"Puisque mon coeur est mort" de Maïssa Bey
« L'écriture de Maïssa Bey est toute imprégnée de silences et c'est ce qui fait sa beauté. ». Je ne sais comment vous parler de Maïssa Bey parce qu’elle m’a à la fois éblouie et bouleversée et j’ai peur de ne pas savoir dire ce qu’elle exhale.
J’ai lu son dernier livre : « Puisque mon cœur est mort » (Editions de L’Aube, prix Orange du livre 2010) en juin de l’an dernier, mais sa petite musique me poursuit encore. La trame de ce roman n’a rien à voir avec les soubresauts des amours déçues, malheureuses qui ont inspiré tant de poètes … Le sujet est terrible !
« Puisque mon cœur est mort » est un roman intense, courageux. La descente aux entrailles d'une mère dont le fils de 20 ans a été tué, ses déchirements qui donnent naissance à une femme nouvelle, arrachée à la quiétude d'une vie marquée du sceau de la peur du clan, du silence et de l'obéissance aux traditions. Un tsunami d'émotions qui poursuivra longtemps le lecteur.
Les silences de Maïssa Bey sont des é-CRI-ts qui ont la violence d’un enfantement. A travers le personnage d’Aïda, pendant 254 pages… elle est la parturiente qui accouche de son innommable douleur à la suite de la mort de son fils unique, égorgé par erreur par un intégriste revenu du maquis et amnistié, en vertu de la loi de réconciliation nationale. Au lieu de se replier dans son chagrin, ce qui est le comportement social attendu d’elle, Aïda se met en chasse : elle doit absolument trouver le meurtrier de son fils : « Un jour, il sera face à moi. Fatalement. Parce que je le veux. Même si je connais maintenant le nom de celui qui m’a dépossédée de toi, de ta voix, de ton souffle, de ton odeur, je ne sais rien de lui. (…) Tu as sans doute entendu sa voix, perçu son souffle, respiré son odeur. Et ses mains. Oui, ses mains sur toi. Lui, quelque part dans l’écho répercuté des pas qui ont résonné à tes oreilles. (…) Ce visage est gravé en moi, même si je ne l’ai vu que quelques secondes.» (pp.57-58).
Une situation insupportable que je serais absolument incapable de traiter, sous forme littéraire ! Pourtant, seule une mère peut écrire un tel livre alors que, paradoxalement, en tant que mère jamais je n’aurais pu concevoir un tel sujet, par superstition, de crainte de faire survenir l’innommable. Je me souviens d’une confidence de l’écrivain Anouar Benmalek qui me disait sa hantise que quelque chose de terrible n’arrive à sa fille ou à son fils. En écrivant « Ce jour viendra », il a exorcisé sa peur par rapport à son fils et je suppose qu’après « Le rapt », il en a été de même envers sa fille. Mais n’est pas Anouar Benmalek ou Maïssa Bey qui veut !
Il se trouve que ce sont deux auteurs Algériens, hasard ou prédilection ? Mais j’affirme que leur algérianité n’est pas étrangère à leur plume trempée dans le feu.
(Maïssa Bey est née en 1953 et vit à Sidi-Bel-Abbès, ma ville natale).
©Mahia Alonso