Drame de la misère humaine
Tapi dans le bois, le voici dans la nuit comme une bête traquée. au moindre bruit, son
coeur bondissait. Ses compagnons se sont tous envolés comme moineaux affolés.
Comme un damné il errait sur cette terre inconnue, où tout lui était hostile.
Brisé par la fatigue et la peur, il tremblait de froid et de faim. Ses muscles étaient crispés et un poignard était enfoncé dans son coeur.... Ses pieds le brûlaient....
Un cri de terreur silencieux emplissait l'ombre amère.
Il voulait devenir un homme, selon la tradition de son pays, et il se retrouvait plus bas qu'un enfant, dépourvu de tout. Il ne rêvait que partir, comme ses frères, comme ses amis.... Chaque année, les jeunes de son village se jetaient dans le voyage comme des papillons affolés par la lumière d'une lampe, affrontant tous les dangers où leur vie se brisait souvent...
On lui avait menti....on l'avait trompé....
Il l'avait pourtant payé cher, ce voyage en enfer !
C'était la 1ère fois qu'il quittait sa famille.
Ses yeux se levaient sur les sentiers de sa jeunesse. Le vent giflait son visage que sa mère baisait encore presque hier...il y a si longtemps déjà.....
Il s'était dépris de son pays. Comme un aveugle, il avait obéi aux siens, aux amis...
Et maintenant, il était comme une pierre sur le chemin, comme une larve d'homme rampant à l'orée d'un bois....
Les profondes blessures de son âme ruisselaient en grimaces de folies, la poitrine serrée par un étau livide...
Son regard se ferma sur les morts en lui, engloutis par la mer meurtrière...
"Mes frères, où êtes-vous ?"
Il avait embarqué avec des amis dans une embarcation qui devait traverser la Méditerranée pour un rivage français. Le bâteau croûlait sous la chair humaine et se traînait sur les eaux surchauffées.
Les hommes entassés les uns contre les autres, exténués, la faim au ventre, cherchaient une brise légère....
La touffeur annonçait la tempête. De gigantesques nuages assombrirent peu à peu le ciel plombé, et filèrent à une vitesse folle.... La barque progressait péniblement dans la tempête qui se levait.
Les flots se déchaînèrent...
L'épouvante vint s'asseoir parmi eux, un fracas s'éleva de leur gorge serrée par la peur.
Les vagues se dressèrent en muraille infranchissable. De gros paquets de vagues submergèrent le bâteau, balayant les corps et projetant les plus faibles à la mer.
Les autres se cramponnèrent à tout ce qu'ils pouvaient, pataugeant dans l'eau glacée.
L'embarcation allégée plongeait dans les creux et remontait, hissée par la vague...
Il manquait à chaque instant de lâcher prise. En une nuit, il avait perdu tous ses êtres chers. Pour lui, les étoiles s'étaient éteintes !
Son coeur saigna longuement. Il remâchait les ténèbres et souffrait comme un damné....
Puis les hurlements assourdissants se calmèrent peu à peu. La mer agitée continua cependant de secouer les rescapés agglutinés, blottis les uns contre les autres, trempés jusqu'aux os .
Soudain, ils reprirent espoir : une ligne sombre se dessinait dans le lointain !
Il n'eurent pas le temps de rêver que, déjà, les passeurs armés braquaient sur eux leurs fusils, les enjoignant à sauter dans les flots gris et tumulteux : ils avaient peurs des garde-côtes....
Avec la crosse de leurs armes, ils frappaient les récalcitrants. des hurlements de douleur remplissaient l'air.
Il nageait avec l'énergie du désespoir. Bientôt, il sentit sous ses pieds une glu collante. La plage était jonchée de détritus et d'oiseaux morts. Une forêt proche les attendait !
Les visages ravagés par la fièvre, le froid, la douleur et la faim, les hommes épuisés s'éparpillèrent dans les bois.
Il était ENFIN libre. Il le croyait !
Sa voix s'est éteinte depuis !
Les rescapés, morts de froid, de crainte et de lassitude, sont allés de maison en maison pour quémander un peu de pain.
Mais le plus souvent, on les a renvoyés, repoussés..... beaucoup furent emmenés par la police....
Il se retrouva à bout de forces, seul, dans des lendemains sans avenir, à 4 pattes sur cette terre étangère, bête et créature à l'agonie. Il vivait de rapines brèves, affolé.
Tous ses matins étaient flétris. Ses journées en marches stériles, les yeux fouillant la plaine indécise pour y trouver la vie, comme un chien errant....
On l'avait dépossédé du bonheur !
Ni ses tourments, ni ses pleurs, ni sa faim, ni sa soif ne leur arrachaient un cri, une larme....On le regardait d'un oeil tene, l'âme endormie ! La fièvre le brûlait, il sombra dans la rancoeur, ses cris se brisaient dans la nuit....
"Nantis aveugles, levez vos visages sur l'homme qui pleure.
Ne semez pas la haine !
Soit, ces hommes puent la misère humaine :
Faites refleurir leurs entrailles,
Offrez leur un rayon de soleil !
Votre coeur restera-t-il glacé, sourdes vos oreilles et fermés vos yeux ?"
Lassitude des jours qui meurent - jours blafards, jours d'ennuis où se perdent les rêves passés.
Son coeur à lui bat à grands coups d'angoisse et de peur, pauvre hère à qui l'on a menti.
Son rêve a teint ses jours en rouge sang, nu en face d'un destin tourné vers une ancre invisible...
Sa voix éteinte méditait sur la mort....
Et pourtant son coeur frémissait d'amour et de printemps !
Claudie