De la « pureté » ethnique des peuples
et de leurs souverains
Gil Jouanard
Si les sujets du Roi de France étaient en partie la juxtaposition et en partie le mixage de Ligures, d’Ibères, de Celtes, de Latins et de Germains, que dire des souverains qui les gouvernaient et les exploitaient ? Ceux-ci, en effet, étaient les descendants d’une aristocratie d’origine majoritairement germanique, et, en terme de « nationalité », un patchwork de princes et princesses franco-hispano-austro-italiens, avec de ci de là quelques apports rhénans, bavarois, polonais, voire écossais.
Et ce qui vaut pour la France, vaut bien entendu pour la totalité des dynasties européennes, puisque celle du Royaume Uni par exemple fut longtemps principalement normande et…occitane, avant que les infantes espagnoles et les princesses de diverses nations germaniques ne viennent réinsuffler du sang austro-rhénan, légèrement teinté de velléités castillanes, dans leurs veines. La Grande Catherine de Russie elle-même n’était rien d’autre que Prussienne !
Mais c’est en Turquie que ce phénomène est le plus déconcertant puisque, garants de l’expansion d’un Islam conquérant, les Sultans, dès la première génération après la prise de Constantinople par Mehmet-le-Victorieux (Fathi), ainsi que leurs vizirs et leurs paças, furent à moitié, puis aux deux tiers, puis aux quatre cinquième turco-albano-bosniaques, mais également un peu arméniens, beaucoup grecs, et même russo-ukrainiens, serbo-bulgares, macédoniens (en revanche, jamais…arabes et moins encore berbères !). Leurs mères étaient pour la plupart d’entre eux des Chrétiennes converties de force, et donc le plus souvent leurs pères également issus de mères islamisées de force. Quant à la population, qu’elle soit Anatolienne ou stambouliote, on doit se munir d’une loupe si l’on veut se faire une idée de ce que fut la « race » des envahisseurs turco-mongoloïdes. Sans remonter jusqu’aux Hattis et aux Hittites, qui ne durent laisser que des traces sporadiques, on y reconnaîtrait sans peine des traits assyro-chaldéens, médo-persiques, arabes, grecs, arméniens, géorgiens, thraces, sans parler de tous ceux qui, anciens soldats, fonctionnaires, marchands ou paysans, descendent tout droits de populations illyriennes, daces, bulgares touraniennes, bulgares slaves, un peu hongroises, bien évidemment « levantines » (c’est-à-dire post-phéniciennes, phrygiennes, paphlagonnes, bythiniennes, araméennes), et même génoises et vénitiennes, sans parler des Sépharades autrefois si nombreux et qui, même après la lourde ponction israélienne, doivent bien avoir laissé des traces par-delà même la minorité officiellement juive…
C’est pourquoi, lorsque l’on continue de véhiculer l’image du Turc fort comme un Turc et cruel comme un Ottoman, on se fait le porte-parole d’un naïf simplisme comparable à celui qui voudrait faire des Français des Gaulois, des Bavarois de purs Germains (alors qu’ils sont beaucoup plus proches, les uns, des Auvergnats, les autres des Dauphinois !) ou…des Berbères des Arabes !
Prenons le couple Suleyman-Roxelane : elle était cent pour cent Ruthène (c’est-à-dire majoritairement slave) ; lui était de mère albanaise (c’est-à-dire principalement Illyrienne) : leurs enfants n’avaient même pas un quart de sang turc, puisque les gènes non albanais du Sultan étaient depuis la prise de Constantinople largement imprégnés d’effluves ou de miasmes cosmopolites, via les tribulations du harem, dont les résidentes ne furent jamais Arabes ou Turques (les Musulmans ne pouvant être réduits à l’esclavage et les favorites, tout comme les janissaires, étant des enfants d’Infidèles convertis de gré ou de force dès l’enfance, ou à l’adolescence pour les femmes, ainsi que fut le grand Sinan, l’architecte génial de l’Empire ou encore ce pacha fameux qui commanda la flotte ottomane et se signala en en sauvant une partie congrue lors du désastre de Lépante !). Une sultane fut même Vénitienne !
Mais de ces bizarreries, l’Histoire a fait son pain quotidien. C’est ainsi que les Anglais qui firent une si longue guerre au Roi de France avaient pour souverains des descendants de Normands (et donc de Vikings « francisés ») qui parlaient francien et de Plantagenet, seigneurs aquitains et poitevins dont le parler était…occitan ! Ce qui fait que Richard Cœur de Lion était un peu troubadour et s’exprimait dans le même idiome que son rival francilien, en tout cas lorsqu’il ne pratiquait pas la langue de Bertrand de Born et de Bernard de Ventadour, celle de sa mère, que ne maîtrisaient probablement pas les Capet d’origine francilienne et leurs parents tout aussi franciliens, les Valois…