Hollande: La normale attitude au prisme de Freud et de Foucault
On lit ces temps-ci dans les revues de presse une suspecte inflation sémantique du terme « normal ». Florilège qui n’a rien d’exhaustif : «Un président normal» dans une situation anormale », « La visite d’un président normal en province », «La santé normale pour un président normal», « Les limites prévisibles de la normale attitude », « Hollande continue à construire son image de président normal». Le Canard Enchaîné en rajoute même une couche en titrant sur «Une passation pas très normale » en insinuant que le courrier adressé à l’Elysée entre le 6 (2e des élections présidentielles) et le 15 mai (passation de pouvoir) au président normal aurait été passé à la broyeuse par le président « bling bling », a-normal et mauvais perdant. Ce qui expliquerait en partie pourquoi cette passation de pouvoir entre Sarkozy et Hollande ait été anormalement froide et guindée.
Ah … normal ! Vous avez dit normal? La normalité semble devenue la norme officielle lors de ces dernières élections à tel point que c’est une préoccupation partagée par beaucoup d’internautes souligne Marlène Duretz (Le Monde, C’est tout Net), après avoir constaté de visu que la requête «président normal» enregistre sur Google Actu plus de dix mille occurrences.
Le philosophe des sciences et docteur en médecine Georges Canguilhem (1904-1995) n’en reviendrait sans doute pas, lui qui avait soutenu en 1943 à la faculté de Strasbourg sa thèse de médecine intitulée «Essai sur quelques problèmes à propos du normal et du pathologique». Il y distinguait notamment le concept d’ « anomal » qui s’écarte de la norme, du type habituel et le concept d’ « anormal » qui dépend d’une valeur (appréciation/dépréciation). Notre philosophe médecin y démontrait que la vie est caractérisée par le singulier, c’est à dire l’irrégularité et l’écart et qu’on ne peut considérer d’un point de vue absolu et en général la normalité du vivant (je ne dis pas la normalité du président dans une fonction par définition hors norme !). Il précisait : « Sans les concepts de normal et de pathologique, les jugements du médecin sont incompréhensibles ». Il y soutenait que la santé n’est pas la normalité, qu’il est normal que quelqu’un ait au moins une maladie dans sa vie et que le pathologique, ce n’est pas l’a-normal mais l’autrement normé. Le vital, c’est au fond ce qui est capable d’une pathologie.
« L’homme n’est vraiment sain que lorsqu’il est capable de plusieurs normes, lorsqu’il est plus que normal (…) Sans intention de plaisanterie, la santé c’est le luxe de pouvoir tomber malade et de s’en relever (…) Le succès économique des assurances sur la vie repose au fond sur le fait que la santé est biologiquement assurance dans la vie, habituellement en deçà de ses possibilités, mais éventuellement supérieure à ses capacités «normales» (G. Canguilhem «La Connaissance de la vie», Vrin, 2e éd. 1971, p. 167).
Le philosophe médecin notait au passage l’ambiguïté et la confusion du terme «normal» qui joue alternativement sur au moins deux significations 1/ statistique, moyenne 2/ idéal ou forme parfaite. A la différence du Président François Hollande qui ne remet jamais en cause sa définition de la normalité comme si c’était une plate évidence admise par tous, la démarche de Canguilhem consistait dans sa célèbre thèse à mettre en question le normal lui même et partant le différent tout en laissant la question ouverte. A savoir : l’anomalie est-elle de la même veine que l’anormalité ? Le normal peut-il devenir pathologique?
Vaste programme de réflexion qui reste à défricher en pratiquant le « journalisme philosophique » que nous cultivons normalement dans la lignée de Foucault. Alors qu’on comprend mieux a posteriori pourquoi François Hollande s’est accroché jusqu’au bout de sa campagne présidentielle et même au delà, à son slogan de président normal ». Car ce qui lui arrive, écrit Françoise Fressoz dans Le Monde (19 juin 2012) est tout simplement anormal. L’Elysée, Matignon, le Sénat, la quasi-totalité des régions, une grande partie des départements et maintenant la majorité absolue à l’Assemblée nationale : le président de la République et le parti dont il est issu ont tous les pouvoirs si on excepte la capacité de modifier la Constitution puisque la majorité des trois cinquième requise dans les deux Assemblées réunies n’a pas été atteinte. Mais pour le reste, quelle puissance aux mains d’un seul homme et d’un seul parti ! Du jamais vu sous la Ve République même lors de la puissante vague rose de 1981. Et notre consoeur de conclure : François Hollande a impérativement besoin de la durée pour réussir. C’est pourquoi il surjoue le «président normal».
CD