Internet sur la sellette au nom
de l’antiterrorisme
Par Christian Duteil
Le vaste débat toujours recommencé qui oppose défenseurs de la liberté totale sur Internet et partisans de la régulation va rebondir aujourd’hui et faire rage de nouveau avec le projet de loi antiterroriste qui vient de sortir.
Résumons le feuilleton pour ceux qui ont perdu le fil.
Après la mort de Mohamed Merah, le 22 mars à Toulouse, lors de sa fusillade avec le Raid, le chef d’Etat avait annoncé dans la foulée deux vagues de mesures destinées à réprimer l’apologie du terrorisme sur Internet et les « formations » au terrorisme à l’étranger. Surfant sur la démocratie de l’émotion et prenant à témoin l’opinion publique pour faire passer ces législations de circonstance (un nouveau drame = une nouvelle loi pénale) qui se multiplient comme des petits pains sous son quinquennat, Nicolas Sarkozy avait déclaré avec fermeté que « toute personne qui consulterait de manière habituelle des sites Internet qui font l’apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine et à la violence sera punie pénalement ».
A un mois du premier tour de la présidentielle, la gauche avait fait savoir qu’elle ne voterait pas ces mesures liberticides présentées, selon elle, dans la précipitation et avec des arrières pensées électoralistes.
Il en fallait plus cependant pour arrêter ce train express de législations d’émotion et de circonstance. Le projet de loi antiterroriste présenté mercredi 11 avril en conseil des ministres, vise à mieux prévenir les actes d’« individus isolés » et de « loups solitaires », en ciblant notamment le Web et les formations au Jihad. Ce projet de loi, précise le Garde des Sceaux, Michel Mercier « sera déposé sur le bureau du Parlement et pourrait bien être le premier texte voté par la nouvelle législative ».
Dans un Etat de droit, c’est faire preuve d’un bel optimisme, même avec l’usage du conditionnel et dans l’hypothèse où le candidat de son camp politique serait réélu en mai prochain. En effet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l’empêcheur de légiférer en rond selon ses désirs, est claire et sans ambiguïté : toute limitation de la liberté d’expression doit être strictement encadrée. La Cour européenne des droits de l’homme va dans le même sens et ce principe ne souffre guère d’exception. Sauf à retenir le concept flou et à géométrie variable de dangerosité potentielle et de succomber à la tentation redoutable de la législation d’exception qui rappelle des temps sombres et pas si lointains. Même le président Bush n’avait pas osé aller jusque-là après le traumatisme mondialisé du 11 septembre 2001.
Au-delà de ces questions de droit et de principe, le projet de loi ouvre une véritable usine à gaz et peut devenir vite ingérable. Comment établir en effet dans la pratique un délit de « consultation de manière habituelle et sans motif légitime » ? Rend-t-il obsolète tous les outils législatifs exceptionnels dont on dispose déjà pour lutter contre le terrorisme ? Comment contrôler une police de l’Internet sans tomber dans une pure dictature où tout le monde espionne tout le monde ?
S’il est vraisemblable que « le visage du terrorisme change » et que les démocraties doivent rectifier le tir pour lutter effacement contre cette terrible menace qui avance masquée, ce nouveau projet de loi ne risque-t-il pas d’inciter à la prudence les éventuels « candidats isolés » au Jihad et à faire l’impasse sur les sites incriminés ? Ces derniers permettaient pourtant aux divers services de renseignement de souvent les localiser et de les « loger » comme on dit dans le jargon policier. « C’était un vivier inépuisable pour nous qui permettait de tisser peu à peu notre toile de renseignements » note un responsable de la DCRI, lieu clos à Levallois où toutes ces annonces politiciennes font un peu désordre et quelques vagues.
C.D