«L’homme est un loup pour l’homme»
Par Christian Duteil
Cette célèbre formule du philosophe politique Thomas Hobbes (1588-1679) est passée aujourd’hui dans le langage commun sous forme de dicton populaire. Elle ressurgit curieusement ces jours-ci, ici et là, chez les politiques, les médias et au café du commerce, sous la métaphore éculée et animalière du « loup solitaire ». Un raccourci imagé et facile pour qualifier la dérive radicale d’un gamin des cités et l’itinéraire d’un djihadiste, Mohamed Merah, 23 ans, devenu l’ennemi public numéro un après avoir froidement assassiné sept personnes, dont trois jeunes enfants, à Toulouse et à Montauban. Une manière bestiale et lapidaire de résumer, d’écrire et de réécrire l’actualité sanglante de ce début de printemps qui frappe de stupeur la « doxa », ou l’opinion publique là où ça fait mal (assassinat d’enfants). Mais c’est aussi pour le philosophe le « stade du chameau », porteur d’idoles et de préjugés, dont parle Nietzsche dans les Prologues à « Ainsi Parlait Zarathoustra ».
Jugez plutôt ! Mohammed Merah, un « loup solitaire » peu mature, au chômage, un sadique/salaud qui capable de passer des heures devant des vidéos de décapitation et même de contraindre un jeune voisin à les regarder avec lui. Un « loup solitaire » aux cent visages qui n’aime pas seulement les armes à feu et les petits larcins car ce passionné de mécanique qui n’a pas le permis de conduite adore aussi les belles bagnoles aux moteurs trafiqués, les rodéos sauvages, les Lacoste et les montres de notre société de consommation. Comme Janus, le garçon aux yeux rieurs et au large sourire dont on trouve les photos de « bogoss » du quartier sur Izards-31skyrock.com, le blog de la radio préférée des cités, sait se montrer menaçant, asocial et impitoyable quand il pète les plombs. « On va t’crever, j’ai envie de te fracasser », hurlait-il à l’éducateur de la ville de Toulouse.
Donc un « loup solitaire » et tueur à répétition que le pauvre portrait robot des témoins de ses crimes décrit à tort comme un individu « trapu » portant « une cicatrice ou un tatouage sous la joue gauche » (sic), au « regard froid qu’on n’oublie pas » (resic).
Bref, les clichés et les présupposés ont la vie dure en cette fin mars alors qu’on pleure et enterre les morts de sa folie meurtrière et de sa dérive radicale qui l’ont coupées définitivement de l’humanité et de l’existence. « Humain, trop humain ».
La métaphore du « loup solitaire », comme l’indique l’origine du mot « métaphora » en grec, est littéralement une manière post-moderne de parler à côté. Dans ce contexte nihiliste et traumatisant de l’actualité brûlante, on oublie que le loup, solitaire ou en horde, tue avant tout pour vivre et se nourrir.
Pas pour mourir les armes à la main, d’une balle en pleine tête, à 23 ans.