Education et école : parole de prof !
UNE VIE D'EXPÉRIENCES, DE TRANSMISSIONS ET D'AMOUR.
J'ai toujours pensé que la pédagogie, pour qui possède « la foi », devait naître de l'observation directe et personnelle des enfants (Je préférais parler de lecteur plus que de lecture...de lecteur potentiel plus que de méthode de lecture...) et non tomber comme un « prêt à enseigner » venu d'ailleurs.
Comme un passeur aujourd'hui encore, et toujours de passage j'ouvre ce petit chemin de traverse entre enseignants et enseignés avec l'orthographe, la lecture et les dictées, les bêtisiers et les jolies choses qui ne s'inventent pas et qui sont de l'enfance.
Quand la dictée est bien entourée...
Voilà une bête préhistorique, un machin archaïque qui a pratiquement disparu des salles de classe. Elle a été ma bête noire aussi, et pourtant j'étais convaincu qu'elle avait son intérêt, qu'elle pouvait devenir moment de plaisir... je réfléchissais au moyen de la réhabiliter.
J'avais été frappé par l'aversion pour cette discipline. Elle était inscrite dans la mémoire collective et ces enfants qui l'avaient très peu pratiquée s'en montraient effrayés.
L'idée m'est venue incidemment. Alors qu'un enfant, au tableau, hésitait à écrire un mot de peur de ne savoir l'orthographier correctement, je l'invitai à le faire comme il le sentait. Devant son échec et une fois la faute corrigée, lui tendant la brosse, je lui dis : « Tu vois, ce mot est sans défense et avec cette brosse tu peux le faire disparaître... tu peux toujours le corriger, le rayer, l'effacer... le maître c'est toi. »
J'étais persuadé que mettre l'enfant en contact avec l'orthographe restait possible, et pour son plus grand plaisir, à condition de supprimer la peur de la dictée.
Chacun s'est exprimé rapidement sur sa peur de faire des fautes. Les invitant à dire combien ils pourraient en faire, ils m'indiquaient, sans le savoir, leur échelle de peur et c'est là-dessus que j'ai tenté mon coup d'essai.
C'est là qu'est née notre séance de dictée, une fois par semaine et allait se dérouler de la manière suivante :
La dictée devenait une affaire personnelle, les fautes des autres ne nous intéressaient plus. Chacun devait noter en début de séance sous le mot « dictée » son objectif personnel. ( Ex. Objectif personnel : moins de 20 fautes )
Le nombre indiqué permettait à chacun de se jauger mais nous renseignait, aussi, sur la confiance en soi, la capacité à dompter sa peur de l'échec en gardant des marges trop grandes entre une séance et l'autre. Les élèves peu sûrs d'eux se réservaient des marges importantes même lorsque l'objectif était atteint. Je devais les convaincre de resserrer leurs prévisions avec le droit de faire marche arrière.
A la fin de chaque dictée, après correction collective et autocorrection apparaissait la mention « objectif atteint » ou « objectif non atteint ». La séance suivante en était conditionnée.
Le but suprême de la démarche était, si possible, de parvenir quelques mois plus tard, à un objectif commun : « moins de cinq fautes ».
Objectif qui devenait implicite, sans être mentionné et qui préservait du « syndrome du zéro faute ». Il fallait éviter de tomber dans l'effet inverse pour les meilleurs : la peur de ne plus faire zéro faute... recommencer à en refaire.
Le droit de naviguer entre zéro et cinq fautes était une marge raisonnable et rassurante.
Ce moment tant redouté des enfants était devenu un moment attendu, l'occasion d'apprendre, voire de s'amuser, en étant acteur sans être paralysé par l'angoisse...
Cette approche dépassait largement le cadre de la dictée et rejaillissait sur la personnalité tout entière.
Le contenu, était un contenu classique. Je choisissais souvent des textes parmi ceux déjà connus des lectures, parfois un enfant proposait un texte (qu'il connaissait et devait faire zéro faute à priori). Puis un samedi sur trois, sans prévenir, on revenait sur une dictée ancienne dans un moment intitulé : « Qu'ai-je retenu ? »
Nous avions d'autres approches de l'orthographe, toutes aussi amusantes, notamment pour les mots invariables... et puis d'autres encore, l'écrit était omniprésent et ne faisait plus grand peur.
S'exprimer par écrit.
L'expression écrite est une pratique difficile à mettre en œuvre. Naguère appelée rédaction, elle suivait les saisons pour un travail à thèmes, plus tard, elle deviendra « texte libre ». Comme s'il suffisait de décréter la liberté de choix du thème pour que la lumière fût. Bien souvent, les enfants se trouvaient en panne d'inspiration devant cette fausse liberté et les enseignants devaient se montrer très persuasifs pour, finalement, les guider vers un choix qui n'en était plus un.
J'ai toujours pensé que la pédagogie se nourrissait de l'observation des enfants, qu'elle ne tombait pas du ciel comme un « prêt à enseigner ».
Les enfants de ma classe habitués à être nourris à la petite cuillère, n'avaient jamais pratiqué l'écrit personnel et se trouvaient fort démunis devant une feuille blanche ou déjà griffonnée de bonnes intentions... Normal.
L'expérience que je vais décrire fut une belle aventure. Une aventure de quelques mois et même plus car elle s'est prolongée après mon départ avec des enfants qui venaient à la maison pour continuer le voyage.
Le point de départ de ma réflexion a été : « Et si j'induisais l'envie d'écrire ? Si, partant d'un tout petit rien qui interpelle, une sorte d'effet déclenchant, on obtenait des réactions, des envies de s'exprimer, de dire, de s'émouvoir, de s'indigner, de s'étonner, de rire ?... »
Un jour, sans avoir prévenu, c'était un samedi matin, un jour calme, j'ai donné à chaque élève une feuille avec un dessin sommaire, sans couleur, J'avais dessiné comme vous pouvez le voir, un tronc d'arbre, une chenille tremblante au bout d'un fil, un hibou qui semble lorgner vers le futur insecte et un trou dans le tronc... Chatouilleuse, ce sera son nom, interpelle les enfants sur les intentions de Lulu le hibou... La réaction a été immédiate.
Chaque enfant a raconté au fil des semaines sa relation, son vécu avec nos deux acteurs et d'autres qui sont apparus tout naturellement.
Le plus intéressant était d'être attentif aux rebondissements pour garder tout ce monde en vie. Un jour, alors qu'une tempête avait sévi dans la nuit, j'ai pensé à un communiqué de presse annonçant la disparition de Chatouilleuse... le dessin du jour (il y avait un nouveau dessin à chaque fois) ne montrait plus que le tronc, un fil au vent... Où était Lulu, aussi ? Tout était possible.
Pendant que l'on cherchait à savoir ce qu'était devenue notre chenille, retrouvée dans un cocon une quinzaine plus tard dans un ravin, nous avions entrepris d'étudier le cycle des papillons en sciences naturelles. J'avais dessiné les ascendants de chatouilleuse tout en couleurs et des enfants étaient chargés de trouver le nom, par comparaison, (citron de Provence) dans un livre comportant de nombreuses planches.
Chatouilleuse se manifestait toujours depuis son cocon, elle nous tenait informés de son évolution. Lulu nous avait présenté sa famille avec Lulet le plus timide de ses petits, Lulot le facétieux, Lulette la petite dernière...
Le jour de « l'éclosion » du papillon, j'ai eu l'idée de le dessiner bleu alors qu'il aurait dû être jaune injecté d'orange. La surprise a été immédiate... on se demandait bien pourquoi. La réponse fut donnée par un élève, le cocon retrouvé après la tempête n'était pas celui de Chatouilleuse... Nous voilà repartis pour de nouveaux rebondissements jusqu'au jour où m'ayant reconnu, Chatouilleuse me remit un courrier pour les enfants... La suite est encore longue. L'histoire ne s'est terminée que six mois après mon départ pour certains élèves qui venaient me voir pour connaître la suite de l'aventure qui s'est achevée le Noël de la même année.
Les enfants avaient écrit, chacun à sa manière, l'histoire de nos deux héros. Dans leur classeur, on pouvait y trouver narrations, dialogues, courriers, articles de presse... toutes sortes d'écrits qu'ils pratiquaient sans le savoir pour les identifier ensuite.
De l'écrit en immersion dans l'histoire, du vécu à l'écrit et de l'écrit pour faire vivre...
S.D