aujourd'hui, maman n'est pas morte
Maman n'est pas morte, alors aujourd'hui, je me refais un moral. J'ai des soucis sur ce plan. Ses douleurs au bras, à l'épaule, à la jambe… Mais non, Maman n'est pas morte. Pourtant, 87 balais, ça vous fait une femme. Femme? Elle a surtout beaucoup couru derrière son époux, diplomate, fonctionnaire international, bannière ONUsienne et AFP brandie, comme l'eût fait Achille sur le champ de bataille.
Mais pas morte. Je sais que je vivrai bientôt, comme beaucoup, sans protection vis à vis du Méchant indicible. Sans film protecteur entre lui et moi. Non pas que l'indicible me gêne.
Non, non, il est là. Je crois l'avoir apprivoisé. Mais me tiendrais je tranquille quand il aboiera ? Je l’ai croisé ces jours. Il n’est pas si terrible que ça. Mais une maman ou un papa, ça met de la distance. Une bonne distance comme l'on dit. L'indicible areprésentable, nous encourage à mettre entre lui et soi un ambassadeur, un traducteur qui nous dise, comme Goethe : "Warte nur, balde ruhest du auch", "Patiente, toi aussi bientôt tu te reposeras".
Mais Maman a de plus en plus de mal à faire l'ambassadrice. La traduction n'a jamais été son fort. Les propos deviennent confus, abscons, et je fais : "Mais non, mais non, ça va aller !" Malgré leur platitude, ces mots prennent en transparence des sens alambiqués, privés de sens en fait, mais bourgeonnants. Le chemin s'avère plus tortueux que construit, par commodité, pour accompagner Maman à la Terra indiciblia.
Maman n'est pas morte. Est il bon de se préparer? Est il mal de ne pas...? Quand, il y a peu, je la vis en contrebas, péniblement descendre les marches de l'escalier, le visage, la peau et les os fatigués d'attendre son époux, mon père, qui ne reviendrait plus, je la trouvai très vieille. Morte en fait ; en sursis mais morte. Le chien dans la cuisine a aboyé.
J'ai voulu monter sur la terrasse. Parler aux étoiles. La nuit était fraîche mais agréable. J'avais besoin de parler aux étoiles. Pour cela, il me fallut trouver les clefs de la terrasse. Elles ont l'art et la manière de se mal nicher, les clefs. Parfois dans un panier, parfois à la cave, parfois dans des espaces noirs où seuls les doigts noueux trouvent l’interstice. Je les ai trouvées! Un peu poussiéreuses car on les utilise si peu.
Je suis monté sur la terrasse et j'ai passé un moment à parler aux étoiles. Avares de paroles, elles m'écoutent et ne répondent jamais! Je parle. Elles se nourrissent de mes mots. Qu’elles sont avides!
Je suis redescendu, absolument seul. Arrivé en bas, le chien n'a pas aboyé en m’entendant. J'ai perdu les clefs d'accès à la terrasse. Je ne pourrai plus parler de Maman aux étoiles.