Le Billet de Gil Jouanard
Vous avez dit antisémitisme ? Mise au point…
Les Sémites n'ont jamais été un peuple, un groupe ethnique ni une "race" (d'ailleurs la seule race existante est celle des Homo Sapiens-Sapiens qui englobe l'intégralité de l'espèce humaine), mais les usagers d'une des langues de la famille dite "sémitique", que l'on reconnaît en Mésopotamie avec les Akkadiens, successeurs des Sumériens (qui n'étaient ni de "culture" sémitique ni de "culture" indo-européenne ou touranienne) et leurs successeurs, et qui, par la suite, de l'Assyrie au sud de la Péninsule arabique, incluent un grand nombre d'idiomes, parmi lesquels l'hébreux.
Dire par conséquent qu'un Arabe, usager d'une langue sémitique, est antisémite, cela correspond, en terme d'absurdité, à celle, d'absurdité, qui consisterait à stipuler, par exemple que les Européens sont anti-indo-européens, que les Turcs sont anti-touraniens (ou anti-turco-mongoloïdes), les Estoniens sont anti-fino-ougriens, les Berbères anti-amazighs, ainsi de suite. Ce genre de confusion est hélas à rapprocher de celui qui a conduit les "théoriciens" nazis à se revendiquer "Aryens", alors que les Aryas sont une branche du grand ensemble "indo-européen" distincte de celle des "indo-européens occidentaux", qui peuplèrent le nord de l'Inde, l'Iran et une part notable de l'Afghanistan (et qui utilisaient une langue de la sous-famille " satem", tandis que les Latins, Grecs, Celtes et Germains parlaient une langue du groupe "centum", le c se prononçant comme un k). La façon de désigner les réalités humaines n'est hélas pas sans conséquences. Ce que l'usage, fautif, du terme "Antisémitisme" veut désigner (et à juste titre dénoncer), c'est l'"Antijudaïsme", détestable "pratique" collective qui, du fait de l'anathème jeté par l'Eglise sur le "Peuple qui tua Jésus" (comme s'il n'était pas Juif lui-même !), empoisonna nos sociétés pendant vingt siècles, abusif mouvement de rejet renforcé, depuis la Renaissance par l'assimilation du Juif à l'usurier. Ajoutons enfin, à ce nœud de confusions langagières, le fait que l'on a également tort de confondre les notions radicalement distinctes d'"anti-judaïsme" et d'"anti-israélianisme", Israël étant un Etat et non une ethnie, une culture, une communauté religieuse (et bien évidemment pas le sanctuaire d'une "race" qui n'existe pas), pas plus que la France ou l'Espagne, l'Allemagne ne constituent une entité homogène du point de vue culturel, sociohistorique ou confessionnel. On peut admirer Einstein, Mahler, Freud, Heine et exécrer tel homme politique israélien, de même que l'admiration pour Couperin, Chardin, La Fontaine, ou tel savant français du XVIIe ou XVIIIe siècle ne nous oblige nullement à admirer la France de Louis XIV ou celle, plutôt détestable, du temps de Napoléon.
L'antijudaïsme est une plaie, et il faut impérativement, catégoriquement, l'attaquer et l'éradiquer partout où il se manifeste. Mais pour cela, il importe de ne pas céder au mouvement simpliste et dangereux d'assimilation et de confusion mentale, intellectuelle, sinon même, d'une certaine façon, morale.
Voir clair, penser clair et s'exprimer clairement (c'est-à-dire appeler les choses par leur nom plutôt que par un pseudo-synonyme aléatoire) sera toujours le moyen le plus sûr d'éviter à l'ignorance, à la confusion, à l'amalgame artificiel, au rejet arbitraire, à l'a priori, à la passion partisane et irréfléchie (qui n'a rien à voir avec la vraie passion, qui exalte et transcende l'individu --dont l'émancipation consistera toujours à se défier des mouvements collectifs, idéologiques ou communautaires) de prendre le dessus sur la raison et sur l'instinct de solidarité qui devrait s'efforcer de nous faire oublier que nous sommes l'espèce animale la plus redoutable, la plus dangereuse même, celle de charognards devenus d'impitoyables et cyniques prédateurs.
G.J.