Accord sur le nucléaire :
quel jeu joue vraiment Téhéran
en soufflant le chaud et le froid?
Par Thierry Coville
Alors que des négociations sont engagées avec les Occidentaux sur le nucléaire iranien, le Guide Kamenei a une fois de plus appelé à le destruction d'Israël, dont les Etats-Unis sont le premier allié. Un jeu trouble qui s'explique par des nécessités de politique intérieure.
L'ayatollah Ali Khamenei appelle à la destruction d'Israël sur Twitter, alors même que des négociations sont engagées sur le nucléaire iranien et que les sanctions économiques pourraient être levées en cas d'accord. Barack Obama va même plus loin, il tend la main à l'Iran dans la lutte contre EIIL en cas d'accord sur le nucléaire selon le Wall street journal. Quel est le jeu (double) l'Iran ? Et pourquoi ?
Ce n'est pas un fait nouveau que les conservateurs les plus radicaux en Iran (dont Ali Khameini) fait partie, contestent la légitimité de l'Etat d'Israël. On peut noter par ailleurs qu'Ali Khameini propose un referendum pour régler cette question et non pas des moyens militaires.
Le soutien à la résistance armée à Israël est également un leitmotiv fréquent chez les plus radicaux en Iran.
Je pense qu'il n'est pas très honnête de résumer la politique étrangère de l'Iran à un tweet du Guide. Il est vrai que le Guide a le dernier mot, notamment en matière de politique étrangère. Toutefois, le Guide essaie surtout à travers ses avis de prendre en compte l'ensemble des positions exprimées par les différents courants ainsi que par tous les groupes d'experts travaillant sur ces questions. En résumé, le Guide tire sa légitimité de sa capacité à faire la synthèse entre toutes ces positions (on peut lire à ce sujet l'excellent dossier de The Economist du 1 au 7 novembre 2014 "The Revolution is over"). Ceci signifie qu'il existe une certaine diversité des opinions en Iran sur tous les sujets et notamment sur la politique à adopter vis-à-vis d'Israël. La ligne directrice du régime est évidemment une opposition frontale à Israël depuis la révolution de 1979 mais cette ligne peut évoluer selon les rapports de force et les circonstances.
En 2003, après l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis, l'Iran a proposé à ces derniers de négocier sur tous les sujets, y compris sur la possible coexistence d'un Etat palestinien et d'un Etat israélien. Le gouvernement américain à l'époque n'a même pas daigné répondre... (les lecteurs intéressés peuvent voir à ce sujet sur Youtube le remarquable documentaire de la BBC Iran and the West - part 3). Depuis l'élection de Rohani, le gouvernement iranien a pris soin de se démarquer des déclarations antisémites de Mahmoud Ahmadinejad (en souhaitant par exemple le nouvel an juif). Par ailleurs, si les condamnations d'Israël ont été unanimes en Iran durant la dernière guerre à Gaza, on peut noter que l'Iran ne s'est pas lancé dans une diatribe radicale contre Israël (comme l'a fait Erdogan par exemple).
Il n'est également pas juste de mettre sur le même plan le tweet de Khameini et la lettre d'Obama. Il y a un consensus en Iran entre toutes les factions sur la dangerosité que représente l'Etat Islamique. Et l'Iran est le seul pays dans la région qui est effectivement engagé dans une lutte militaire contre l'Etat Islamique en Irak et en Syrie, où ils ont envoyé des conseillers militaires. On sait d'ailleurs que c'est notamment cette réalité qui a poussé l'Iran et les Etats-Unis à recommencer à discuter ensemble depuis mars 2013. Je suppose que l'Iran et les Etats-Unis qui ont tous les deux envoyé des conseillers militaires qui aident l'armée irakienne, ont pu commencer à échanger des informations sur l'Etat Islamique. La lettre d'Obama est dans cette logique.Tout le problème maintenant est d'arriver à officialiser cette relation ...On a l'impression que du côté américain, on privilégie pour l'instant des relations "secrètes" avec l'Iran plutôt qu'une alliance au grand jour (Les Etats-Unis ont ainsi refusé d'inviter l'Iran à la conférence de Paris visant à créer une coalition militaire contre l'Etat islamique). Le gouvernement américain doit gérer ce début de normalisation de ses relations avec l'Iran tout en évitant d'indisposer le camp républicain des faucons anti-Iran ainsi que ses alliés traditionnels comme l'Arabie Saoudite et lsraël. Le schéma est un peu semblable en Iran où un certain nombre de courants conservateurs restent opposés à une reprise des relations avec les Etats-Unis. Ces courant tirent à boulets rouges contre la politique étrangère d'ouverture menée par Rohani. Ceci signifie également que Khameini qui a forcément autorisé la reprise du dialogue avec la Maison Blanche, doit aussi tenir compte de cette opposition au Grand Satan. Il n'empêche qu'un débat est ouvert en Iran au sujet des relations avec les Etats-Unis, ce qui est en soi une évolution majeure après 30 ans d'anti-américanisme.
TH. C
Sources : http://www.atlantico.fr