Journalisme de guerre ou marketing
Gaza: journalisme de guerre ou marketing
Rien, au regard des images de Gaza, ne permet d’affirmer que le Hamas dispose vraiment de combattants. Il y a certes ces conférences de presse ponctuelles, qui mettent en scène deux ou trois islamistes cagoulés et munis de fusils, pour la photo. C’est peu, pour ce qui est censé faire office de branche armée.
Plusieurs articles ou bloggeurs commencent à s’interroger sur le travail des reporters à Gaza, accusés de ne pas avoir fait leur travail ou d’avoir trop facilement cédé aux pressions des islamistes. Au New York Times, la question a été posée. Pourquoi si peu de clichés d’hommes en arme dans ses colonnes? Tout simplement parce que ces images n’existent pas, répond le quotidien, certainement de bonne foi.
Les journalistes ne sont pas parvenus à filmer le Hamas. Mais ont-ils seulement cherché à le faire? Une journaliste finlandaise apporte, bien malgré elle, un élément de réponse édifiant. Prise involontairement dans une guerre de communication, elle s’est retrouvée à la une de sites pro-israéliens pour avoir constaté que le Hamas tire bien des roquettes à proximité des hôpitaux. Elle se sent instrumentalisée et, sur Facebook, elle s’insurge: “Je suis venue dans la bande de Gaza pour couvrir la mort de quatre jeunes enfants jouant sur la plage”, écrit-elle, accusant l’armée de les avoir attaqués gratuitement.
Pas de sang, pas de journalistes. Elle, comme les autres, n’est donc pas venue collecter, enquêter, rassembler, vérifier ni comprendre. Comme elle le sous-entend elle même, elle n’est venue que pour filmer les morts qui accréditent le préjugé diffamatoire et répandu selon lequel l’armée israélienne tire sans distinction. Bouclier humain, chair humaine: peu importe le premier, il faut filmer le second. Son doigt accusateur, la journaliste le pointe sur l’armée, pas sur les islamistes dont elle constate pourtant les tirs depuis des zones civiles. En cela, elle interprète et met en récit une succession de faits connus de tous, hiérarchisés et mis en forme de façon à coller à son auditoire, à l’opinion publique finlandaise.
Et on aurait bien tort de lui reprocher. Car la seule question qui vaille, partout dans le monde et dans n’importe quelle rédaction, c’est celle de la pertinence d’un sujet par rapport à un public donné. “Est-ce que le sujet va oui ou non intéresser notre lectorat?”. Indépendant de ses sources, le journaliste est par contre enchaîné par ses destinataires, le public pour lequel il écrit. Combien d’enquêtes rondement menées, au delà des préjugés… et lues par personne? La source d’un gros titre, c’est l’opinion publique telle que la perçoit le journaliste, même inconsciemment. Il taira ce qui n’intéresse personne et filmera le reste. Et c’est bien pour cela que le journalisme offre une caisse de résonance exceptionnelle à tous les préjugés d’une opinion publique donnée dans une démocratie.
Expulsion du Fatah de Gaza, tortures et répressions sans pitié de ses opposants politiques, tirs sur des millions d'Israéliens: les crimes de guerre du Hamas n’intéressent personne en Europe. Formées en Malaisie, équipées par l’Iran, financées par le Qatar, les forces armées du Hamas ne sont pourtant pas des fantômes.
“Nous avons contacté la direction qui n’a pas donné suite à notre appel”. Une phrase familière au téléspectateur, quelque soit le contexte.
La presse est prompte à révéler tout ce qui entrave ses enquêtes sur le terrain. “Les forces gouvernementales ont bloqué l’accès aux journalistes étrangers”, peut-on lire plus d’une fois lors de conflits. Mais à Gaza, si les entraves du Hamas n’ont pas trouvé l’écho qu'elles méritent, c’est parce que les opinions publiques ne voulaient pas l’entendre, trop occupées à penser ce préjugé selon lequel le blocus israélien est la principale cause des violences islamistes, et peu importe si le blocus égyptien n’est pas moins sévère, et peu importe si les violences ont largement précédé le blocus. C’est souvent l’opinion qui oriente le regard vers autre chose et les journalistes sont ses bras armés.
Diplômé d'un Master de sociologie politique à l'IEP de Paris, David Kleczewski est journaliste et doctorant à l'Université de Tel Aviv
http://www.i24news.tv/fr/opinions/39297-140805-david