Salles de shoot et hypocrisie collective !
Par Louise Gaggini
Notre gouvernement a décidé d’ouvrir des «salles de shoot», non pas pour protéger les toxicomanes et les amener vers un sevrage et une désintoxication, mais pour ôter des rues des villes cette population marginale qui fait peur aux électeurs potentiels qui pourraient voter à droite, si elle était trop visible, arguant pour cela de la protection de la santé publique.
Et en effet personne n’a envie de voir les gamins dans les parcs tomber sur des seringues et s’infecter au VIH ou à d’autres maladies transmises par voie sanguine.
Il faut donc effectivement s’intéresser aux toxicomanes et aux dangers de leurs modes de vie, mais en dehors du fait que depuis l’apparition du sida, cette population s’est prise en main, est-il nécessaire de la parquer comme on parque les animaux et «la droguer» dans une hypocrisie sociale et collective, sans souci de sa santé, de son devenir, ni de ce qu’elle devient une fois droguée et remise dans la rue?
Les substitutions Méthadone, Subutex ou autres, n’ont jamais sevrées les toxicomanes, elles les maintiennent sous une autre dépendance, mais de laquelle le plaisir est ôté. Alors après avoir fait une pause de quelques heures ou quelques jours pour récupérer des forces, ils repartent, toujours accrochés à leurs désirs d’échappement tandis que le gouvernement, volontairement, continue de faire des différences entre drogues dures et drogues douces et d’une façon plus perverse entre «toxicomanes et usagers de drogues» nuance subtile et rhétorique idéale pour une société où le «politiquement correct» rejoint ce que l’on appelle communément «la langue de bois».
Créer une confusion autour de cette approche fondamentale de la toxicomanie est du domaine de l’utopie mondaine, ou alors on doit se poser la question : à qui profite le crime?
De toute les façons, eux, les toxicomanes, les souffrants, les junkies, ont bien d’autres mots pour se nommer. Des mots moins politiquement corrects et qu’ils garderont, seuls, au bout du fond de leur marginalité, quand cette «intelligentsia» adepte de la pensée unique et de la culture colportée, aura récupéré à son profit les quelques espoirs qui leur étaient destinés.
Le plaisir dans la drogue? Comprendre.
Au-delà des souffrances ou inaptitudes souvent à l’origine des toxicomanies, on peut se poser la question du lien, parce que quel étrange lien que celui qui lie le toxicomane à son produit et quel étrange attrait que celui d’un plaisir qui peut-être mortel ?
Mais, peut-on parler de drogues et toxicomanies sans parler du plaisir, ce plaisir dont nul ne parle hors les toxicomanes eux-mêmes ?
Sommes-nous capables aujourd’hui d’envisager le plaisir comme une donnée à prendre en compte dans la gestion des problèmes des hommes, quel que soit le problème à traiter ? L’admettre comme une des dynamiques essentielles de la vie parce que le plaisir, au bout du compte et malgré tous les carcans, les tabous et les garde-fous, existe au centre de la vie des hommes.
C’est le désir de plaisir qui fait avancer le monde même si sur ce plaisir nous mettons des noms différents selon nos personnalités et nos cultures : le pouvoir, l’argent, l’amour, les enfants…
De grande chose auxquelles s’ajoutent les toutes petites choses du quotidien en autant de plaisirs accumulés que nous appelons communément bonheurs, et le plus souvent « bonheur » au singulier pour mieux marquer sa qualité, parce que si nous nous permettons socialement le bonheur, nous nous défions du plaisir.
Le plaisir perdure comme une chose trouble et glauque qu’on ne peut approcher sans se perdre ou se mettre en danger. Il semble le pic, l’extrême pointe de sensations si fortes et émouvantes qu’elles paraissent relever du primaire et du primitif, de l’animal. Une préhistoire dont les hommes se défont et se défendent. Les hommes transcendent leur humanité, ils la voudraient déifiée, ils profanent leurs origines en les manipulant et se fourvoient dans des exutoires dont ils veulent croire qu’ils ont un esprit pour ne pas dire une âme, mais, de guerres en guerres et de révoltes en exactions, les hommes demeurent identiques dans leurs désirs et leurs demandes. Au dernier cercle d’une douleur humainement supportable, ils en appellent au plaisir. Le plaisir comme une réparation, comme une source de vie.
En toxicomanie nous parlons de toxicités, de coûts financiers, de propagations de maladies et même de douleurs, c’est naturel, mais nous ne tenons pas compte véritablement du plaisir qui dans la drogue et au-delà des souffrances initiales, se suffit à lui-même et prend toute la place.
Si nous nous autorisions à évaluer le plaisir, probablement que notre perception des difficultés serait meilleure et nos solutions plus adaptées.
Mais, sommes-nous aujourd’hui assez loin sur le chemin de la connaissance pour comprendre cette abstraction si concrète et n’en garder que le meilleur ?
LG