La Police et les Sans-Papiers!
« Rentre chez toi ! Tu fous la merde dans notre pays ! aboient les policiers chargés de les arrêter. « Mais c’est où, chez nous ? Nous sommes tous d’ici » rétorque l’un des interpellés. Et un autre ajoute : « Je vis ici, j’achète ma carte orange, je travaille, je paie mon loyer, je fais mes courses chez les commerçants. Mais ça pour eux, ça ne compte pas ! ».
Nous n’acceptons pas la politique qui repose sur l’idée qu’il faut chasser une partie de la population du pays pour que d’autres puissent bien vivre, entre eux. Nous n’acceptons pas que certains s’arrogent la possession du pays pour en chasser des habitants.
Car que veut dire : « chez nous » ? A qui appartient le pays ?
Le pays n’appartient à personne. Il est simplement composé de tous ceux qui y vivent. Pour nous, tous ceux qui vivent sur le territoire, qu’ils aient ou non un travail, une famille, des relations, un titre à y résider, font partie du pays. Or aujourd’hui, les plus hautes instances de l’Etat décrètent qu’une partie de la population est en fait, sinon en droit, responsable de la dégradation des conditions de vie de tous. Et qu’il faut, pour cette raison, les chasser. De nombreux mots sont utilisés pour effectuer ce partage entre les gens : immigrés, jeunes des banlieues, étrangers, etc.
Il ne s’agit pas de s’indigner de propos discriminatoires. Car ce qui est ainsi mis en œuvre, c’est une politique d’intimidation, de peur, et d’arrestation systématique. Ce langage autorise les pratiques discriminatoires quotidiennes : dans les rues par la police, au travail par les employeurs, dans les bureaux de naturalisation et les préfectures par les fonctionnaires. Des mots tel qu’« immigré » permettent de priver des personnes du droit de circuler, de travailler et de vivre.
L’une de dernières formes de cette politique est celle des « arrestations groupées », comme l’appelle un des témoins dont nous rapportons ici les paroles.
Affirmer que tous ceux qui sont présents sur le territoire font partie du pays, et donc ont les mêmes droits, peut se décliner de différentes façons. On peut réagir aux discriminations en les dénonçant, en veillant au respect du droit. On peut aussi proposer de mettre en pratique ce principe d’une autre manière. Pour faire exister aujourd’hui autre chose que le politiquement correct entre ceux qui ont des droits et ceux qui n’en ont pas, on peut proposer aux habitants d’un quartier particulièrement visé par cette politique d’en discuter.
Courant octobre, une arrestation groupée a eu lieu au métro Château d’Eau, dans le 10e arrondissement de Paris. Des habitants nous ont raconté ce qu’ils ont vu ce jour fatidique :
« Les policiers sont arrivés des quatre rues du carrefour. Ils avaient des chiens. Ils contrôlaient au faciès. Ils entraient dans les magasins, les salons de coiffure, les cafés. Ils arrêtaient tous azimuts les passants. C’était n’importe quoi ! Ils ont même arrêté et menotté une femme enceinte. Nous avons dit non. Nous avons protesté. Nous avons bloqué la circulation. »
L’opération de police a donc été interrompue, et la police a dû quitter le quartier en catastrophe.
Pour réagir aux arrestations groupées, débutées pendant l’été, un réseau de veille s’était constitué. Avertis qu’une telle opération était en cours à Château d’Eau, plusieurs militants s’y sont rendus. Une rencontre avec les habitants a alors eu lieu. Et une proposition a été faite : venir régulièrement au métro, pour discuter avec eux de ces opérations. A cette fin, un questionnaire a été conçu. Il porte sur les modalités d’intervention de la police et sur ses conséquences. Ce questionnaire est distribué et collecté chaque samedi matin. Le collectif improvisé à l’occasion de ces événements a ainsi pu mettre en discussion, lors des rencontres hebdomadaires, la politique d’arrestation et d’expulsion des habitants sans-papiers. Des informations juridiques et des contacts ont été diffusés. Les participants ont pu faire savoir ce qui se passe effectivement lors des interpellations. Car, bien que cette politique soit déclarée publiquement, un des soucis des responsables est que la façon dont ces opérations se passent ne se sache pas. Pas su, pas pris Et pour cause : comment reconnaître un sans-papiers sinon en contrôlant de façon raciste au faciès ? Comment rendre efficace une politique de reconduite à la frontière sinon en faisant peur à ceux que, de toute façon, on n’arrête pas ?
Le rendez-vous hebdomadaire à Château d’Eau continue. D’autres opérations policières ont eu lieu. Leurs modalités ont changé, rendant plus difficile une intervention extérieure. Le collectif qui s’est constitué autour de cette initiative a alors décidé de lui donner une visibilité plus grande. Pour faire suite à la diffusion des témoignages sous forme de tracts, une lecture publique en est prévue…
Mettre au travail une autre politique que celle, constante, des discriminations, de la peur et de la suspicion généralisée a permis de réaffirmer publiquement un certain nombre d’idées : « Si on t’interpelle, c’est qu’on te soupçonne. Quand on ne te soupçonne pas, on n’a pas à t’arrêter » ; ou encore que « les sans-papiers contribuent à l’essor de la France ».
Les limites de cette initiative sont néanmoins manifestes. Le réseau de veille, coordonné par téléphone, n’est pas efficace. L’absence d’avocats et de soutien juridique aux interpellés est massive. Le questionnaire lui-même, ne portant que sur les conditions d’interpellation, n’a que peu permis de discuter d’une organisation permettant de faire face aux arrestations. Enfin il est fréquent que les habitants, même quand ils protestent contre les arrestations, consentent à l’idée que certains n’ont pas le droit de vivre en France, au prétexte qu’ils seraient des « délinquants » alors qu’eux-mêmes sont ici pour travailler « honnêtement ».
L’Un Visible, notre journal militant estudiantin, a choisi, en son propre nom, de participer à l’initiative. Nous pensons que faire savoir ce qui se passe effectivement dans l’application de la politique actuelle de guerre contre les dits « étrangers » est nécessaire. Nécessaire à la fois pour montrer les conséquences d’un consentement aux discours actuels ; mais nécessaire aussi pour rendre visible les tentatives de ceux qui décident de travailler non à partir des discriminations, mais de l’égalité. Et, en premier lieu, de l’égalité politique qui consiste à mettre en discussion et en partage avec tous ce qui se passe dans tel ou tel endroit. Sans accepter que certains aient une prérogative à définir ce que c’est que de vivre ensemble dans un même pays.