Quand le mythe réécrit l'histoire
Quand le mythe réécrit l'histoire
Ce cinquantenaire de l'indépendance en Algérie aura sonné le glas de l'espoir de voir de leur vivant la vérité rétablie sur leur histoire dans la communauté des non musulmans exilés d'Algérie et de leurs amis musulmans, appelés « Harkis » pour simplifier. En effet, que ce soit la presse écrite, numérique ou les films et documentaires télévisés, tous font chorus pour vilipender encore et encore les sales Pieds-noirs, et leur comportement fait d'arrogance et de racisme, qui portent eux seuls le poids de la culpabilité du malheur et des drames qui ont endeuillés tous les Alégriens (on se souvient que le pays a été "baptisé" Algérie par... la France et donc tous ceux qui y vivaient, sans distinction, étaient des Algériens).
C'est bien simple, en ce qui me concerne, je m'abstiens de lire ou de regarder tout ce qui paraît sur ce sujet. Cela doit être confortable de penser «dans le sens » de ce vent de l'histoire que l'on tourne en bourrique tant on lui fait dire ce qu'on a envie d'entendre !
Il y a quelques années, le cinéaste algérien Jean-Pierre Lledo a tourné un documentaire auprès des vieux sétifois, ceux qui ont connu la révolte du 8 mai 1945 de près ou d'un peu plus loin dans le temps. Histoire de remettre les pendules à l'heure... Documentaire qui une fois réalisé sera refusé par Arte, les confidences des Algériens sur ce malheureux épisode venant contredire le beau mythe bien établi désormais avec ses 45.000 victimes et sa cause (la famine).
Jean-Pierre Lledo interroge :
« Pour se disculper d'un passé qui ne fut certes pas toujours glorieux, la France n'a-t-elle vraiment d'autre alternative que de reprendre à son compte les mythes de l'histoire officielle algérienne ? »
Il recommande la lecture du livre de Roger Vétillard : « Sétif, Mai 45, Massacres en Algérie » dont il dit :
« A ce jour et à ma connaissance, c'est l'ouvrage le plus complet, le dernier sur ce sujet, qui tient compte de toutes les sources, qui suit scrupuleusement la chronologie des événements, et dont l'honnêteté est unanimement saluée. »
Pourtant, Roger Vétillard n'est pas historien !
Voici l'analyse que le cinéaste m'a confiée, extraite d'une lettre ouverte adressée au Monde le 1e juin 2010 (à propos du film "Hors la loi") :
« (...) Enfoncer une porte largement ouverte
Évoquer la répression militaire française durant "la guerre d'Algérie", comme durant les "événements de mai 45", n'est pas, en France, enfoncer une porte, largement ouverte depuis des décennies par des historiens de renom, des centaines de romans et de films, depuis moins longtemps par les manuels scolaires, et le film documentaire, enfin depuis ces cinq dernières années par des déclarations de chefs de l'État, d'ambassadeurs français en Algérie, par les partis politiques, et abondamment par la presse à grand tirage et spécialisée...
L'Algérie bâillonnée : vérités officielles et sujets tabous
En Algérie, 48 ans après l'indépendance, et 21 ans après une nouvelle Constitution instituant le pluralisme et la liberté d'opinions, il n'y a par contre ni liberté de recherche pour les historiens, ni liberté de création pour les artistes, romanciers, et encore moins, cinéastes, ni liberté de parole pour les simples citoyens.
Quand il s'agit de l'histoire de la guerre d'indépendance et du nationalisme algérien, et de trois autres sujets tabous (Islam, Berbères et Juifs), l'Algérie est bâillonnée. Les artistes sont conviés à la représentation des vérités officielles, les historiens mis au pas. Et hormis les cinéastes précités, on censure les écrivains, notamment Boualem Sansal, Anouar Benmalek et Salim Bachi. Ou mieux encore, on tue : le chanteur kabyle Matoub Lounes, et le fils de l'autre chanteur kabyle Ferhat Mehenni, en lieu et place du père, par ailleurs aussi dirigeant politique opposant.
Les tabous de la guerre d'Algérie
L'histoire de la guerre 1954-62 ? Il ne faut pas dire, notamment, qu'elle a commencé et fini par un massacre des non-musulmans, essentiellement des travailleurs (le 1er novembre 1954, le 20 août 1955 à Philippeville, et le 5 juillet 1962 à Oran). Il ne faut pas dire non plus qu'elle a aussi été un grand massacre de tous les musulmans qui refusaient de se plier au FLN du début à la fin (des messalistes aux harkis). Et ce, sans distinction d'âge, de sexe, avec un raffinement de barbarie que seuls les islamistes ont égalé, durant ce qu'on appelle en Algérie "la décennie noire" (années 90).
La double stratégie du FLN
Il ne faut pas dire non plus que le FLN avait une double stratégie. L'une honorable, officielle destinée à l'ONU et à la gauche internationale : mettre fin à la relation coloniale. L'autre, officieuse, soigneusement dissimulée, la véritable stratégie mise en pratique sur le terrain, en appelant toujours aux sentiments religieux, le djihad, afin de cibler le non-musulman, au faciès, transformant l'idéal proclamé de Liberté en processus d'épuration ethnique qui s'est bien gardé de dire son nom. Cette stratégie a, comme on le sait, été couronnée de succès, l'islamisme finissant le travail, pour les rares qui comme moi sont restés jusqu'en 1993.
Le massacre des Juifs
Il ne faut pas dire surtout que cette stratégie était déjà, avant le FLN, celle du nationalisme, et qu'elle fut mise en pratique pour la première fois, en août 1934, à Constantine par le massacre des Juifs : plus d'une vingtaine, puis justement en mai 1945, toujours dans l'Est algérien – ce bastion du nationalisme et du mouvement religieux des Oulémas – par plus d'une centaine de morts, ciblés en tant que non-musulmans. Et ce dans les deux cas, seulement en quelques heures.
La stratégie terroriste génocidaire du FLN
Égorger, décapiter, violer en trois heures de temps, comme à El Halia (Philippeville), le 20 août 1955, presqu'une cinquantaine de personnes sur les 150 personnes de village de mineurs, n'était-ce pas à l'échelle d'un village déjà une stratégie génocidaire, dont le but évident n'était pas de vaincre l'armée française, mais d'épouvanter l'ensemble de la population non-musulmane d'Algérie afin de l'inciter à quitter son pays avant même l'indépendance ? N'est-ce pas cette journée aux faits d'armes si peu glorieux qui est devenue depuis l'indépendance la Journée officielle du Combattant ?
Si des cinéastes algériens veulent vraiment bousculer la vérité officielle, tâche effectivement qui incombe aux intellectuels, et non pas se voir combler par les satisfécits des gouvernants, gardiens d'une histoire mensongère – comme cela a été le cas récemment du film Hors-la-loi – n'est ce pas ce à quoi ils devraient s'atteler ?
La répression : la manipulation des chiffres
En 1945 comme en 1955, la répression fut terrible : l'immense majorité des victimes était des innocents qui n'avaient pas cru bon fuir dans les montagnes, comme les membres des commandos, lesquels sont restés, eux, pour la plupart bien vivants. L'un d'entre eux est même devenu général, après l'indépendance. Voilà qui est plus que tragique. Il y eut des milliers de morts musulmans, sur une durée de quatre à cinq semaines. Mais cette vérité n'est plus un scoop depuis 1945 !
Le scoop ce fut quand un quotidien algérien annonça ces dernières années qu'il y eut 100 000 morts. Il est vrai que quand "le grand spécialiste de l'histoire d'Algérie", l'unique apparemment à en juger par les grands médias français, signataire du texte qui me fait réagir, Benjamin Stora, est capable de donner des chiffres complètement différents selon les émissions auxquelles il participe... Mettre fin à ces spéculations aussi odieuses qu'irresponsables n'était pourtant pas si compliqué ! Pour connaître le nombre des victimes avec une grande exactitude, n'eut-il pas suffi que lors des cinq ou six recensements nationaux réalisés en Algérie depuis l'indépendance, soit ajoutée une seule question : "En mai 45, ou durant la guerre de libération, avez-vous eu dans votre famille un parent tué ou qui a disparu ?". Chacun se souvient encore de ce qui a pu arriver à son père ou à son grand-père ! Pourquoi les historiens n'ont-ils jamais adressé une telle demande à l'Etat algérien ?
( ...)
Benjamin Stora et le mirage de la "guerre des mémoires"
Enfin et à l'intention du même historien précité dont c'est le thème-dada, je voudrais m'inscrire en faux : il n'y a de guerre de mémoire que dans son imagination. Les témoins algériens, passifs ou actifs, de tous les massacres de non-musulmans, racontent (quand ils le peuvent) exactement la même chose que les survivants non-musulmans, et ce pour toutes les dates fortes déjà évoquées, 1945, 1955, et 1962. Presqu'au détail près ! Raison pour laquelle, précisément, mon dernier film Algérie, histoires à ne pas dire a été interdit.
De plus, demander que les victimes non-musulmanes soient mentionnées au même titre que les victimes musulmanes, en quoi cela peut-il être qualifié de "guerre" ? Guerre de mémoire ou lutte pour la Vérité, toute la Vérité ? Si enfin les archives étaient accessibles en Algérie comme elles le sont en France, si les témoins, les historiens, les intellectuels et les artistes algériens pouvaient témoigner chacun à leur manière, sans craindre pour leur vie, cet historien pourrait-il encore parler de "guerre des mémoires" ? Cette "guerre de mémoire", n'a-t-elle pas été plutôt inventée pour en masquer les causes véritables ? Une Algérie, enfin, démocratique le prouverait aussitôt. Mais en attendant, et on risque d'attendre encore très longtemps, les témoins auront disparu. L'histoire de l'Algérie indépendante ne se résume-t-elle pas d'ailleurs à celle de la disparition des témoins gênants ?
Donner la parole aux terroristes ou aux victimes ?
Devant cette situation qui peut s'éterniser en Algérie, que peut faire, que devrait faire la France ? Continuer à donner dans ses grands médias TV, comme pour se racheter des fautes passées, une représentation unilatérale, univoque, de l'histoire et de la mémoire algéro-française ? Continuer à donner la parole aux seules poseuses de bombes, dites joliment "porteuses de feu", en omettant de la donner aussi aux petites filles d'ouvriers qui perdirent leurs jambes et leurs bras, dans le meilleur des cas ?
Pour se disculper d'un passé qui ne fut certes pas toujours glorieux, la France n'a-t-elle vraiment d'autre alternative que de reprendre à son compte les mythes de l'histoire officielle algérienne ? Ou que de substituer à l'imagerie coloniale représentée par les fameuses cartes postales, une nouvelle imagerie cinématographiée, cette fois anticoloniale, mais toujours aussi simplette ? Si c'était le cas, à cette France qui par la force des choses deviendra de plus en plus algérienne et musulmane, on peut déjà lui prédire des lendemains difficiles.
Un demi-siècle après l'indépendance, n'est-il pas un peu tard pour défendre la cause anticolonialiste ? Si "l'attardé du colonialisme" n'est pas un sort enviable, l'attardé de l'anticolonialisme vaut-il mieux ? Pour ne pas être un attardé de la vérité historique, n'est-il pas temps de dire la vérité sans fard, et d'ouvrir les yeux aussi grands sur l'Algérie que sur la France ?
Et ceci non pas seulement pour la paix des mémoires, mais aussi pour comprendre le présent. Le tragique présent de l'Algérie précipitée par un islamisme qui a singé son prédécesseur nationaliste dans une guerre civile qui a fait 200 000 victimes. Mais aussi le présent français où le même islamisme, avec à peu près les mêmes méthodes (prières dans la rue, contrôle des femmes par la burqa obligatoire, agressions physiques pour intimider et neutraliser les élites qui résistent) se prépare sans doute à la même guerre civile.
Enfin, le lecteur doit savoir que mon enfance ayant baigné en Algérie dans un milieu communiste engagé pour l'indépendance, certes une indépendance non-épurée de ses enfants juifs et chrétiens, et donc n'ayant aucun des complexes qui semblent paralyser bon nombre d'historiens ou d'intellectuels français, de plus ayant été en Algérie de toutes les luttes pour la démocratie et la liberté, j'ai acquis me semble-t-il le droit de dire la réalité, telle qu'elle est, et non telle que je l'aurais voulue. » (Jean-Pierre Lledo)
Un autre point de vue qui corrobore celuide Lledo : Roger Vétillard qui dans son livre cité plus haut par Jean-Pierre Lledo, recense le bilan du nombre de victimes selon diverses sources
"Il faut remarquer, d'une façon schématique dans le tableau suivant, que le nombre de victimes annoncées augmente au fur et à mesure que l'on s'éloigne des événements."
Nombre de victimes Sources de l'estimation :
202 Européens < 900 à 1000 « Arabes » Major Rice (état-major des troupes britanniques en AFN (idem rapport JICAME)
Louis Garros, Historama, 1966
1 165 Yves Chataigneau
1 500 Adrien Tixier ; Henri Jacquin : 400 Européens dont 300 femmes et enfants – 800 musulmans francophiles tués – 1 500 émeutiers tués
< 2000 «Arabes»
> 100 Européens Colonel Adolphe Goutard encyclopédie.snyke.com
< 3 000 indigènes Jean-Charles Jauffret et www.arab.net (> 2 000 Algériens et 84 Européens)
Maurice Villard : 2 551 musulmans tués, 103 Européens, 800 in¬digènes francophiles assassinés
Estimations militaires 2 628 indigènes tués
5 000 à 6 000 M. de Serres, ancien chef de cabinet du gouverneur général Y. Chataigneau ; Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN ; C.-R. Ageron
6 000 Colonel Louis Shoen -2e bureau
6 000 Robert Aron
6 000 Musulmans et >100 Européens Colombia Electronic Encyclopedia 2000 (USA)
www.arabies.com (103 Européens et 6 000 Musulmans)
6 000 à 8 000 Le Populaire d'Alger, 28 juin 1945, C.-A. Julien et Le Monde Diplo¬matique de juin 2001
6 000 à 7 000 Les milieux militaires en 1946
6 000 à 7 000 Pierre Ordioni : 6 000 à 7 000 Algériens et 103 morts et 150 grands blessés européens
Alistair Horne
6 000 à 7 000 Ch.-R. Ageron, S. Nabila, Horizons 30 oct. 2004, www.horizons-dz.com/ (6 000 à 7 500)
Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire (6 000 à 8 000 pour eux) Benjamin Stora 8 000, France-Culture, 30 avril 2005.
7 000 à 18 000 Internaute magazine (< 10 000 victimes) New York Time, 25/12/1946 (Manfred Halpern) et G. Meynier (Le Monde 28/10/04)
10 000 Jean Lacouture, James Foissie, Stars and Stripes, 31/05/45 ; Rachid Messli et Abbas Aroua (de 8 000 à 10 000), Centre de recherche historique sur l'Algérie ; Mehdi Lalloui dans Sétif Info 15/04/05 (entre 5 000 et 20 000) ; Hubert Colin de Verdières, ambassadeur de France à Alger, dé¬claration à Alger, 28/04/05
15 000 Charles-Henri Favrod qui, comme beaucoup, cite à tort le rap¬port Tubert ; Benjamin Stora, Le Monde, 8/05/2005
7 500 à 15 000 FNACA (association d'anciens combattants de la guerre d'Algérie) ; Jean-Pierre Peyroulou, Encyclopédie Wikipédia
15 000 à 30 000 Louis Périllier, ancien préfet d'Alger
15 000 à 20 000 M. Chaulet, membre du conseil économique et social ; Jean Daniel Nouvel Obs 11 mai 2005 ;
James O. Goldsborough, The San Diego Tribune 04/06/2002 (6 000 à 20 000 victimes) ; Liberté (quotidien algérien) 08/05/2005
15 000 à 45 000 C.L. Sulzberger, New York Times du 25/12/1946
20 000 Jean-Louis Planche, André Prenant en 1948
Ferhat Abbas, 23 mai 1946 à Saïda ; Benjamin Stora, Les morts de la guerre d'Algérie, 2005
20 000 à 25 000 André Prenant, 1962
20 000 à 30 000 Germaine Tillion (qui a, par ailleurs, donné un autre chiffre de 15 000 à 20 000) ; J.-L. Planche, Le Monde du 7/5/2005 et dans son livre, en 2006
25 000 environ René Vautier, Colloque universitaire de Brest, 1998 ; Jacques Duquesne
30 000 Y. M Danan ; El Djamhouria Moussawa, journal égyptien du 27 août 1948
35 000 à 80 000 Milieux officieux américains 35 000 pour le PPA le 28 juin 1945 (tract conservé au CAOM 11H 58)
40 000 El Manar, 17 mai 1952 ; L'Humanité, 8/5/2001 ; PPA dans un tract distribué le 8 mai 1947 , Messali Hadj, juil¬let 1954 au congrès d'Hornu
45 000 El Manar, le 4 mai 1951 (Mahmoud Bouzouzou, réd. en chef), 40 000 l'année suivante, Ahmed Ben Bella, Genève 10 et 11 mars 1985. Affirma-tion de tous ceux dont la sympathie aux natio-na¬listes algériens est inconditionnellement acquise
45 000 Algériens et 103 Européens Historiographie officielle algérienne ;
Jacques Simon
55 000 Radio Le Caire – mai 1945
65 000 Ahmed Ben Bella dans les années 1950/54 (à comparer à ses chiffres de 1985)
85 000 El Bassaïr – journal des ouléma et El Moujahid, mai 2003
90 000 M. Boussouf – réunion de la délégation financière – décembre 1946 – Alger
100 000 El Moujahid, rubrique Histoire, 8 mai 2003
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Il est vrai qu'il existe des tonnes de documents authentiques qui pourraient éclairer les chercheurs de vérité, mais bien souvent, par économie de temps et par confort idéologique, on se contente des "digest" officiels qui ont bien sûr pignon et opinoin sur rue...
Si j'ai autrefois activement défendu ce qui est véridique mais outargeusement déformé, aujourd'hui je me contente de raconter à nos enfants ce qui fut en espérant qu'ils transmettront à leur tour à leurs enfants et qu'à jamais ils seront fiers de l'ouvrage accompli par leurs ascendants nés en Algérie et par la suite, condamnés injustement à l'exil...
M.A.