Moitié loup, moitié coccinelle
Moitié loup, moitié coccinelle…
Par Louise Gaggini
Depuis quelques semaines à l’étranger, dans un monde pourtant dit de lumière, j’ai découvert un monde exactement semblable au nôtre : moitié loup, moitié coccinelle.
Les albatros, des milliers sur l'île aux oiseaux, y mangent des fleurs d'arbres dont l'île est constituée. Hélas, ils s'engluent les pattes à la colle qu'elles secrètent et dans les mouvements qu'ils font pour s'en débarrasser, gênés par leurs grandes ailes, ils tombent des rochers dans la mer où les requins attendent.
Récemment un touriste qui filmait dans des eaux peu profondes, à hauteur de cuisses, est mort sous le dard d'une petite raie apeurée. Une sorte de lance pointue que les raies ont sur l'arrière, qui pénètre les corps et ne peut se retirer sauf en laissant les côtés du fer de lance qui s'effrite et se disperse de la même façon que certaines bombes explosives que les hommes ont su concevoir
La petite raie a sauté hors de l'eau et est retombée sur la poitrine de l'homme, lui plantant son dard en plein coeur, ou presque.
Un autre touriste qui filmait lui aussi s'est approché de deux énormes tortues. Le mâle qui fécondait une femelle s'est détaché d'elle et a lancé sa patte sur l'homme qui peu à l'aise dans l'eau, a basculé sans pouvoir se défaire des griffes qui entraient dans sa chair. Le mâle tortue est alors monté sur l'homme et en le recouvrant de tout son corps l'a enfoncé dans l'eau jusqu'à ce qu'il meure.
Sur une autre île, un bâtiment bien entretenu en souvenir des lépreux qui vivaient là, il n'y a pas si longtemps. « Des lépreux enterrés vivant lorsque les plaies devenaient trop importantes » m'a raconté le skipper du bateau avant d'enchaîner sur l'histoire de son grand-oncle qui fut empoisonné parce que sa différence physique, 2m10, le rendait « diabolique » pour les gens du village.
Mais, j'ai aussi nagé dans des eaux bleues avec des centaines de poissons de toutes les couleurs qui flânaient autour de moi, sans peur, harmonieux et tranquilles, certains de leur beauté. De cette beauté colorée que nous dessinent si joliment les petits-enfants qui portent encore en eux la trace de ce qui fut et qui nous l'offre sur des feuilles de papier que nous gardons dans des tiroirs avec l'idée de leur redonner un jour, quand ils auront oublié, et dont nous n’aurons retenu nous, que l'aptitude au dessin, l'imagination, un signe d'intelligence précoce...
Et puis surtout, j'ai caressé la tête et le cou fripé jusque sous la coque préhistorique, de tortues qui ont tendu vers moi leurs yeux sans doute aveugles, penchant le cou pour le contact et un lien que je n'imaginais pas possible. Des tortues qui ronronnaient comme des chats, d'un son assourdi et régulier sous ma main, et qui alors que je m’éloignais, m'ont suivie, lourdes et maladroites sur leurs pattes parcheminées.
Comment dire sans le réduire ce fil tendu entre ces choses énormes venues d'un autre temps, ces indéfinies mutantes, et moi dans aujourd'hui ?
C'est comme si j'avais rencontré mon arrière, arrière, arrière-grand-mère dans un monde cruel où la sauvagerie tient lieu de survie et de pérennité.
Un monde toujours un peu dans la dévoration, exactement semblable au nôtre, qui porte en lui le pire, mais le meilleur aussi, avec ce que nous deviendrons lorsque plus sages et plus sereins sur une terre dont l'économie aura su répartir également les richesses et les biens, la nourriture et l'eau, quand sans plus de nécessité d'avoir à survivre et sûrs de notre devenir, nous saurons enfin, seulement vivre...
L.G.