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Eh oui, la guerre sévit, les colères grondent et les «raisins de la colère» murissent vitesse grand V, mais dans le monde émergent des libertés nouvelles et j’ai envie de vous dire que la beauté et la tendresse toujours peuvent nous bercer, avec la force et la joie, regardez cette vidéo et laissez-vous porter par la douceur d’un monde originel, le nôtre que nous prenons si peu le temps d’aimer…


 

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L'érotisme dans un journal sérieux ?

Certainement, car la sexualité fait autant tourner le monde que l'économie.

Nouvelles, grands classiques de la littérature, mais aussi reportages et web-expos, vous êtes sur le seuil de notre rubrique lubrique.

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Diabète Mag N°17

Le N°17, Vient de paraître
Chez votre Marchand de Journaux

Codif : L13013

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Prévenir, Comprendre, et Mieux vivre avec le Diabète

 

Au sommaire vous trouverez :

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- Cholestérol - Diabète et les margarines

- Le Chrome limite de stockage des sucres

- Les complications du Diabète

- seul face à un infarctus

– comprendre l’anévrisme

- l’utilisation de la «metformine»

- Le matériel de sport au domicile

- Desserts allégés

- Gros dossier: Mincir de plaisir, des menus type.

- Quiches light – sauces allégées – saveurs de la mer 

- le lait végétal – les confipotes à faire

Nutrition :

-       le foie, source de fer – tout sur la moutarde

-       Fruits et légumes d’automne

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Un N° 17, Complet, pour une vie pleine de bonnes résolutions.

DIABETE MAGAZINE , chez votre marchand de journaux.

Inclus: Le Diabétique Gourmand, des recettes goûteuses et light.

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Walter Benjamin, le flâneur hérétique de la modernité

 
walter_benjamin« Au dehors de la baleine grondent l’orage incessant, la querelle continuelle, la dialectique de l’histoire. Au dehors de la baleine existe un besoin authentique de fiction politique.[1] »

 

“Rien ne cache plus les choses nouvelles que les nouvelles de l’actu et de l’info[2]

 

“Ils viennent de la vie la plus noire, la nuit vénitienne, si l’on veut, éclairée par quelques pauvres lampions d’espoir, une lueur de fête au fond des yeux, mais hagards et tristes à pleurer ce qu’ils pleurent, c’est de la prose… Ils viennent de la folie et de nulle part ailleurs[3].”

 

“Dans les domaines qui nous occupent, il n’y a de connaissance que fulgurante. Le texte est le tonnerre qui fait entendre son grondement longtemps après.[4]

 

Walter Benjamin, archéologue de la modernité, sensible aux bouleversements de son époque, ne pouvait rester pas indifférent à la radio, média « chaud » par excellence et l’un des symptômes, avec le roman et la presse, du malaise moderne. Notre flâneur et reporter d’idées, cousin d’Hannah Arendt et ami de Brecht, y “sévit” avec brio de 1929 à 1932 en participant à des émissions pour les radios berlinoise et francfortoise.  Ainsi dans une émission radiphonique du 27 juin 1930, à la Sudwestdeutscher Rundfunk de Francfort, Benjamin présente les “Histoires de monsieur Keuner”, un prolétaire dont l’attitude va pouvoir être citée, au point qu’il peut être considéré comme un “guide” (Führer) : “sauf qu’il l’est tout autrement que l’on se représente d’ordinaire un guide ; il n’est surtout pas un rhéteur, un démagogue, un charlatan ou un hercule de foire. Sa principale activité s’éloigne à des lieues de ce qu’on imagine aujourd’hui sur le nom de Führer Car monsieur Keuner n’est autre que celui qui pense[5]”. On l’aura compris, il n’est pas anodin cette double figure du Führer, celui qui pense, opposé au séducteur politique qui en appelle aux instincts et aux pulsions.

Cet intellectuel peu médiatique et pourtant armé d’un micro et d’une plume pour gagner sa vie - après le refus de son habilitation en l925 par l’Université de Francfort- recherche un auditoire dont la curiosité mêle à la fois activité et passivité, et dont le regard multiple et sensible à la nouveauté dépasse le propos du journalisme réel. Ce dernier l’a déçu en montrant ses limites et ses lacunes dans le contexte de la modernité où la perte de l’expérience est irrémédiable, l’échec du narrateur consommé et la montée de l’information inéluctable au détriment des récits et des idées.

« Chaque matin, écrit Benjamin, on nous informe des dernières nouvelles du globe. Et pourtant nous sommes pauvres en histoires remarquables. La raison en est que nul événement ne nous atteint que tout imprégné déjà d’explications. En d’autres termes : dans les événements presque rien ne profite à la narration, presque tout profite à l’information[6].»

L’information trahit la vérité comme souvent la traduction. Dans son essai sur “la tâche du traducteur”, il soutient que la fonction de la traduction est de casser la gangue du sens et de la signification pour rapatrier le langage dans l’espace de la vérité. Par exemple, le poème d’Hölderlin “Pain et vin” ne devra pas être traduit littéralement en chinois mais plutôt par “Riz et Saké”. Le traducteur est donc le “vecteur d’apparition de la vérité”, la traduction doit idéalement faire résonner le sens de tous les sens. C’est au sein même du médium conceptuel des mots que les phénomènes sont à la fois dispersés et sauvés. Dispersés, parce qu’ils subissent la loi dégradante du concept, qui les dissout à force de vouloir les cloturer et les synthétiser. Sauvés, parce que cette dispersion que produit le mot-concept, à force de vouloir rassembler, rend possible la configuration de l’idée, l’apparition de la constellation de la vérité[7].

Figure ambivalente et essentielle du flâneur colporteur

Les noms, en tant qu’ils révèlent l’idée de la vérité, c’est-à-dire la vérité de l’idée, ne peuvent plus apparaître dans le réel. Seule subsiste la trace de ces noms dans les mots. Seule existe encore la marque mnésique de la vérité, immatérielle et pourtant omniprésente dans la matière, inscrite dans la totalité des phénomènes du langage fini, dans le flux continu des signés impuissants de la communication. Walter Benjamin refuse de s’accorder à ce que la presse et la littérature sont devenues. “Le livre devient l’espace de sauvetage du désastre de l’enseignement académique. Car il saisit parfaitement que l’université ne peut plus être le lieu de la pensée, et que rien en elle ne pourra s’opposer au désastre[8]”. Il conteste aussi le fait que le journalisme se focalise sur ce qui apparaît, même si l’on peut risquer avec Tackels cette équation : Benjamin passera sa vie à écrire le monde en cartes postales. A moins que sa vie ne cesse de passer dans les cartes postales du monde.

« Sa méthode micrologique et fragmentaire n’a jamais totalement assimilé l’idée de la médiation universelle qui institue la totalité chez Hegel comme chez Marx. Imperturbablement, il reste fidèle à son principe selon lequel la plus petite parcelle de réalité perçue vaut le reste du monde[9]. »  En cela, il appartient bien sans aucun doute à la veine des « reporters d’idées » durs et purs, cette posture de vigie radicale qui observe le monde qui n’est pas de son monde[10]. 

Benjamin veut réhabiliter la narration aux dépens de l’information et se définit d’abord comme un narrateur littéraire plus que philosophe. « Avec le triomphe de la bourgeoisie, écrit-il –dont la presse constitue à l’époque du grand capitalisme l’un des instruments essentiels- on a vu entrer en lice une forme de communication qui, si lointaines qu’en soient les origines, n’avait jusqu’alors jamais influencé de façon déterminante la forme épique ». Cette forme de communication qu’est l’information dans les journaux donne aux alentours de 1830, après que la vie littéraire se soit agrégée autour des revues pendant plus de cinquante ans-, le coup de grâce au récit et désarçonne le roman de son hégémonie fragile. Méfiance à l’égard de l’atitude morale qui gangrène l’intellectuel, et lui fait croire qu’il peut intervenir par la contemplation. Benjamin incarne la figure double et ambivalente, à la fois artiste et journaliste, révoltée et conformiste. Celle d’un regard grand ouvert, curieux de tout, même de sons, d’un flâneur impénitent et hérétique qui ne se veut ni simple détective, ni pur badaud, ni chiffonnier[11] de la pensée.

« Avec le flâneur, le plaisir de voir célèbre son triomphe. Il peut se concentrer dans l’observation –cela donne le détective amateur ; il peut stagner dans le simple curieux- alors le flâneur est devenu un badaud[12]. » La rue devient un appartement pour le flâneur « qui est chez lui entre les façades des immeubles comme le bourgeois entre ses quatre murs[13] .» D’abord en parcourant  Berlin entre deux émissions de radio. Avec un regard curieux de tout qui caractérise le reporter.

« Vous savez, inutile d’attendre. Promenez-vous dans Berlin, en ouvrant grand vos yeux et vos oreilles, et vous récolterez bien plus de belles histoires que vous n’en avez entendues aujourd’hui à la radio[14]. »

La mégapole est un inextricable labyrinthe chargé de toutes les énigmes. La  grande ville est la scène de tous les possibles, le lieu assez effrayant qui permet de ne reconnaître personne, d’oublier tout le monde, de ne plus jamais retrouver trace de qui que ce soit. D’où le motif du roman policier, que Benjamin relève comme un élément décisif de ce qui se joue dans la grande ville capitalistique. Car tout l’enjeu de la ville se trouve évidemment dans les jeux du regard : chacun regarde, mais n’est regardé par personne. Tout le jeu consiste ici à ne pas regarder pour ne pas susciter le regard en retour. On retrouve dans ce dispositif du regard qui s’absente dans la grande ville l’une des caractéristiques de l’absence de l’aura.

Dans l’Allemagne nazie où « les regards se portent plutôt sur le revers du veston[15] » et où Benjamin se sent de plus en plus marginalisée, le reporter d’idées va quitter son pays au plus vite. Du jour au lendemain, précise son biographe Bruno Tackels. Le voyage permanent va devenir son plus sûr refuge, ou du moins c’est le combat qu’il ne va cesser de mener jusqu’à sa mort : trouver un lieu où pouvoir vivre, donc travailler dans des conditions minimales, mais libres pour la pensée. Ses revenus sont dépendants des commandes des différents journaux, essentiellement le « Frankfurter Zeitung », mais aussi le « Kölnische Zeitung », et le « Vossische Zeitung », qui a publié le premier texte d’Enfance berlinoise (« Un ange de Noël ») en décembre 1962. A l’en croire, c’est l’enfance d’une génération qu’il esquisse, par touches successives, davantage qu’une introspection personnelle. Le « je » qu’il emprunte ne parle pas tant comme sujet se souvenant que comme un objectif, au sens photographique, destiné à cerner et à capter une époque : « Berlin vers mil neuf cent », comme le dit explicitement le sous-titre de l’essai. La méthode de Benjamin se précise : une manière de faire voir au-delà de la conscience, une plongée dans l’enfance qui déplace la focale, et permet de voir autrement, « pour déchiffrer les contours du banal comme un rebus[16] » ; un regard porté sur les détails et l’anecdotique, en apparence, qui pose la prémice de ce qu’il va s’énoncer comme « microsociologie ». La grande force de ces textes tient dans leur refus de tout commentaire. Pas d’analyse, juste des faits rapportés, qui parlent d’eux mêmes et qui sont eux-mêmes leur propre analyse[17]. On touche sans doute là à l’hétérotopie du « reportage d’idées » qui dépasse le dualisme convenu entre idées et faits pour donner naissance et ouvrir la possibilité non utopique d’un « journalisme philosophique » et à une “esthétique du choc” de l’image dialectique, concept chef chez Benjamin.

Son statut du régime de l’existence de l’idée

Dans la préface de l’Origine du drame baroque allemand intitulée « Préface épistémo-critique”, Benjamin reprend l’idée maîtresse de ses thèses entre naturalisme et conventionalisme sur le langage : le mot n’existe pas à force d’imiter une réalité déjà là. Il émerge plutôt comme ce qui donne corps et sens au réel. Le langage révèle la matière à elle-même. Distinction essentielle chez lui du nom (Yahvé) et du mot (Tour de Babel) : le mot ouvre l’ère du jugement (Ur-teil = division, scission en allemand). Il existe dans l’histoire « un petit nombre de mots », qu’il nomme « idées » et que la philosophie a pour tâche de présenter, c’est-à-dire de faire apparaître comme n’étant pas de simples mots, encore moins de simples concepts.

Notre fiction théorique du reporter d’idées semble ici s’incarner au coeur de sa pensée. Les idées, dont fait partie au premier chef la figure du drame allégorique, ne relèvent pas du seul concept en ce sens qu’elles ne constituent pas une classe moyenne, un dénominateur commun qui permettrait de saisir dans l’universalité la diversité des phénomènes en retenant seulement leur « être commun », la moyenne générique qui les rassemble en une classe. Elle n’a rien à voir avec la notion de genre ou de forme et échappe aux sempiternelles opérations classificatoires de l’histoire de la littérature et de la philosophie.

Ce qui intéresse l’idée, de façon positive, c’est « l’extrême d’un genre ou d’une forme[18] ». La véritable pensée de l’idée se doit de prendre les « extrêmes » au sérieux, elle ne peut que refuser de les aplanir, de les amalgamer à la manière des analyses historico-littéraires qui postulent une diversité de phénomènes extrêmes pour montrer ensuite que le devenir de ces formes limites ne peut que produire et manifester un enchaînement causal, une unité cohérente qui ravale et nie la pluralité constitutive de l’histoire. Aux antipodes de cette attitude qui trahit la réalité de l’histoire comme multiplicités irréductibles, la « nouvelle philosophie » de Benjamin affirme l’unité de l’idée, unité qui n’existe qu’à configurer la multiplicité des phénomènes et ne subsiste que pour produire et tenir ensemble, de façon purement paradoxale, l’antinomie des extrêmes de l’histoire. L’idée énonce d’un trait les extrêmes historiques et maintient comme figure les multiplicités du devenir. En ce sens, elle évite les excès, si souvent répétés dans l’histoire, d’un idéalisme qui aplanit le pluriel pour exhiber l’unicité prétendue du concept, sans tomber dans le piège inverse de la démarche inductive, qui reste obstinément attachée à la diversité des figures[19] et n’atteint qu’un concept moyen, subjectivement déterminé par l’époque dans laquelle s’inscrit la recherche.

Bien que sa conception s’appuie sur les études philologiques et littéraires, notre reporter d’idées montre avec force et intransigeance en élaborant cette « nouvelle » théorie des idées, que l’arme du concept, qui n’a cessé de dominer toute la pensée occidentale, ne peut atteindre la variété de l’histoire, l’histoire dans sa pleine réalité. D’où la nécessité de cultiver cette présentation des idées, seule capable de prendre en compte la réalité de l’histoire. Or, l’histoire comme réalité ne peut être pensée comme déroulement ou comme linéarité, lesquels, encore une fois,  aplanissent les singularités extrêmes pour en déduire le point commun, que l’on baptise hâtivement « vérité ». La vérité de l’histoire suppose à l’inverse que l’on respecte les extrêmes pour ce qu’ils sont : des extrêmes. Il s’agit de se départir de la vision ancestrale d’une histoire comme succession chronologiques de faits figés dans le passé, pour atteindre une forme globale – mais non totalisante – active et « allégorique » des faits historiques, capable d’en manifester la véritable et actuelle historicité.

Cette nouvelle version benjaminienne de l’histoire exige, négativement, que les extrêmes ne soient pas figés conceptuellement dans une forme (littéraire, historique, philosophique, technique, archéologique) et, positivement, que soient exposés explicitement les effets historiques de l’inscription de cette forme extrême de l’histoire. L’extrême fait histoire dans le monde, et la description de son événement ne peut occulter ou évacuer la trace qu’il produit dans l’univers. L’historien ne peut donc se contenter d’une analyse « d’époque », formelle et autonome, sans penser les effets inattendus que tout événement projette dans les temps à venir et sans lesquels il ne peut prendre pleinement sens. La poésie du XIXème siècle, par exemple, ne peut être analysée comme genre, pour elle-même. Il faut aller plus loin, et appréhender les effets imprévisibles qu’elle manifeste dans l’histoire et qui lui donnent sens, l’éclairent de manière rétroactive. En procédant de la sorte, c’est bien l’idée de la poésie qui se trouve travaillée et illuminée.

L’histoire véritable que la philosophie a pour tâche de révéler consiste à configurer des idées à partir des extrêmes des extrêmes les plus éloignés, à partir des « excès apparents de l’évolution[20] »

L’idée apparaît lorsque les oppositions les plus insoutenables qu’elle a pu engendrer en tant que mot cohabitent dans le nom, dans la totalité d’un contenu définitivement libéré du déroulement chronologique. L’idée, en tant que vérité (ou essence) du devenir des phénomènes et de leur diversité, ne peut apparaître, comme vie suprême des formes phénoménales, qu’avant ou après – en tout cas en dehors – de l’histoire déroulement. Et pourtant cette idée, comme vérité, essence des phénomènes, demande pour exister, que soit exposée, au moins virtuellement, la totalité des formes historiques qui émanent de cette idée et sens lesquelles elle ne serait rien. L’idée existe et se protège, virtuellement, dans le moindre événement de l’histoire, du plus aberrant au plus anodin. L’advenue de l’idée exige donc une pénétration par le réel par laquelle tout en lui (tout ce qui advient dans l’histoire et tout ce qui constitue historiquement un phénomène) se verrait consommé par « l’entreprise philosophique »

En cherchant à configurer des « idées », Benjamin propose finalement d’accéder à l’histoire en écrivant des allégories, en relisant le passé à la lumière de ce que la vision allégorique nous révèle : l’illusion que l’histoire humaine ne cesse de produire sur sa propre réalité.  Le déroulement historique cache l’histoire véritable. Cette proposition doit s’entendre doublement, précise Bruno Tackels. La succession chronologique des faits masque l’être même de ces faits, mais elle a aussi le mérite de le protéger et de le mettre à l’abri. La tâche du philosophe reporter des idées sera donc de se confronter à cette « histoire pure[21] », à cette illusion d’une histoire linéaire, successive et évolutive, afin de la « consommer[22] » et de la consumer pour en extraire le contenu idéel véritable : l’histoire naturelle qui la rend possible. Nous retrouvons bien ici la logique qui travaille et enchante le drame allégorique.

L’idée en effet, comme l’allégorie baroque, exige une attention infinie au phénomène, à la concrétude du fait. Toutes deux sauvent la singularité du phénomène, tout en accédant à la totalité de l’histoire. Lorsqu’un phénomène permet la configuration de l’idée et rend possible l’idée qui le sauve, il se produit ce que Benjamin nomme « la révélation de l’origine[23] », à savoir le moment où un phénomène donne à voir l’essence naturelle qui lui donne sens. L’origine est ce moment où dans l’histoire des phénomènes, dans ce qu’ils ont d’extrême, s’ouvre la configuration à l’idée. Le drame baroque allemand est, en ce sens, « l’origine » où des textes, des œuvres littéraires, des « reportages d’idées », donnent à penser une idée : en l’occurrence, l’allégorie ou vérité de l’histoire, en tant que paradigme de toutes les idées[24].

L’utopie en revue

Theoria/praxis.Comme à son habitude, Benjamin met la barre au plus haut pour « Angelus Novus », son projet de revue dont il annonce les fondements et les lois. « La véritable destination d’une revue est de témoigner de l’esprit de son époque [25]» Sa thèse est la suivante : la condition suffisante et nécessaire pour traduire fidèlement cet esprit consistera à élever l’actualité jusqu’à sa dimension historique. Ce qui l’oblige bien souvent à ne pas considérer la clarté et la lisibilité publique comme son souci premier mais comme des préoccupations triviales qu’il laisse avec un certain mépris à la presse quotidienne qui cherche à toujours plus élargir son audience. Le projet s’appuie volontiers sur l’autorité de la revue des premiers romantiques.

« Comme l’Athenaeum, inexorable dans sa pensée, imperturbable dans ses déclarations, défiant, s’il le faut, totalement le public, toute revue devrait s’en tenir à ce qui prend forme , en tant que véritable actualité, sous la forme stérile du nouveau ou du dernier cri dont elle doit abandonner l’exploitation aux quotidiens[26]. »

Cette exigence pour le moins aristocratique est immédiatement atténuée d’une destination rédemptrice chez notre reporter d’idées. Le geste critique, qui doit être anobli en critique « positive » et non plus « destructrice », « sauvera encore ce qui est problématique », à condition qu’il quitte la généralité historique tout comme l’opinion d’humeur, en « s’abîmant dans l’œuvre[27] ». Seule manière, selon Benjamin, de produire une connaissance digne de ce nom, et de sauver ce qui dans l’œuvre relève de la vérité. Une façon d’affirmer d’emblée, note Tackels, que la critique des formes ne sera pas cantonnée à une « section critique », « comme s’il s’agissait de remplir une rubrique par obligation[28] ».

Pas question de connivence et encore moins de compromission avec les puissants ! Le 8 août 1921, Walter Benjamin écrit à son ami palestinien Gershom Scholem : « Notre projet, dont je suis essentiellement l’auteur, consiste à fonder une revue qui ne manifeste pas la moindre complaisance vis-à-vis du public fortuné, et qui se mette d’autant plus résolument au service du public intellectuel. Pour cette raison, le nombre d’abonnés qui sert de base au budget doit être fixé au plus bas ; il serait tout à fait vain, en effet, de vouloir fonder une revue comme celle que j’envisage sur un grand nombre d’abonnés (il aurait dû y en avoir au moins 1000) payant un prix modéré (environ 50 marks par an). Le public financièrement capable de s’abonner à des revues n’accepte pas qu’on lui en fasse cadeau ; et d’autre part, un grand nombre, peut-être la plupart, de ceux à qui la revue s’adresse ne sont pas en mesure de se l’acheter, même si elle ne coûte que 30 marks. La seule possibilité qui reste est de concevoir l’abonnement comme une sorte de mécénat afin que la revue n’ait pas à se soumettre à son public. Si cent exemplaires ne suffisent pas pour le public authentique, celui des non-payants, on pourra multiplier les exemplaires gratuits. Cela ne sera pas une source de difficultés, car les exemplaires gratuits porteront le cachet « exemplaires justificatifs [29]».

La réflexion de Benjamin fait preuve d’une belle lucidité de politique éditoriale et anticipe la vague actuelle des journaux gratuits qui n’a rien à voir avec le principe ambiant de la réalité éditoriale de son époque qui essaie de plaire aux « nombreux » afin d’être florissante et d’attirer les annonceurs.

Benjamin présente ainsi la revue comme une pure utopie : un espace qui ne doit s’adresser qu’à ceux… à qui elle ne peut s’adresser[30]. Le reporter d’idées a bien compris – comme d’ailleurs le quotidien “Libération” aujourd’hui, que ceux qui doivent lire une revue ne sont pas ceux qui doivent la financer. D’où cette proposition singulière qui consiste à dissocier le lectorat du mécénat.  Un paradoxe qui explique bien pourquoi ce projet ne verra jamais  le jour. D’une façon plus générale, la revue ne devra traiter que des sujets qui témoignent d’une « universalité concrète ». Et comment juger de leur universalité ? En vérifiant qu’ils sont « capables  de prétendre à une place au sein des structures religieuses en gestation[31]. » La formule étrange a de quoi étonner, écrit Bruno Tackels. Mais Benjamin corrige immédiatement, en précisant que ces structures manquent cruellement, et que la tâche d’une revue véritablement critique est précisément de pister les tourments et les misères qu’engendre une telle situation déspiritualisée.

L’enjeu est donc de faire voir de la manière la plus « sobre » les effets ravageurs d’un monde déserté par les dieux. Ce qui implique aussi de démonter sans pitié la fausse spiritualité, l’ésotérisme et l’obscurantisme de tout poil.  Pour éviter le tout-à-l’ego du leader irremplaçable faussement héroïsé qui hante toute mythologie du journalisme, Benjamin évoque son propre rôle de directeur de la revue, qui doit être éphémère et non identificatoire. Pas de fausse unité ou de communauté. Benjamin se voit comme les anges du Talmud : celui qui chante son hymne, une fois, une seule, puis disparaît dans le néant. Là serait la véritable actualité. Il ne croit pas si bien dire[32]…

En bon animateur d’équipe et reporter d’idées qui veut multiplier les angles, les plumes et les points de vue, Benjamin avait réuni un certain nombre de signatures qui devait nourrir et amplifier son dessein initial : Gershom Scholem et Ernst Bloch, bien sûr, ainsi que Ferdinand Cohrs, Ernst Lewy, Erich Unger, ou encore le philosophe Florens Christian Rang. Ce dernier va beaucoup compter dans les années de préparation de son étude sur l’ “origine du drame baroque allemand “, notamment pour les questions religieuses qui vont continuer à le hanter longtemps. Dans le premier numéro jamais publié, mais dont Benjamin avait conçu la maquette, on retrouve, outre son essai sur la traduction, “la tâche du traducteur”, un texte de Rang consacré à la « Psychologie historique » du carnaval, un récit de l’écrivain S.J. Agon « Synagogue », dans une traduction de l’hébreu réalisée par Scholem, et surtout une série de poèmes posthumes de Fritz Heinle. Par ailleurs, Scholem avait prévu d’écrire un article exprimant la spécificité du judaïsme en tant que « science », au plus loin de toute réappropriation de la pensée bourgeoise – incapable selon lui de saisir la réalité profonde du judaïsme. Quarante ans plus tard, il reste toujours aussi « fâché » de ne pas avoir pu exprimer sa pensée dans le médium imaginé par son ami Benjamin… Encore un rendez-vous manqué[33].

Mais le philosophe des “Passages” ne manque pas tout. Naples, Moscou, Weimar, Paris, etc. n’échappent pas à cet éternel reporter à la recherche de paysages urbains. “L’oisiveté du flâneur est une protestation contre la division du travail[34]”. Benjamin arpente des contrées éloignées (et cependant si proches), saisissant un souffle, une atmosphère, un corpus de petits riens cependant significatifs. Ainsi, Naples n’est pas seulement la ville dominée par le Vésuve (imagerie de carte postale), elle prend forme dans un grouillement de visions, de sons, d’odeurs, elle est aussi une réalité sociale à décrypter. « La misère est grande dans la ville[35] » « Plus le quartier est pauvre, plus nombreuses sont les gargotes. Qui le peut va chercher ce dont il a besoin sur le fourneau en pleine rue. Les mêmes plats ont un goût différent chez chaque cuisinier ; on ne procède pas au petit bonheur la chance, mais d’après des recettes éprouvées. La façon dont poissons et viandes s’entassent dans la vitrine de la plus petite trattoria devant celui qui les expertise possède des nuances qui échappent aux exigences du connaisseur[36].»

C’est la pratique du flâneur cher à Baudelaire qui est ici mise en acte, trouvant « son aliment dans tout ce qui est perceptible à la vue », tout en s’emparant « du simple savoir, des données inertes ». L’usage de la citation par ailleurs participe à la déstructuration du récit et à son redéploiement. Ces « lointains » - qu’il s’agisse de pays ou d’époques- jaillissent dans notre « paysage » et notre « instant présent[37] », bouleversant la surface lisse de notre réalité établie. Le flâneur voit la ville se scinder à lui en deux pôles dialectiques : « elle s’ouvre à lui comme paysage et elle l’enferme comme chambre[38]. »

Il diagnostique que « La base sociale de la flânerie est le journalisme[39] » car le temps que le reporter passe sur les boulevards lui est compté comme temps de travail et non comme temps libre de loisir. « Situation privilégiée qui lui permet de montrer à tous socialement nécessaire à sa production à tous et publiquement le temps de travail nécessaire à la production de sa valeur d’usage, en passant  celui-ci sur le boulevard et donc, pour ainsi dire, en l’exposant au vu et au su de tous[40]. »

Flânerie/marche/randonnée. « C’est la manière bourgeoise de se déplacer : démythologisation physique du corps libéré pour ainsi dire de la démarche hiératique, des pérégrinations du nomade, de la fuite éperdue » qui donne l’impression qu’on a peur.  La dignité humaine insista sur le droit de marcher (la promenade quotidienne des prisonniers), « rythme que ni les ordres ni la terreur n’ont extorqué au corps. La promenade, la flânerie étaient un passe-temps de la vie privée, l’héritage au XIXe siècle de la promenade féodale. Avec l’ère libérale, la marche tend à disparaître, même lorsque les gens n’ont pas d’auto[41]. »

Lorsque, dans ses études sur Baudelaire, Walter Benjamin analyse la figure du flâneur (« Etre hors de chez soi, et pourtant se sentir partout chez soi, voir le monde, être au centre du monde et rester caché au monde[42] »), dans son régime de vérité, il la présente dans son ambivalence même d’activité et de passivité. Avec aussi son côté exaspérant et ambigu qui balance entre l’art moderne et l’art du feuilleton. A aucun moment,  il ne l’appréhende et encore moins la célèbre comme un paradigme pur et parfait à prendre en exemple ou comme argent comptant.

Entre « trace et aura. »

« La trace est l’apparition d’une proximité, quelque lointain que puisse être ce qui l’a laissée. L’aura est l’apparition d’un lointain, quelque proche que puisse être ce qui l’évoque. Avec la trace, nous nous emparons de la chose ; avec l’aura ; c’est elle qui se rend maîtresse de nous[43]. »

 Le conteur agit donc en flâneur, mais aussi en colporteur et en reporter traçant « de ses songes des légendes par les images[44] » qui parlent à notre imaginaire. Ce qui fait d’ailleurs tout le charme et la magie de la radio, média chaud par excellence où la voix décrit ce que l’auditeur imagine mais ne peut voir. Perçue selon un panorama en failles, la ville devient alors un lien privilégié d’une « irruption de l’éveil » qui, « tout comme une constellation céleste le fait par des joins de lumière », favorise la production d’une expérience dialectique, « celle entre l’image et l’éveil[45] »

Dans une autre série de contes, Walter Benjamin se souvient de catastrophes, dont la mémoire humaine (volontaire ou involontaire) garde des traces indélébiles. Par le rappel de ses tragédies (une éruption volcanique, un accident ferroviaire, un tremblement de terre, une inondation, un incendie, etc.), Benjamin introduit le moment du désastre comme élément constitutif du développement historique. Chacun de ses événements apparaît ainsi comme « un coup de tonnerre dans un ciel serein[46]. » Ainsi, face à la pauvreté de notre « expérience vécue » et au surgissement nécessaire d’une esthétique du choc, la pratique du conte radiophonique révèle toutes les facettes du concept de narration revu et corrigé par le reporter. C’est un trait de la personnalité de Benjamin que l’on passe trop souvent sous silence, écrit son biographe Bruno Tackels. Toute sa vie il est resté fondamentalement joueur, immergé dans un monde enfantin baigné dans la logique du conte[47]. Tout en ne s’en laissant pas conter, en bon reporter d’idées qui se respecte. 

Dans son texte de l933 « Expérience et pauvreté », Benjamin écrit comme un leitmotiv : « Le cours de l’expérience (Erfahrung) a baissé ». La génération rescapée des « poilus » qui avait connu et vécu les événements de la première guerre mondiale « 14-18 » revenait muette du champ de bataille. Perdus comme le romancier dans l’Erlebnis, l’ « expérience vécue », ces soldats paraissent « non pas plus riches, mais plus pauvres en expérience communicable ». Car, surtout lorsqu’on n’est pas reporter professionnel mais simple soldat, comment relever le défi de voir et de faire voir l’altérité de la guerre et sa cohorte d’atrocités, en évitant pathos, clichés et stéréotypes ?

Dans « Le narrateur » (1936), tout en signifiant une crise de la narration liée au primat de l’information, Benjamin inaugure une analyse pertinente et impertinente sur le journalisme lié, comme le roman, à la modernité. Il s’engage dans une ultime tentative de récupération, cherchant à transformer la force d’un récit au présent en arme et en technique de chocs. Cela, en renouant, grâce à la radio, avec une pratique de l’oralité libérant une parole à nouveau humaine qui ne fait plus appel à la notion d’ « expérience vécue ».

Contre la dissolution d’un récit traditionnel désormais inopérant, il évoque la nécessité de prendre en compte la tradition orale. Tout comme il insiste sur le rapport à reconstruire entre celui qui raconte et celui qui écoute activement l’histoire racontée : « Qui écoute une histoire forme société avec celui qui la raconte[48]. » C’est donc un  défi que doit relever, face aux insuffisances d’un romanesque détaché de son temps, le narrateur des temps à venir, en investissant l’ensemble des appareils disponibles et en poussant toujours plus loin sa recherche audacieuse des matériaux et des formes. « Images fugitives » pour « échanger des expériences ».

Dans son texte de 1939, « Sur Quelques Thèmes baudelairiens », Benjamin pointe et reporte la « perte de l’expérience » (Erfahrung) comme le signe même de la modernité : le regard de l’homme moderne est présenté comme un regard censuré et protégé, qui n’est plus touché par ce qu’il regarde, et donc qu’il convient de mettre à nu, sans écran avec le réel. Il est dans l’attente d’un vrai choc, luttant en permanence contre lui-même et son propre vécu. Tandis que dans l’expérience, le regard parvenait à l’«aura » des choses, il « recevait une réponse »- ce qui lui conférait une expérience authentique ou « auratique », la modernité se définit par un jeu de mécanismes de défense contre la réalité souvent traumatisante. Désormais, le rapport aux choses n’est plus que la sensation de divers chocs, que la conscience essaie d’encaisser, d’atténuer et de cerner dans ce que Benjamin nomme « une expérience vécue » (Erlebnis), sorte d’écran qui sépare la conscience de l’expérience authentique ou « auratique. ». Le texte s’achève sur un hommage  au satiriste viennois Karl Kraus qui montre aussi que le journaliste apporte aussi son « choc » et contribue à la modernité en incorporant sa propre expérience au détriment de celle du lecteur. Mais plus qu’une critique acerbe du journalisme, Benjamin dresse ici un constat clinique : la modernité supprime l’Erfahrung et utilise, entre autres, la presse pour arriver à ses fins.

Esthétique du choc pour faire époque

« Si la presse avait eu pour dessein de permettre au lecteur d’incorporer sa propre expérience (Erfahrung) les informations qu’elle lui fournit, elle serait loin du compte. Mais c’est tout le contraire qu’elle veut, et qu’elle obtient. Son propos est de présenter les événements de telle sorte qu’ils puissent pénétrer dans le domaine où ils concerneraient l’expérience (Erfahrung) du lecteur. Les principes de l’information journalistique (nouveauté, brièveté, clarté et surtout absence de toute corrélation entre les nouvelles prises une à une) contribuent à cet effet, exactement comme la mise en page et le jargon journalistique. (Karl Kraus ne s’est pas lassé de démontrer à quel point ce jargon paralyse chez le lecteur le pouvoir de représentation)[49]. » Incontestablement, notre « reporter d’idées » s’est confronté avec talent et détermination aux aléas de l’intervention radiophonique. L’ouïe est privilégiée chez le jeune Benjamin qui croit encore au sauvetage possible de l’aura dans le domaine acoustique plus que dans le domaine visuel qui annonce le primat de la modernité. Attentif aux obligations du genre (gestion du temps, modalité du débit, concision, etc.) - difficiles à maîtriser comme il l’indique avec humour dans « A la minute »[50], il travaille à réaliser de savants mélanges, n’hésitant pas comme le remarque Philippe Ivernel, ni à chuter « dans l’actualité », ni à chuter « dans le public. [51]» Mieux, à inventer en permanence le regard sur le présent qui empêche le trauma. L’urgence à laquelle Benjamin tente de répondre, en investissant les moyens du bord, est celle de la production et de la diffusion de multiples traces variées qui, contrairement aux œuvres « auratiques », visent l’essentiel, à savoir l’ « apparition d’une proximité ». Avec elles, souligne-t-il, « nous nous emparons de la chose » avec l’ivresse provoquée par l’éclairage violent d’une scène et une tendance à l’« intropathie » avec tout ce que le « regard » radiophonique rencontre…

Lorsque Walter Benjamin évoque l’information comme une série permanente de « chocs » assénés au public, il se rapproche -histoire de brouiller les pistes - de l’esthétique du choc qui n’a plus rien à voir avec un sauvetage « auratique ». D’où la prégnance de W. Benjamin sur le motif baudelairien de la perte du pouvoir de regarder qu’on retrouvera plus tard chez le reporter de guerre et les passages où il souligne le caractère peu visuel de la poésie de Baudelaire par rapport à celle de Victor Hugo. « Les belles-lettres trouvent grâce au feuilleton un débouché dans la presse quotidienne » C’est la « réclame » naissante qui va engendrer ces immenses bouleversements dans le monde des journaux. Dans le droit-fil des analyses qu’il avait engagées dans « L’auteur comme producteur », Benjamin montre à quel point, très tôt, la collusion de la presse, de l’argent et du pouvoir est le nombre d’or du journalisme qui s’invente : réclames (ancêtres du publi-reportage et de la publicité), petites annonces, informations brèves (« les brèves », le « fash ») au détriment des « exposés composés », des reportages sur le terrain et des investigations fouillées, et surtout le « feuilleton-roman », telles sont les nouvelles armes que fomentent les patrons de presse.

Pour vendre davantage et moins cher (tout l’enjeu est de faire baisser les abonnements annuels), et donc pour attirer la fameuse réclame, il s’agit de sortir les différents titres d’une logique étroite d’opinions politiques, pour leur substituer « un intérêt de curiosité générale ». La réponse tiendra dans cette invitation faite aux écrivains (notamment Dumas qui faisait ainsi vivre, dans ses caves, « un régiment  d’écrivains dans le besoin ») de dérouler  dans les colonnes quotidiennes de longues fresques captivantes, censées tenir en haleine le lecteur en train de devenir, avant la lettre, un consommateur[52] dans la société du spectacle et des mass-médias.

Benjamin n’hésite pas à rapprocher le journalisme des formes d’art moderne – la photographie en particulier - qui sont des arts  du choc. Ainsi,  pour rendre compte de l’étrangeté de la technique photographique, il évoque « une sorte de choc posthume » qui refuse le pathos mensonger de « l’Erlebnis ». La presse s’inscrit comme un élément de la modernité plutôt que de la médiocrité ambiante pour Benjamin qui conclut par une réflexion globale sur nos déplacements en ville conditionnés eux aussi par une série de chocs et de heurts. Comme si la modernité consistait pour lui à passer de la flânerie à la circulation des flux.

« Parmi les innombrables gestes, tels que mise en place, introduction, pression, etc., le déclic instantané du photographe est un de ceux qui ont le plus de conséquences. Une pression du doigt suffit à conserver l’événement pour un temps limité. L’appareil confère à l’instant une sorte de choc posthume. A des expériences tactiles de ce genre se sont ajoutées des expériences optiques, comme celle qu’entraîne la partie publicitaire d’un journal, mais aussi la circulation dans une grande ville. Le déplacement de l’individu s’y trouve conditionné par une série de chocs et de heurts. Aux carrefours dangereux, les innervations se succèdent aussi vite que les étincelles d’une batterie[53]. »

Loin d’être une activité superficielle, dispersée, inauthentique, zappeuse, etc. la figure du journaliste chère à l’esthétique du choc est ici celle d’un narrateur flâneur « sans guide à la main[54] » Sorte d’artiste curieux de tout, qui pose son regard sur l’actualité et expose ce regard à d’autres sur la scène publique moderne. “Je ne crois pas aux époques de décadence. De même, pour moi (au-dehors des frontières) toute ville est belle, et tout discours sur la valeur des langues est, à mes yeux, inacceptable[55].”

Refoulé avec un groupe de réfugiés à la frontière par les gendarmes espagnols qui s’apprêtent à les remettre aux autorités françaises, Benjamin désespéré -serrant toujours sous son bras sa sacoche noire qui contient son dernier manuscrit “Sur le concept d’histoire[56] »,  passe une dernière nuit à l’hôtel, la bien nommée Fonda de Francia, avenida del General Mola, au milieu des agents locaux de la Gestapo. Il passe quelques coups de fil et écrit trois lettres[57]. Après avoir absorbé une dose massive de morphine sous la forme de tablettes, Benjamin entre dans un coma profond et meurt douze heure plus tard, le 26 septembre 1940, à Port-Bou. Benjamin échappe. « Il est plus difficile de célébrer la mémoire des sans-noms que celle des renommés. La construction de l’histoire est dédiée à la mémoire des sans-noms[58]. » L’échappée belle, seul espoir de sauvetage. « La fin de Benjamin fait légende et fascine, conclut Tackels, on y investit des choses qui permettent de reporter la tâche essentielle : avec le météore Benjamin, la tâche de l’intellectuel ne sera plus jamais comme avant[59] ». Entre errance et carrefour.

Lui qui écrivait dans « Zentral Park », qu’il n’y avait « pour les hommes tels qu’ils sont aujourd’hui qu’une nouveauté radicale – et c’est toujours la même : la mort », interrompait délibérément son errance. Fatigué et lassé de tout, même de ses rencontres plus ou moins fortuites avec Martin Heidegger[60] et surtout de sa fuite effrénée devant le nazisme galopant.

Cette quête effrénée du choc qui ne laisse pas domestiquer dans un vécu (Erlebnis) a conduit plus tard à des expériences d’écriture journalistique originales comme celle du reporter polonais Ryszard Kapuscinski, du « reporter enragé » tchèque Egon Erwin Kisch ou du reporter américain Michael Herr.

Fort de son paradigme du flâneur emprunté à Baudelaire, Benjamin évoque l’information moderne comme une série de chocs et de heurts assénés au lecteur/spectateur, rapproche le reportage de la photographie et brouille l’opposition traditionnelle entre art et journalisme. Il reste que « La réflexion benjaminienne sur l’esthétique du choc, caractéristique central de l’art moderne, visée ultime du flâneur, constitue, peut-être un idéal-critique très fécond pour penser aujourd’hui la pratique journalistique[61]. » D’autant plus qu’elle s’élabore dans un contexte de crise… où « l’Europe se comporte comme ce promeneur du dimanche qui faisait du manège près du mur du ghetto alors que, de l’autre côté, des gens mourraient dans les flammes. Indifférence et crime ne font qu’un[62] . »

CD



[1]Salman Rushdie « Patries imaginaires ».

[2] Michel Serres “Temps des crises”, Paris, Ed. Le Pommier, 2009, p.75.

[3] Walter Benjamin.

[4] Walter Benjamin “Paris, capitale du XIXe siècle. Le livre des passages”, Paris, Editions du Cerf, 1989, p. 473.

[5] Walter Benjamin, “Bert Bretch”, in “Essais sur Brecht”, Paris, La Fabrique, 2003, p. 9. Traduction de Bruno Tackels.

[6] Walter Benjamin « Le narrateur », in « Ecrits français », Paris, Gallimard, 1991 p. 211.

[7] Bruno Tackels “Walter Benjamin, une vie dans les textes”, Arles, Actes Sud, 2009, p. 692.

[8] Ibid., p. 62.

[9]Theodor W. Adorno « Prismes. Critique de la culture et société », Paris, Payot & Rivages, 2003, p. 250.

[10]Bruno Tackels  “Walter Benjamin, une vie dans les textes”, op. cité, p. 39. Il y relate entre autres que Benjamin se livrait à des descriptions quasi phénoménologiques du téléphone dont se servait son commerçant de père Emil mais aussi instrument essentiel du reporter pour communiquer. Il y décrit aussi la loggia de l’appartement de sa grand mère materrnelle, Hedwig Schoenflies, un dispositif qui alimentera plus tard sa réflexion et annonce sa prédisposition pour la flânerie. Enfin, sa collection de cartes postales (qui “m’apportait par la suite  beaucoup de lumières sur la vie que j’ai eue par la suite”)  se trouvait sans cesse enrichie par les cartes que sa grand-mère lui envoyait à l’occasion des grands voyages qu’elle entreprenait. Son amour du lointain, de l’image reproductible, du voyage, son goût pour l’inconnu, le plaisir fiévreux de l’accumulation sans fin viennent en partie de là.

[11] Figure du “chiffonnier du vin” chère à Baudelaire, l’alter ego français de Benjamin. Ce dernier explique :”Pour le flâneur, la ville –fût-ce celle où il est né, comme Baudelaire –n’est plus le pays. Elle représente pour lui une scène de spectacle”. In “Paris, capitale du XIXe siècle. Le livre des passages”. Paris, Ed. Du Cef, 1989, p. 361.

[12]Walter Benjamin, « Le Paris du second Empire chez Baudelaire », in Walter Benjamin. « Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme », Paris, Payot, 1979, pp. 101-102.

[13] Ibid. p. 58.

[14]Walter Benjamin, « Lumières pour enfants » op. cité, p. 20.

[15] Walter Benjamin « Correspondance (1929-1940 », tome II, Paris, Aubier Montaigne, 1979, p. 81.

[16] La formule correspond pour être tout à fait précis et rigoureux au travail des surréalistes, décrit par Benjamin dans un article de 1927, mais on peut l’appliquer  sans torsion à l’auteur lui-même, comme le font quelques commentateurs dont Bruno Tackels. (“Kitsch onirique”, in Oeuvres II, op. cité, p. 10)

[17] Bruno Tackels «Walter Benjamin : une vie dans les textes » , op. cité, pp. 393-394

[18] Walter Benjamin « l’Origine du drame baroque allemand, Paris, Flammarion, « La philosophie en effet », 1985, p. 35

[19] Ibid. p. 37.

[20] Ibid., p. 45.

[21] Ibid . p. 45.

[22] Ibid. p. 45.

[23] Ibid. p. 45.

[24] Bruno Tackels, op. cité, pp. 712-716.

[25] Walter Benjamin « Annonce de la revue Angelus Novus », in Œuvres I, op. cité, p. 267.

[26] Ibid. p.267.

[27] Ibid. p. 268.

[28] Ibid. p. 268.

[29] Gershom Scholem « Walter Benjamin. Histoire d’une amitié », Paris, Calmann-Lévy, 1981, p. 124.

[30] Bruno Tackels, op. cité, p. 138.

[31] Walter Benjamin « Annonce de la revue « Angelus Novus », in Œuvres I, op. cité, p. 270.

[32] Ibid. p. 139.

[33] Ibid. pp. 139-140

[34] Walter Benjamin “Paris, capitale du XIXe siècle. Le livre des passages”, Paris, Editions du Cerf, 1989, p. 445.

[35] Ibid. p. 215.

[36] Walter Benjamin « Images de pensée », Paris, Christian Bourgeois Editeur, 1998, p 20.

[37] Walter Benjamin, « Paris, capitale du XIXème siècle », Paris, Editions du Cerf, 1989, p. 438.

[38] Ibid. p.435.

[39]Ibid. p. 463.

[40] Ibid. p. 464.

[41]Theodor W. Adorno « Minima Moralia. Réflexions sur la vie mutilée », Paris, Payot et Rivages p. 217.

[42] Ibid. p.460.

[43]Ibid. p. 464.

[44]Walter Benjamin « Paris, capitale du XIXe siècle », op. cité, p. 437.

[45]Lettre à Adorno du 16 août 1935, in Walter Benjamin « Correspondance » T2, Paris, Aubier, 1979, p. 186.

[46]Walter Benjamin, « Lumières pour enfants, op. cité,  p. 231). 

[47]Walter Benjamin, une vie dans les textes, op. cité,  p.136

[48]Walter Benjamin, « Le Narrateur », op. cité, p. 167.

[49]Walter Benjamin « Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme », Paris, Payot, l979, pp. 153-154.      

[50]Philippe Ivernel « Walter Benjamin, le narrateur problématique »,  in Walter Benjamin « Rastelli raconte et autres récits », Paris, Le Seuil, 1987, p. 97-101.

[51]Ibid. p. 23.  

[52] Bruno Tackels, op. cité, p. 551.

[53]Ibid, p. 179.

[54]Ibid. p. 455. 

[55] Walter Benjamin “Paris, capitale du XIXe siècle. Le livre de spassages”;, op. cité, p. 850.

[56] En 1942, grâce à Hannah Arendt, les thèses « Sur le concept d’histoire » paraissent sous forme d’un tiré à part polycopié, avec ce titre : « En mémoire de Walter Benjamin ». En 1947, le texte -qui a suscité tellement d’interrogations et de fausses pistes,  paraît dans « Les Temps modernes ».

[57] Lettre de Walter Benjamin à Theodor Wiesengrund Adorno du 26 septembre 1940, citée par Jean-Michel Palmier, in « WalterBenjamin : le chiffonnier, l’Ange et le Petit Bossu », Paris, Klincksieck, 2006, p. 372. « Dans une situation sans issue, je n’ai pas d’autre choix que d’en finir. C’est dans un petit village dans les Pyrénées où personne ne me connaît que ma vie va s’achever. Je vous prie de transmettre mes pensées à mon ami Adorno et de lui expliquer la situation où je me suis vu placé. Il ne me reste pas assez de temps pour écrire toutes ces lettres que j’eusse voulu écrire. »

[58] Walter Benjamin » Sur le concept d’histoire », son dernier texte.

[59] Ibid. p. 657.

[60] Bruno Tackels, op. cité, pp. 62-63 : “On ne peut s’empêcher de rappeler, par antiphrase, que l’université de Fribourg accueillait, en ces années là, un autre étudiant en philosophie… du nom de Martin Heidegger. Et l’on découvrira plus tard que cette conjonction spatio-temporelle n’est pas la dernière entre Benjamin et Heidegger…”

[61]Géraldine Muhlmann, « Du journalisme en démocratie », Paris, Editions Payot & Rivages, 2004,  p. 149.

[62] Franck Nouchi “Le message de Marek Edelman”, Le Monde 6 octobre 2009, p. 30. Dans la ligne de Walter Benjamin, un de nos reporters d’idées et maître dans l’usage de la citation, nous finissons ce chapitre par une citation de Marek Edelman qui vient de mourir.

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