A l’ère d’Internet,
écrire l’actualité dans l’espace public
Christian Duteil
Le nouveau journaliste «révolutionnaire» veut rompre avec la figure convenue et dévoyée de l’ancien «publiciste» cher à Lénine et au «politiquement correct». Ce contraste des postures/impostures est illustré et mis en scène de belle manière dans le dessin achevé pour «Le Serment du Jeu de Paume» du peintre David, en 1791. On peut voir, exposé au centre de la salle, le publiciste traditionnel, Barère, du «Point du Jour» - dont le sous-titre est explicite « Recueil de ce qui s’est passé la veille à l’Assemblée nationale», prendre avec soin des notes, recevoir passivement, sans discuter et sans esprit critique, la parole du pouvoir dont il semble l’interlocuteur privilégié. Dans le Haut du coin droit, on peut aussi apercevoir beaucoup moins visible Marat, rédigeant et bouclant dans l’urgence un exemplaire de « l’Ami du peuple ». Il est debout, tournant le dos à la salle et à ceux qui nous gouvernent et ont le pouvoir, faisant face à ce qui se passe dehors, pour témoigner de ce qu’il a vu et non de ce qu’on lui a dicté d’en haut[1]. De toute évidence, le « reporter d’idées » qui tente d’écrire aujourd’hui l’actualité dans l’espace public est plus proche de Marat de «L’Ami du Peuple» que de Barère du «Point du Jour»
Il reste qu’en ce début du XXIe siècle la presse plongée dans un système économique hyperconcurrentiel ne prétend plus aujourd’hui à l’objectivité et à l’exhaustivité. Revendiquant sa légitime subjectivité, elle se nourrit surtout de visible et de faits sensationnels pour capter son public et vendre du papier, de l’information, de l’émotion et des images. Pour arriver à ses fins, elle cherche ce qui peut être avant tout montré, hiérarchisé, mis en scène afin de tenter de séduire ou de reconquérir un public blasé et versatile qui surfe sur le réseau mondial d’Internet en jouant parfois au journaliste amateur avec son téléphone portable perfectionné et confondant souvent communication et information.
Pour le philosophe Marcel Cauchet, l’expertise du journaliste professionnel est toujours plus nécessaire pour guider le citoyen dans le dédale de l’information. Ce qui ne dispense pas les journaux en crise (cf. France Soir) de chercher des synergies avec le Web «il ne faut pas déduire de l’amateurisme global la pulvérisation intégrale du professionnalisme. C’est l’inverse qui va se produire. Le moment actuel est un passage. Mais à l’arrivée, le niveau d’exigence à l’égard de la presse sera plus élevé et non plus bas.»
Vaste programme qu’il convient d’explorer dans toutes ses apories et ses excès.
CD