La Fête au Bouc, de Mario Vargas Llosa Un roman dont vous ne sortirez pas indemne, auquel vous repenserez constamment, souvent, et lorsque l’information du monde vous parlera d’ingérence pour cause « humanitaire » vous saurez qu’au nom de ces causes et sous leur couvert, on coud les paupières, on électrocute, on dépèce, aujourd’hui encore. |
1961. Des hommes en embuscade sur une route de campagne ont décidé de tuer Rafael Leonidas Trujillo, Président de la République Dominicaine. Et ces hommes, tous proches de Trujillo, qui au cours des années de sa gouvernance leur a offert des postes et de l’argent pour les asservir, qui n’en peuvent plus de la tyrannie de Trujillo et probablement de leur propre vénalité, dans un sursaut d’honneur et dans un désordre indescriptible, la peur au ventre et conscients des conséquences en cas d’échec, en attente dans la nuit noire, vont parvenir à assassiner le tyran Dominicain, celui que tous nomment « Le bouc, el chivo » On va avec eux, tandis qu’ils attendent la voiture de Trujillo, qu’ils doivent intercepter, revisiter l’histoire de la République Dominicaine, les envahisseurs Espagnols et les barbares Haïtiens, la pauvreté et l’exploitation des populations par les uns et les autres, et surtout la tyrannie de Trujillo.
Mais, ce récit est démultiplié et amplifié par les différentes voix des personnalités concernées, dont celle de Trujillo, qui viennent mettre en lumière les paradoxes d’une humanité confrontée à ce qu’elle est : la lâcheté et la peur, le courage et la générosité, la vénalité et la dignité, et, dans le meilleur et le pire, sans panache capable d’oser, grandiose dans l’horreur, et toujours partagée entre ses peurs et ses désirs.
À écouter les uns et les autres, on comprend et l’on devient les révolutionnaires qui veulent assassiner Trujillo, embusqués et sans gloire sur une route de campagne, mais on comprend aussi Trujillo qui en prenant le pouvoir 30 ans auparavant, voulait donner à son pays une cohérence sociale et économique, un statut international.
Et d’une certaine façon, c’est ce qu’il a fait. Avec l’appui de l’Amérique avec qui il édifie des contrats, il redonne à son pays une économie, des écoles et de l’éducation, des hôpitaux et des soins.
Tout aurait pu, aurait dû continuer ainsi pour le bien de tous, mais Trujillo va développer ce que développent les hommes de pouvoir lorsqu’ils accèdent aux sommets des pays : le totalitarisme, la dictature, la torture et les emprisonnements, les abus, la substitution des richesses du pays à son profit… et le droit de cuissage.
Au-delà du roman dont la force tient à la nature des héros de l’histoire, que ce soit dans l’abjection ou l’abnégation, ce que l’auteur nous fait ressentir comme « si on y était », ce qui apparaît et est mis en évidence, ce sont les dérives des hommes politiques avec des attitudes pareillement partagées dans le monde par un grand nombre de gouvernants, porteurs au départ de générosité, de patriotisme et de bonnes intentions, et qui au fil du temps et du pouvoir absolu qu’ils s’octroient ou qu’on leur laisse, peu à peu s’écartent du terrain et des réalités, développent des attitudes et des comportements mégalomaniaques, narcissiques et monstrueux. Deviennent des tyrans. Évidemment, on pense en lisant ce livre aux récentes révolutions Arabes, à Ben Ali et à d’autres aussi, qu’ils soient du Moyen-Orient ou d’Europe comme le fut Ceausescu. On pense aussi à d’autres formes de dictatures, plus subtiles, plus Occidentales, plus camouflées, mais tout aussi terribles pour les hommes et les pays. Un roman dont vous ne sortirez pas indemne, auquel vous repenserez constamment, souvent, et lorsque l’information du monde vous parlera d’ingérence pour cause « humanitaire » vous saurez qu’au nom de ces causes et sous leur couvert, on coud les paupières, on électrocute, on dépèce, aujourd’hui encore. |