programme de Tripoli proclamait l’égalité des droits homme-femme et l’accession au statut de citoyenne, la législation « coloniale » a été abrogée en 1973. Le mariage à la fatiha a été reconnue et la répudiation rétablie. Le Code de la famille (dit de l’infamie) consacre en 1984 l’incapacité juridique de la femme, la tutelle du père puis du mari, l’autorisation de travailler, le droit de répudier, la polygamie, la limitation des sorties aux visites de la famille, la perte du domicile en cas de divorce. Ce retour à l’orthodoxie religieuse, qui semble en totale contradiction avec la Constitution de l’Etat algérien, suscite l’opposition des modernistes. Seule la scolarisation des filles a progressé jusqu’à 70%. Mais le travail salarié ne touche que 8% des femmes, indice comparable à ceux de l’Arabie saoudite et de l’Iran.
- parmi ces limites, l’auteur examine le cas des femmes arrêtées, certaines torturées ou violées. Elle note que ces exactions, qui ne sont pas généralisées, sont contre-productives pour la politique de pacification, et que le commandement les sanctionne.