Sans Bill et Lily Coleman, le Jazz ne serait pas ce qu'il est, et le Gers non plus, qu'ils ont fait exister autrement.

Etablie dans le Gers, à Cadeillan depuis 1977, Lily Coleman, c'est d'abord la mémoire du jazz. Elle était de l'aventure avec Bill Coleman, l'amour de toute sa vie, qu'elle a rencontré à 16 ans lors d'un de ses concerts parisiens, à St-Germain des Prés. Avec eux, un autre trompettiste, Guy Lafitte, l'ami qui les a fait venir dans le Sud-ouest. Le trio va lancer Jazz in Marciac en 1978, quatre ans avant la disparition du trompettiste.

En 1984, Lily Coleman assure le secrétariat de la toute fraîche association « Les amis de l'orgue » présidée alors par Philippe Téchené, à Lombez. Lily est élue présidente en 1993. La programmation, saison après saison, est éblouissante. De grands noms viennent jouer aux orgues de la cathédrale de Lombez bien souvent par amitié pour Lily Coleman. Pour elle certains revoient leur cachet à la baisse. On ne sait pas résister à sa « main de fer dans un gant de velours ». Elle veut le meilleur pour les orgues de Lombez, un instrument du 18e. Et les concerts rendent à la cathédrale sont faste d'antan, un public se constitue. De hautes personnalités du département viennent en simple public. Sa santé déclinant avec un âge bien avancé, elle vit désormais recluse dans la maison qu'elle a louée avec Bill à leur arrivée. D'un très fort caractère, elle a obstinément refusé d'intégrer une maison de retraite et ce sont ses voisins, le maire et son épouse qui à tour de rôle prennent soin d'elle. Un juste retour des choses pour cette femme de cœur qui a elle-même longtemps visité les malades, aidé tous ceux qui, dans le besoin, se sont trouvés sur son chemin.

Le miracle de « Marciac »

En 1977 Lily et Bill s'installent dans le Gers. Leur ami Guy Lafitte et sa femme Colombe leur ont déniché une petite maison à louer dans laquelle Lily vit toujours. Elle est devenue une très vieille dame, usée par la maladie, repliée dans ses souvenirs, continuant de vouer un amour indéfectible à Bill.

Qu'en est-il de ses souvenirs, aujourd'hui où, âgée de 92 ans, un peu de vent, dans sa tête, a pris la place du temps qui passe : elle ne nous reconnaît plus toujours, mais je suis certaine qu'elle continue de dialoguer avec Bill dans une étroite intimité d'âme, comme elle a toujours fait depuis 1981. Moi qui ai eu le privilège de recevoir ses confidences, j'étais éblouie par la fidélité à cet amour. Je n'ai pas connu Bill, mais je sais quel être exceptionnel il a pu être pour avoir suscité un tel lien.

Lily aimait aussi me raconter comment Jazz in Marciac est né, parce que cette aventure, la dernière partagée avec Bill, est devenue un des fleurons du Gers :

« On a tout d'abord pensé implanter notre projet à Simorre (village près de Cadeillan, ndlr) mais nous n'avons pas rencontré d'enthousiasme de la part des locaux... Tandis qu'à Marciac, plusieurs personnes autour du maire Jean-Louis Guilhaumon, avec l'aide de Claude Müller, avaient organisé un mini festival dont Claude Luter fut la vedette. Le succès fut au rendez-vous. Pour la seconde édition, on espérait engager des musiciens américains connus. André Müller vint nous voir à Cadeillan. Et Bill accepta bien volontiers d'aller y jouer. Nos relations amicales très étendues dans le milieu du show bizness devaient aider à contacter bien des musiciens et des orchestres célèbres. En 1979 ce fut le Golden Gate Quartet, l'orchestre de Marc la Ferrières. Bill devient alors le premier président d'honneur. Son contact si chaleureux et jovial contribuera à établir le climat convivial qui imprègne toujours à Marciac. On peut parler du « miracle de Marciac » grâces aux attitudes hors du commun de Jean-Louis Guilhaumon, un homme de dialogue, à l'esprit clairvoyant et un organisateur hors pair infatigable. Et puis il y a eu cette adhésion extraordinaire de la population, des 300 bénévoles dès le départ. Songez que les premières années, le festival se tenait dans les locaux d'une fabrique de meubles qui fermait en aout. »

Et puis une page s'est tournée avec la mort de Bill en 1981. Guy Lafitte a pris la relève à la présidence d'honneur

Dans la voix de Lily, un chagrin qui rien n'a jamais affaiblie :

« Bill, voyez-vous Mahia, c'était un musicien élégant, un homme simple, généreux, gentil, attentif aux autres, un bon vivant... Il m'a tellement gâtée ! Lui survivre est une épreuve de force. Il m'a fallu me raccrocher à quelque chose pour traverser ce désert qu'est devenue ma vie sans Bill. Et Jazz in Marciac m'a apporté des forces inouïes... Les années ont défilé, apportant des changements. Un premier chapiteau a surgi (qu'il y a fait chaud !!), le festival s'est allongé. Un nombre impressionnant de grands artistes sont venus y jouer. Et il y a eu le musée, encore une idée de Bill qui était collectionneur. C'est devenu « les territoires du jazz », musée d'un concept étonnant que l'on parcoure avec un casque infrarouge sur les oreilles.... »

Pendant de très nombreuses années, Lily Colman a officiellement participé à l'ouverture du festival Jazz in Marciac. Grâce à ses nombreuses amitiés, des noms prestigieux se sont succédés ainsi celui de Shirley Horn dont Lily disait que c'était une des chanteuses de la grande tradition les plus intéressantes en Amérique. Elle avait un faible pour Kenny Baron ou encore Gilberto Gilles venu en 2002, à qui on doit ce mixage impressionnant entre le jazz et la musique brésilienne. Et aussi Winton Marsalis, qui est devenu un fidèle du festival ou le merveilleux pianiste Mc Coy Tiner, ... Oui, une longue liste, tous des amis de Lily et de Bill Colman.

Depuis quelques années, Lily ne peut plus participer à ce festival dont elle disait :

« Il y a une alchimie surprenante à Marciac : la fusion d'un jazz de haut niveau, le respect des artistes et du public ; l'accueil y est chaleureux : on se retrouve entre amis, c'est une véritable ruche. »

Pour chaque édition, elle signait chaque jour, des billets pour la Dépêche du Midi. Un gros travail qui s'ajoutait à sa traduction de la biographie de Bill, une commande de l'Education nationale (Voir annexes).

 Leur vie dans le Gers

Dans le petit village de Cadeillan où le couple s'était installé, Bill participait avec simplicité à la fête locale. Ici tout le monde se souvient de lui et tous ont de l'affection pour Lily, la compagne fidèle et courageuse qui ne s'est jamais ménagée pour que le souvenir de Bill reste vivant dans tous les cœurs. En septembre dernier, lors de l'anniversaire de Lily Coleman, célébré par tout le village, - elle a fêté ses 92 ans -, le maire a évoqué l'arrivée des Coleman à Cadeillan voici 34 ans, leur implication totale dans le festival « Jazz de Marciac » , leur gentillesse qui a conquis le cœur des Cadeillanais : « Tout deux, distingués dans les ordres du Mérite, des Arts et Lettres et de la Légion d'Honneur, ont toujours contribué à la diffusion de la culture musicale en se rendant très accessibles. »

Un grand du jazz

Bill Colman, trompette , bugle, chant et composition, né le 4 août 1904 à Centerville (Kentucky, USA), décédé le 25 août 1981 à Cadeillan (32). Il a joué avant puis après la guerre à Paris, mais il n'y était pas pendant l'Occupation. Il a été longtemps un acteur essentiel de la scène parisienne du jazz :

http://site.voila.fr/musiciensjazzparis1

Un an après sa disparition, l'Académie Charles Cros lui a décerné en 1982 le prix « in memoriam » pour l'ensemble de son œuvre.

Le trompettiste a joué à travers le monde, seul ou avec les plus grands : Sydney Bechet, Fats Weller, Duke Ellington, Stéphane Grappelli, Django Reinhard...

Bill Coleman figure, à juste titre, dans le Dictionnaire du Jazz de Philippe Carles, André Clergeat et Jean-Louis Comolli. L'article qui lui est consacré est signé par Michel Laverdure et se conclut ainsi :

« Elégant, est le qualificatif qui vient immédiatement à l'esprit lorsqu'on évoque Bill Coleman. Un gentleman jusqu'au bout de sa trompette. Bien qu'il sache jouer en puissance, sa sonorité sous tendue par un très délicat vibrato demeure, dans la plupart des cas, d'une savoureuse fluidité. Sa phrase flexible, féline, donne parfois l'illusion de survoler l'assise rythmique alors qu'elle ne cesse jamais de s'appuyer sur le temps, dans la grande tradition des musiciens middle jazz à laquelle il restera toujours fidèle. Ces caractéristiques s'appliquent aussi à ses activités vocales, qu'il chante le blues, le gospel ou les standards, tel Just a Gigolo, qu'il affectionnait. »

Michel Laverdure signe aussi, dans Jazz Magazine de janvier 1964, un article des plus intéressants sur le trompettiste, intitulé : Portrait - Un gamin de Paris.

Il est l'un des ambassadeurs américain du jazz, avec soixante ans de carrière des deux côtés de L'Atlantique. Il a choisi de rester en Europe dès 1948. Demètre Ioakimidis, dans un article paru au décès de Bill, intitulé « Bill Coleman, un grand individualiste du jazz classique », en dit ceci : " Tout autant que dans sa carrière, Bill Coleman fut un individualiste par son style. Sa sonorité claire, son phrasé mobile émancipé de la régularité des quatre temps traditionnels, sa précision mélodique d'une exemplaire fermeté dans tous les registres et son constant souci de l'élégance, le plaçaient parmi les non-conformistes de la trompette lorsqu'il arriva pour la première fois sur notre continent.

Les mêmes qualités restaient présentes dans son jeu jusqu'à ses dernières années, et ce défi au passage du temps était marqué d'une assurance de grand seigneur. Bill Coleman n'a jamais voulu simplifier son style, et il n'a jamais laissé apparaître le moindre effort dans cette poursuite de la constance : la sûreté avec laquelle il a su conserver les moyens physiques nécessaires pour cela lui a permis d'atteindre une longévité artistique qui force l'admiration.

" Mais Bill Coleman, ne fut pas seulement un musicien américain de stature internationale. Il est sans doute le seul musicien de jazz du XXe siècle qui ait si minutieusement noté des faits et archivé des documents dans le but, pré médité de longue date, de publier ses mémoires. Doué d'un talent d'ethno-sociologue, Bill nous décrit sa vie professionnelle et sa jeunesse sans omettre les détails d'environnement, d'ambiance, de société.

Ce témoignage dépasse largement le simple récit de la vie d'un musicien. C'est un livre fondamental pour l'étude du contexte socio-ethnologique du jazz, pour l'histoire pure du mouvement esthétique et pour les études sur les sociétés américaine et française au XXe siècle. Les témoignages sont d'une extrême précision et les photos personnelles réalisées ou collectées par Bill dans sa jeunesse sont de véritables bijoux.

Son abondante documentation collectée tout au long de sa vie et archivée par sa femme Lily représente un trésor pour l'histoire du jazz mondial. Des photos rarissimes datant des années 1920, prises par Bill Coleman donnent le reflet d'une certaine Amérique sur laquelle il reste difficile pour les chercheurs européens de travailler. D'un style simple et direct, le livre de Bill Coleman se lit très facilement :

«De Paris, Kentucky à Paris, France, ma trompette sous le bras »".

Cet ouvrage autobiographique, traduit de l'américain par Lily Coleman, son épouse et éminente collaboratrice a été publié en 1981 aux Editions CANA " 14, rue du 8-mai- 1945, 75010 Paris.

Lettre de Lily Coleman à Maurice Cullaz

Si cher Maurice Cullaz

Voici le dernier jour du festival arrivé; apothéose avec un concert de gospel présentant deux des plus prestigieuses formations qui perpétuent cette tradition: les Sensational Nightingales (rossignols) et les Stars of Faith (stars de la foi) -elles avaient chanté à l'église de Marciac devant le président François Mitterrand-, deux ensembles se produisant sur toutes les scènes du monde les plus en vue.

Chaque année, à Marciac, un très cher ami, Maurice Cullaz, présentait le spectacle de gospel à l'église et sous le chapiteau.

Il s'asseyait ensuite sur une chaise sur le côté de la scène et on pouvait le voir de temps à autre essuyer furtivement une larme tant ces chants de la foi et de la race noire l'émouvaient. Il avait d'ailleurs écrit un livre sur le gospel et les negros spirituals, sur le blues également, toujours secondé par son épouse, Yvonne, dite Vonnette.

Nous ne verrons plus Maurice, nous n'entendrons plus ses innombrables et pittoresques anecdotes sur le jazz et la multitude des musiciens qu'il avait connus depuis 1935, ni son rire communicatif car sa santé ne lui permettra plus d'aller au spectacle. Il nous manquera beaucoup.

Pionnier du jazz, vétéran de la radio depuis 1945, il a rencontré les plus grands.

Pendant vingt ans, il a assuré la présidence de l'Académie du jazz. C'était un passionné, écrivant pour différentes revues, oeuvrant avec Vonette comme traducteur des livres anglo-saxons sur le jazz. Quatre enfants, deux filles, deux garçons musiciens; Pierre Cullaz, compositeur et guitariste, et Albi, contrebassiste.

Maurice et Vonnette Cullaz tiennent table ouverte pour les musiciens de passage et on les rencontre tous les soirs partout où l'on peut entendre du jazz dans la capitale et l'été à Nice, Antibes, Marciac. En 1953, ils furent nos témoins de mariage à Paris.

Ces dernières années furent très cruelles. Ils ont perdu deux de leurs enfants, Lucile et Albi. Puis Maurice est devenu sourd et maintenant il a besoin d'assistance.

Nos pensées vont à Vonnette. Notre souvenir sera fidèle.

Merci Marciac pour ce beau festival 2000!

Lily Coleman

Liens, pour visionner les vidéos.

http://www.ifccom.ch/reperes/jazz_0005.html

Bill Coleman et Guy Lafitte :