Des religions et des hommes
A-t-on le droit ou non de tourner en dérision la croyance des autres ? Est-il possible de concilier des idéologies antagonistes ? Ces questions, entre autres, ont été soulevées après la destruction criminelle du siège du journal satirique Charlie Hebdo – Point de vue bouddhiste.
Rétrospectivement, l’attentat du 2 novembre 2011 contre la rédaction de Charlie Hebdo donne des frissons. La quasi-totalité des documents et des archives, papier et numérique, du journal a été détruite. Fort heureusement, aucune victime n’est à déplorer.
Cet attentat, d’une rare violence et d’une incroyable lâcheté, a été, à juste titre, condamné par tous les observateurs ou presque. Il pose toutefois la question de la limite des libertés, quelles qu’elles soient.
Chacun voit Dieu à sa porte…ou pas ?
Le mot religion provient, comme on le sait, du latin « religare » qui signifie « relier ». Globalement, dans les religions monothéistes, ce lien, vertical, relie l’individu à une entité transcendantale, qu’il nomme Dieu, Allah, Jehova, etc. Dans le bouddhisme, religion non monothéiste, ce lien est horizontal. Tous les êtres vivants sont liés par une loi qui les imprègne et imprègne l’univers tout entier.
La philosophie bouddhique, universellement connue pour sa distanciation et sa tolérance, défend le principe selon lequel : « Chacun a raison de son point de vue ». La notion de vérité – relative, dès lors qu’elle est envisagée d’un point de vue collectif – devient absolue vue sous l’angle individuel. Chaque individu a toute légitimité de défendre sa propre conviction si cela ne porte pas atteinte à la dignité d’autrui ni à son intégrité. Le bouddhisme défend avant tout la notion de respect et de suprématie de l'individu.
La liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté d’opinion demeurent sacrées sous nos latitudes démocrates. C’est même ce qui nous différencie des régimes totalitaires. Mais cette liberté « ne s’arrête-t-elle pas là ou commence celle des autres » ? Et la liberté des autres ne consiste-t-elle pas à défendre ce qui, dans leur tradition et leur croyance, relève du sacré ?
Une harmonie planétaire
Presque toutes les guerres, presque tous les conflits humains, depuis l’origine de l’humanité jusqu’à nos jours, prennent racine dans les divergences - idéologiques, politiques, religieuses ou philosophiques - entre des peuples. Par conséquent, un monde de paix serait, idéalement, un monde où chacun reconnaîtrait la valeur, le bien-fondé et la légitimité de la conviction de l’autre.
Concernant l’acte de destruction dont le journal Charlie Hebdo a été l’objet, il est sans conteste répréhensible. Mais il est nécessaire de comprendre que des croyants de l’Islam aient pu être choqués par une représentation humoristique de leur prophète Mahomet éditée à des milliers d’exemplaires. Surtout compte tenu du rejet dont fait l’objet l’Islam dans la plupart des pays occidentaux.
Les pratiquants du christianisme n’apprécieraient guère sans doute davantage que des humoristes musulmans tournent leur Christ en ridicule. En témoignent les chasses aux sorcières et les hurlements au blasphème lors des sorties de films ou de livres sulfureux, portant atteinte à l’image de l’église catholique, même s’ils ont été réalisés par des catholiques pratiquants. Alors a fortiori par des musulmans !
« La meilleure voie est la voie du milieu » martèle le bouddhisme. La voie du milieu, c’est celle qui dédiabolise les pensées, harmonise les antagonismes, humanise les principes et respecte la dignité humaine.
Difficile de trouver une panacée au mal-être existentiel des hommes. Mais on peut toujours rêver d’un monde où l’humain serait au centre des préoccupations et non les idées. Un tel monde désacraliserait ce qui ne relève pas du sacré mais de la superstition, et sacraliserait l’ultime valeur qui soit digne de l'être : la vie.
M.E.