Paris gare de Lyon : Latente attente
Les gares. Des lieux où l’on arrive, d’où l’on part.
Où l’on se presse, où l’on s’embrasse, où l’on se sépare.
On va rejoindre sa famille, un travail, un ami, sa maison, quelqu’un, quelque part.
On imagine ce qui nous attend là-bas, de l’autre côté des rails.
Individus noyés dans un mouvement de masse en marche.
Et puis il y a cette salle. Cette salle d’attente. Vous l’avez sûrement vue. Au gauche du quai A de la gare de Lyon.
Un voyage dans une partie du quotidien de ceux qui en squattent les sièges dès l’ouverture de la gare. Parce qu’ils n’ont pas de toit, parce que dehors il fait trop froid, et parce que quand tu dors dans la rue la nuit, souvent tu ne dors pas.
Paris. L’autre soir, La Nuit de l’électro, j’ai dansé jusqu’à n’en plus sentir mes pieds. A 5h30, la salle s’est vidée. Rentrer chez soi. A Lyon. Mon train partait à 11h54. L’anticipation et moi, parfois, c’est de l’ordre de la fiction : résultat, ce soir-là, je suis sans toit.
Direction donc la gare. Idée en tête : me poser. Dormir. Un peu. Prendre mon train.
6h30. Arrivée gare de Lyon. Visualisation de la salle d’attente. Je pousse la porte. Puanteur. La Madeleine de Proust me ramène au centre d’accueil de jour pour SDF dans lequel j’avais travaillé.
Je lève les yeux. Croisement furtif avec le regard ahuri d’une femme. Je m’assois. Un silence dérangé par des ronflements. Des personnes seules, endormies, séparées par 4 ou 5 sièges, avec près d’elles, pour bagages, des sacs plastiques troués. Elles attendent aussi. Pas leur train. Attendent je ne sais quoi. Un nouveau jour, une nouvelle vie, un miracle, plus rien ? Même quand elles dorment, elles paraissent fatiguées. Hommes ou femmes. 15, 30, 60 ans.
De temps en temps, des gens poussent la porte d’entrée. A chaque fois c’est la même expression : une grimace, ça pue. Ils rebroussent chemin. Vaut mieux se les peler sur le quai plutôt que de passer une minute dans cet endroit. L’odeur qui fait barrage entre individus de la rue et individus qui se ruent dans les wagons.
Vers 8, je me rends compte qu’à l’extérieur de la salle, il fait jour. Que ça grouille de gens. Ici, le jour brille à la couleur des néons. Le temps n’affiche pas d’heure.
Qu’est-ce que je fous là, d’ailleurs ? Il fait chaud, trop chaud. Un moustique me pique la main. C’est con, mais l’idée de me dire qu’avant, il a sucé le sang de toutes les personnes dormant à mes côtés, me donne une bouffée d’angoisse. J’ai l’impression que mon corps transpire déjà l’Odeur du lieu. Panique. Je sors. L’air frais, le bruit, les cris, les gens, me claquent la figure.
Le dictionnaire Le Petit Robert défini le voyage par « le déplacement d’une personne qui se rend en un lieu assez éloigné. » Pour sûr, franchir la porte de cette salle d’attente, c’est voyager en un seul pas, dans un univers bien lointain, trop souvent invisible, proche de celui qui vit sous les portes cochères ou sur les trottoirs ; dont on détourne le regard de la main tendue…
Elsa Knights