Art-Therapie: Danser pour vivre!
Dès qu'il commence à vivre l'homme cherche à s'exprimer par le geste. L'art de la danse est l'un des plus vieux du monde car même si l'on ne saura jamais sur quelle musique l'homme de la grotte de Gabillon en Dordogne a pu enchaîner ses pas, une certitude existe : plus 14 000 ans avant Jésus Christ, nos ancêtres dessinaient déjà des danseurs sur les murs de leurs cavernes. Aujourd'hui encore c'est spontanément qu'un jeune enfant suit un air de musique. Et à en croire la joie qui se lie sur son visage, on peut dire que la danse fait partie des plaisirs simples et immédiats de l'existence. De l'expérience religieuse, à la simple activité sportive en passant par la thérapie, regardons de plus près ce qui se joue dans l'expression corporelle et laissons-nous entrer dans la danse...
Au départ, les hommes dansent pour entrer en contact avec Dieu.
Dans de nombreuses cultures, la danse est associée à la spiritualité et à la guérison. Les derviches de Turquie tournent sur eux-mêmes sans relâche une paume dirigée vers le ciel pour recevoir les bénédictions divines et l'autre vers le sol pour les répandre sur la terre. Chamans, lamas, exorcistes musulmans, sorciers africains ont tous recours aux danses de transe et de possession pour débarrasser corps et esprit de leurs impuretés. Pratiqués de manière répétitive et associés à la musique et à la présence du groupe, les mouvements corporels parviennent à modifier l'état de conscience des danseurs qui sans plus de repères spatio-temporels, pensent alors être en communication avec l' « Esprit » et pouvoir obtenir de lui la guérison du malade.
Quand la danse soigne le corps...
Si la science actuelle regarde ces pratiques occultes avec circonspection, les vertus thérapeutiques de la danse sont néanmoins de plus en plus reconnues.
Ne serait-ce qu'en tant que simple activité sportive, elle garantit souplesse, circulation du sang, oxygénation des organes, entretien des articulations et du cœur, baisse du stress et elle possède des qualités stimulantes.
Rien d'étonnant donc à ce que la médecine ait pensé à l'utiliser pour la rééducation de personnes atteintes de traumatismes moteurs.
Pourtant, la danse-thérapie ne se limite pas aux handicaps physiques et l'on fait également appel à elle pour soigner les blessures de l'âme. Auprès de personnes atteintes de graves troubles mentaux (autisme, psychose) ou souffrant d'un mal-être lié à l'exclusion (jeunes de milieux socio-économiques défavorisés, vieillards etc.), la danse offre la possibilité d'une expression de soi jusqu'alors muselée.
...elle touche également l'esprit
L'expression corporelle permet de symboliser autrement que par la parole sa vie affective et émotionnelle. Il est évident que le corps possède son propre langage et que des mains trahissent parfois ce qu'une bouche n'ose dire. En dansant le patient accepte donc de s'ouvrir aux autres et de laisser paraître un peu de lui-même. Danser permet aussi de mieux accepter sa différence. Car en danse tous les individus, qu'ils soient malades, vieux ou mutilés, sont également capables de tendre vers une forme d'harmonie et de beauté.
Par ailleurs, en étant entièrement tourné vers l'expression le corps dansant est pris en considération dans sa totalité et n'est plus isolé dans sa pathologie. Il oublie alors sa pesanteur pour permettre au danseur d'être mentalement « ailleurs », au-delà des douleurs physiques ou psychiques. Mais avant toute chose, ce qui fait la caractéristique essentielle de la danse et qui la rend si précieuse pour tous, c'est sa capacité spontanée à nous rendre heureux et à nous transporter dans un univers féerique, léger et insouciant. Qui n'a pas un jour, face à l'être aimé, entre amis ou seul sur son air préféré, esquissé, sourire aux lèvres, une virevolte, une pirouette, un pas de deux ou de flamenco avec la sensation d'être dans la grâce ?
Entrer dans la danse
Mais, malade ou pas, chacun est en droit d'attendre que la vie lui soit douce et harmonieuse, doit pouvoir développer sa propre créativité.
Dans une société habituée à diviniser la perfection de corps remodelés façon photoshop dans les magazines, au détriment de la vraie réalité des corps, danser permet de s'approcher de la beauté, qu'elle soit physique ou spirituelle, abstraite ou concrète ; une beauté venue du fond des âges, archaïque et primitive, vers laquelle chacun tend inconsciemment ou pas, et qui étrangement réconcilie en nous l'animal et l'homme.
Alors, danser par la pensée pour s'envoler quand même lorsqu'on a perdu ses jambes ou que l'âge tient au fauteuil, ou danser pour séduire et aimer et enfanter, danser pour soi d'abord ; toujours ressentir et savoir son corps dans l'espace et le mouvement, l'équilibre qui l'enracine et le porte comme un pont entre la terre et le ciel...
C.L.
INTERVIEW :
Jean-Pierre Klein, psychiatre et directeur de l'INECAT (Institut national d'expression, de création, d'art et de thérapie), est l'auteur de nombreux ouvrages dont :
"L'art-thérapie" aux éditions Que Sais-Je ?
"Le langage verbal n'est pas le seul langage thérapeutique possible."
Qu'est-ce que l'art-thérapie?
L'intérêt de l'art-thérapie est d'arriver à parler de soi sans avoir à dire « je ». Mais parler n'est pas non plus toujours possible et ne résout pas forcément tout. La douleur du patient est parfois trop forte pour pouvoir être verbalisé. L'art-thérapie permet alors d'entrer dans des territoires où, à l'inverse du langage parlé, la personne n'a pas pris l'habitude de développer des processus de défense qui la retiennent prisonnière de sa souffrance.
Qu'est-ce qui détermine le choix de la forme artistique?
Chaque expression artistique a son intérêt propre, la forme varie selon l'intérêt et le profil de la personne. Ainsi, l'art-thérapeute ne proposera pas un art que la personne pratique déjà car elle doit pouvoir se surprendre elle-même.
Quelle est la spécificité de la danse?
Elle met en avant l'union fondamentale du corps et de l'esprit. On sollicite le corps tout entier sans s'attacher à tel ou tel symptôme psychique en particulier. La personne malade peut symboliser sa souffrance et la dépasser dans un mouvement vers la grâce. Il est donc essentiel que le travail effectué en atelier soit sérieux. Il y a une exigence de qualité artistique et il ne s'agit pas d'un défouloir où chacun ferait n'importe quoi!
Comment travaille le danseur-thérapeute?
Le thérapeute est engagé différemment car il est lui-même danseur. Il n'interprète pas verbalement (au sens psychanalytique du terme) mais il "interprète" au double sens artistique et psychanalytique par sa gestuelle. Sa réponse à la personne malade passe tout entière par son propre corps et n'est pas verbalisée. La résolution des conflits passe par la danse elle-même.
La danse est-elle affaire personnelle ou au contraire affaire de groupe?
Les deux. Avec Henri Samba qui intervient à l'INECAT, on travaille sur la relation aux autres. Il s'agit d'arriver à trouver son ancrage dans le sol et son identité face au groupe. C'est la relation "individu-village", la création individuelle s'appuie sur le rythme commun du groupe dont elle parvient à se détacher pour y revenir ensuite.
Pour plus de renseignements sur les activités de l'INECAT écrire au 27, rue Boyer 75020 Paris ou consulter le site web :
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