Les qualités d’un bon gouvernement
Les qualités d’un bon gouvernement
Christian Duteil
Où l’on se croit tout permis au nom de l’intérêt partisan et des résultats du vote. Où l’on confond trop souvent idéologie (à gauche comme à droite) et intérêt général, vie publique et vie privée. Dans un tel climat de sauve qui peut lors de ce remaniement pour un «gouvernement de combat» où les marges de manœuvre du président Hollande sont minces, La Bruyère exulte et nous fait une piqûre de rappel, histoire de calmer le jeu et de vous faire prendre un peu de la hauteur.
Que de dons du ciel ne faut-il pas pour bien régner! Une bonne naissance, un air d’empire et d’autorité, un visage qui remplisse la curiosité des peuples empressés de voir le prince, et qui conserve le respect dans le courtisan; une parfaite égalité d’humeur; un grand éloignement pour la raillerie piquante, ou assez de raison pour en se la permettre point; ne faire jamais ni menaces ni reproches, ne point céder à la colère, et être toujours obéi; l’esprit facile, insinuant; le cœur ouvert, sincère, et dont on croit voir le fond, et ainsi très propre à se faire des amis, des créatures et des alliés; du sérieux et de la gravité dans le public; de la brièveté, jointe à beaucoup de justesse et de dignité, soit dans les réponses aux sujets, soit dans les conseils; une manière de faire des grâces qui est comme un second bienfait; le choix des personnes que l’on invite ou chez qui l’on s’invite; le discernement des esprits et des talents pour la distribution des postes et des emplois; un jugement ferme, solide, décisif dans les affaires, qui fait que l’on connaît le meilleur parti et le plus juste; un esprit de droiture et d’équité qui fait que l’on suit jusques à prononcer quelquefois contre soi-même en faveur du peuple, des alliés, des ennemis; une mémoire heureuse et très présente, qui rappelle les besoins des sujets, leurs visages, leurs noms, leurs requêtes; une vaste capacité, qui s’étende non seulement aux affaires de dehors, au commerce, aux vues de la politique, mais qui sache aussi se refermer au-dedans, et comme dans les détails de tout royaume; qui réforme les lois et les coutumes, si elles étaient remplies d’abus; qui donne aux villes plus de sûreté et plus de commodités par le renouvellement d’une exacte police; donner par son autorité et par son exemple du crédit à la piété et à la vertu; être toujours occupé de la pensée de soulager ses peuples, de rendre les subsides plus légers, et tels qu’ils se lèvent sur les provinces sans les appauvrir; être vigilant, appliqué, laborieux; être froid dans le péril, ne ménager sa vie que pour le bien de son Etat; une puissance qui ne laisse point d’occasion aux brigues, à l’intrigue et à la cabale, qui ôte cette distance infinie qui est quelquefois entre les grands et les petits, qui les rapproche, et sous laquelle tous plient également; une étendue de connaissance qui fait que le prince voit tout par ses yeux , qu’il agit immédiatement et par lui-même; au milieu d’ennemis couverts ou déclarés, se procurer le loisir des jeux, des fêtes, des spectacles; cultiver les arts et les sciences; former et exécuter des projets d’édifices surprenants; un génie enfin supérieur et puissant, qui se fait aimer et révérer des siens, craindre des étrangers, qui fait d’une cour, et même de tout un royaume, comme une seule famille, unie parfaitement sous un même chef, dont l’union et la bonne intelligence est redoutable au reste du monde: ces admirables vertus me semblent renfermées dans l’idée du souverain.
Il est vrai qu’il est rare de les voir comme aujourd’hui réunies dans un même sujet: il faut que trop de choses concourent à la fois, l’esprit, le cœur, les dehors, le tempérament; et il me paraît que ce monarque qui les rassemble toutes en sa personne est bien digne du nom de Valerius, où il y a et le courage, et le salut.
CD