Le Tour de France: détours d’une épopée centenaire
Christian Duteil
Le Tour de France est une grande épopée qui draine les foules et réunit tous les publics du samedi 29 juin au 21 juillet. Spectacle gratuit qui offre une image contrastée de la France, le Tour aujourd’hui centenaire constitue l’un des événements sportifs les plus populaires. Avec les Jeux Olympiques et la Coupe du Monde de Football. Diffusée par plus de 80 chaînes de télévision dans 190 pays, la grande Boucle attirerait bon an mal an un milliard de téléspectateurs.
Aussi, à la sempiternelle diatribe des grincheux et des esprits chagrins «Le Tour se meurt», Antoine Blondin répliquait avec malice: «Je ne sais pas s’il meurt… mais il y a beaucoup de monde à l’enterrement».
Le régional de l’étape.
En 2013, année du centenaire de la course, le départ a été donné à Porto Vecchio, en Corse que les coureurs sillonnent de fond en comble de Bastia à Ajaccio. Une première réussie au milieu de villages en liesse, de paysages superbes et de sites historiques. Comme le notait Roland Barthes dans « Mythologies » dès 1957 : « La Géographie du Tour est entièrement soumise à la nécessité épique de l’épreuve. Les éléments et les terrains sont personnifiés, car c’est avec eux que l’homme se mesure et comme dans toute épopée il importe que la lutte oppose des mesures égales : l’homme est donc naturalisé, la Nature humanisée. » Comme dans la mythique classique Paris Roubaix, le coureur plonge, il traverse, il vole, il adhère, il recolle pour mieux s’envoler vers la ligne d’arrivée. C’est son lien au sol qui le définit et le métamorphose en héros d’une vaste épopée où il faut se montrer. Pas question d’oublier « le régional de l’étape »
Tour nostalgie qui nous immerge dans l’enfance, notre enfance sur les traces des duels entre Anquetil et Poulidor qui divisaient la France en deux, entre Fignon et Lemond séparés par une poignée de secondes lors de l’ultime étape contre la montre sur les Champs-Elysées et les envolées somptueuses de « l’ange de la montagne » Charly Gaul dans des conditions dantesques. C’est pourquoi on n’oublie pas d’inviter sur le Tour les anciens champions comme Bernard Hinault mais aussi les juniors pour préparer la relève. Certains s’y invitent eux-mêmes comme Lance Armstrong, sextuple vainqueur déchu et honni de la Grande Boucle, qui déclarait à la veille du départ de la 100e édition dans un entretien exclusif au « Monde » : « Le Tour de France ? Impossible de le gagner sans dopage ». Ca fait partie des échappées verbales et de la chanson de gestes de cette course pas comme les autres.
Mais si les liens qui unissent le Tour et la légende sont indélébiles alors qu’il tente de se démarquer du dopage en multipliant les contrôles, la lutte de classes n’y est pas gommée entre les grands et les domestiques, les leaders de chaque équipe et les équipiers qui se sacrifient pour eux au point de céder leur vélo en cas de crevaison ou de chute. Pour des clopinettes… et le sentiment du devoir accompli.
En 1903, les coureurs gagnaient 5 francs par jour, une prime de 3000 francs était promise au vainqueur. En 2003, le vainqueur du classement général au temps perçoit 450 000 euros et chaque vainqueur d’étape gagne 8000 euros. Mais nombre de coureurs anonymes termineront la course de trois semaines en ayant sué sang et eau pour environ 2000 euros. Le peloton reste mal payé mais les sponsors de la caravane publicitaire y trouvent leur compte surfant sur un effet d’image encore considérable du Tour malgré les scandales du dopage de certaines équipes depuis 1998.
Signe des temps frileux, on n’évoque plus un éventuel Tour d’Europe comme du temps de Jacques Delors amoureux de la Grande Boucle où l’effort était souverain et les champions intouchables. Mais on insiste toujours sur le Tour vitrine pour la France avec un parfum nationaliste, voire un zeste de chauvinisme chez les commentateurs qui s’enflamment au micro lorsque l’Alpe d’Huez est en vue. La boucle est bouclée.
CD