Ligue des champions : Monaco joue à la roulette russe
Le Monde | 09.12.2014 à 16h55 • Mis à jour le 09.12.2014 à 18h58 | Par Rémi Dupré
A partir de 20h45 : Monaco-Zénith en direct
Trois ans plus tard, l’ASM dispose du deuxième budget de Ligue 1 (160 millions d’euros), derrière celui du PSG de Qatar Sports Investments (490 millions d’euros), et a retrouvé la Ligue des champions, dix ans après sa dernière participation au banquet des grands clubs européens. Mardi soir, l’équipe du Rocher joue sa qualification pour les 8es de finale du tournoi en recevant… les Russes du Zénith Saint-Pétersbourg. Deuxièmes du groupe C avec 8 points (deux victoires, deux nuls, une défaite), les hommes de l’entraîneur portugais Leonardo Jardim, qui végètent à la 7e place de la Ligue 1, n’ont besoin que de 1 point pour espérercroiser les cylindrées continentales en février et mars prochains et ainsi rejoindre le PSG, déjà qualifié pour la suite de l’épreuve.
La venue du Zénith Saint-Pétersbourg sur le Rocher met en perspective le chemin parcouru par un club dont l’histoire récente est étroitement liée à la Russie.
CE SI DISCRET DMITRY RYBOLOVLEV
Le 16 septembre, Rybolovlev et le prince Albert II de Monaco se congratulaient, dans les travées de Louis-II, lors du succès miraculeux (1-0) de l’ASM contre les Allemands du Bayer Leverkusen. Le milliardaire russe avait choisi ce baptême du feu en Ligue des champions pour faire sa première apparition publique depuis plusieurs mois. A 48 ans, le natif de l’Oural sortait d’un été chaotique, plombé par un divorce à 3,3 milliards d'euros et opéré, en juin, d’une tumeur par des chirurgiens américains.
Le propriétaire de l’ASM était par ailleurs confronté à une fronde de plusieurs centaines de supporteurs, qui l’accusaient « d’avoir gobé les promesses du club » et réclamaient le remboursement de leurs abonnements. Motif de leur courroux : les décisions du dirigeant lors du mercato estival. Le prêt d'un an avec option d'achat à Manchester United de l'attaquant colombien Radamel Falcao et la vente de son compatriote James Rodriguez contre 90 millions d'euros (plus 8 millions de bonus) au Real Madrid.
A l’été 2013, Rybolovlev avait pourtant obtenu l'arrivée sur le Rocher d’une myriade de stars, achetées pour 130 millions d'euros. A l'époque, l'ASM avait investi 166 millions d'euros sur le marché des transferts, s'imposant comme le club le plus dépensier d'Europe. Mais, cette saison, l'institution a rétrogradé au 30e rang dans ce domaine, préférant empocher 165 millions d'euros en libérant ses têtes d'affiche. Ces transactions devraient permettre à l'ASM d'éponger son déficit de 100 millions d'euros enregistré au terme de l'exercice 2013-2014 alors qu’elle est dans le viseur de l’UEFA dans le cadre du fair-play financier.
Désireux de réduire les dépenses, l'ex-magnat de la potasse mise sur des jeunes joueurs formés à l'académie de La Turbie (Layvin Kurzawa, Yannick Ferreira Carrasco). Le chantier coûteux (50 millions d'euros) du futur centre d'entraînement du club explique également cette inflexion de la politique de l'ASM. Le manque d'attractivité commerciale du club dissuade aussi son actionnaire majoritaire de remettre la main à la poche. Lui qui s'offusque, en coulisse, de n'avoir toujours pas reçu du prince Albert II un passeport monégasque, précieux sésame qui lui permettrait de mettre ses actifs chypriotes à l'abri.
Classé 119e fortune mondiale (7 milliards de dollars) en 2013 par le magazineForbes, Rybolovlev fait partie des 240 citoyens russes qui résident sur le Rocher. L’homme d'affaires connaît des zones d’ombre. Il a notamment passé onze mois en prison, en 1996, après avoir été accusé d'avoir fait assassiner le directeur de Neftekhimik, société passée sous son contrôle peu après le meurtre. L’oligarque s’est installé en 2011 sur le Rocher, où vit sa fille aînée, Ekaterina, 25 ans et elle aussi membre du conseil d’administration de l’ASM. Pour 200 millions de livres sterling (230 millions d'euros), il y a acheté La Belle Epoque, une résidence cossue de 2 000 mètres carrés.
La discrétion de l'oligarque avec les journalistes renforce le climat d'intrigues qui entoure l'équipe monégasque. Fuyant les demandes d'interview, Rybolovlev a opté pour une gestion à l'anglo-saxonne : il se tient à l'écart du jeu médiatique, à l'image de Malcolm Glazer, le défunt propriétaire de Manchester United. Nombre d'observateurs le comparent à son compatriote et ami Roman Abramovitch, richissime patron de Chelsea depuis 2003.
Constamment escorté par ses gardes du corps, Rybolovlev s’appuie au quotidien sur une poignée de compatriotes, dont son porte-parole Sergueï Chernitsyn. Actuellement, cinq des représentants de Monaco Sport Invest au conseil d’administration de l’ASM sont Russes. Le propriétaire se repose par ailleurs sur des cadres français – comme l’ex-numéro deux de l’AS NancyLorraine, Nicolas Holveck, devenu cet été directeur général adjoint –, belges – tel l’administrateur Willy De Bruyn –, ou portugais – comme Luis Campos, proche de l’agent lusitanien Jorge Mendes et désigné en août directeur technique du club
VADIM VASILYEV, LE LIEUTENANT ET DIRIGEANT AU QUOTIDIEN DE L’ASM
Mais le plus proche collaborateur du « patron » reste son compatriote Vadim Vasilyev, 49 ans. Polyglotte parlant un français impeccable (il a vécu à Paris lorsqu’il était enfant), le vice-président et directeur général du club avait remplacé à ce poste, à l’été 2013, Jean-Louis Campora, ancien dirigeant emblématique de l’ASM (1975-2003). Auparavant, le septuagénaire avait signé un retour au premier plan, dix ans après avoir perdu son trône, désavoué par le palais princier sur le dossier de la reprise de l'équipe par son sponsor Fedcominvest (toujours partenaire du club), société du Russe Alexeï Fedorichev, suspectée de blanchiment d'argent par les renseignements généraux.
Promu numéro deux de l’ASM, Vasilyev était jusqu’à présent en charge de la direction sportive de l’institution. C’est en 1995, à Chicago, que l’homme d’affaires avait rencontré Rybolovlev. Un an plus tard, il s’était notamment occupé de la famille de son nouvel ami, alors incarcéré. Si le président monégasque choisit ses entraîneurs (l’Italien Claudio Ranieri puis Leonardo Jardim) et fixe la stratégie, son lieutenant s’occupe des négociations avec les joueurs et défend les intérêts de l’ASM auprès de la Ligue de football professionnel (LFP). Ex-diplomate, le natif de Moscou possède notamment un restaurant à Saint-Tropez, La Bagatelle. Contrairement à son numéro un, il ne rechigne guère à se confier aux médias.
« La diplomatie m’a aidé à établir un réseau, assurait-il à L’Equipe en novembre. La négociation m’a aidé à savoir quand et à quelle hauteur prendre un risque dans les transferts. Le foot, c’est toute la vie : les émotions, l’action, le business, les relations internationales, les relations publiques, la politique. Il n’y a jamais de routine, j’adore. Je n’aurais jamais pensé faire ça, mais c’est le job le plus excitant que j’aie jamais eu. »
Proche du vestiaire monégasque, Vasilyev n’a pas hésité à exprimer le mécontentement de la direction du club à la suite du mauvais début de saison de la formation entraînée par Leonardo Jardim. « Je compte sur les joueurs pour qu’ils aient la même concentration en L1 qu’en Ligue des champions, a-t-il martelé début décembre. Jusqu’à présent, ce n’était pas le cas, c’est vrai, on a deux parcours différents, mais je suis convaincu qu’on va y arriver. La place de Monaco, c’est dans les cinq premiers au moins en L 1. »
TETIANA BERSHEDA, L’AVOCATE
Tetiana Bersheda n’est pas russe mais ukrainienne. Membre du conseil d’administration de l’ASM, la jeune femme de 30 ans est l’avocate personnelle de Rybolovlev et représente également le club auprès des instances dirigeantes du football français. Spécialisée en droit international dans un cabinet genevois, elle rencontre en 2009 le milliardaire, empêtré alors dans une procédure de divorce des plus complexes. Durant quatre ans, elle travaille d’arrache-pied sur ce dossier brûlant.
Interprète privilégiée du président monégasque, la juriste a notamment participé à la fameuse réunion de mai 2013, durant laquelle le président de la Fédération française de football, Noël Le Graët, avait proposé un deal à 200 millions d’euros pour régler le conflit fiscal entre l’ASM et la LFP. Elle a ensuite défendu le dossier monégasque devant le Conseil d’Etat. En janvier, le club a été finalement autorisé à conserver son siège social dans la Principauté en échange du versement de 50 millions d’euros à la LFP sur deux ans.
« J'apprends rapidement les choses et je peux aussi m'en lasser assez facilement, confiait-elle au Parisien, en septembre 2013. En ce moment, je découvre le monde du football et je me laisse vraiment prendre au jeu. Si j'étais sur le terrain ? Je me verrais bien au milieu, dans un rôle d'organisatrice. » Sollicitée en janvier pour évoquer la stratégie mise en place à l’ASM par Rybolovlev, son avocate avait renvoyé Le Monde vers le directeur de la communication du club. Le culte du secret, encore.