Les oiseaux ne chantent pas
Gil Jouanard
Se proposant d’expliquer « pourquoi les oiseaux chantent », le naturaliste et ornithologue Delamain, authentique poète des sciences d’observation, s’employa à démontrer que la « gent ailée », ainsi qu’on la nomme conventionnellement, ne chantait pas, au sens strict du verbe « chanter », mais produisait des sons inarticulés, occasionnellement harmonieux à nos oreilles et évocateurs d’agréables situations pour notre imagination analogique.
Bien. Nous le savons par conséquent : les oiseaux ne chantent pas à proprement parler ; ils émettent des signaux sonores, marqueurs instinctifs, clairement significatifs pour ceux de leur espèce, et totalement dénués d’intentions esthétiques ou de portée sentimentale. Ils ne font rien d’autre que proclamer d’objectifs constats : faim, danger, accouplement (sans surcharge affective ; par pulsion reproductrice), bon soleil, graines à profusion, ainsi de suite…
Et cela se manifeste par des sonorités qui, pour les nostalgiques de la nature que nous sommes depuis notre désertion de notre milieu d’origine pour la fausse sécurité des villes, résonnent de subtiles, perverses et excitantes connotations. Le bruit que font les oiseaux chante en nous, comme y chantent aussi la cascade, le torrent, la pluie, le vent, le sifflet des trains au profond de la nuit.
Car en fait c’est nous seuls, Homo ergaster et sapiens qui chantons, nous seuls qui, par pulsion raisonnée ou du moins consciente, organisons les sons produits par nos cordes vocales avec pour projet d’en tirer un son harmonieux susceptible de nous émouvoir et de nous plaire, mais aussi de nous transplanter dans une autre dimension de nous-mêmes, dans cet espace vacant où les contraintes et les privations s’édulcorent.
Si nul oiseau n’a jamais eu conscience ni désir de chanter, il n’en va pas de même de nous-mêmes, sauriens amphibies réduits au statut de mammifères cloués au sol, de surcroît lestés en permanence de sentiments et de cette psychologie encombrante.
En fait, si je pense car je suis, je chante pour le manifester, peut-être même pour m’en convaincre moi-même. Mais aussi pour tenter de me réinsérer, comme en jouant, dans la grande voix du chant universel.