De la soit disant « démocratisation des mœurs »
De la soit disant « démocratisation des mœurs »
Par Gil Jouanard
Si l'on excepte cette frange de la population, constituée de personnages (et non de « personnalités » comme elles voudraient être, et finissent par penser qu'elles sont, reconnues), qui fait des pieds et des mains pour venir émarger à la catégorie dérisoire des « people », ainsi que celle, plus étroite mais plus solidement émergente des milliardaires d'affaires ou de naissance, l'on peut constater avec une relative satisfaction que l'immense majorité des gens, dans un pays comme la France (mais également comme la quasi intégralité des citoyens de l'un des quinze « vrais » membres de l'Union Européenne, ce qui exclut les lumpen citoyens passés récemment du régime totalitaire péri-soviétique à des mœurs, réflexes et comportements proches de celles de la maffia ou de celle du « t'as pas cent balles ? »), se côtoient incidemment mais aussi tout naturellement dans les restaurants.
Ce côtoiement a pour effet de faire apparaître par décantation un fonds culturel commun, où viennent se mixer strates d'enseignement traditionnel (en voie de disparition sous la poussée du rap, du tag et de la « télé réalité ») et zestes de pseudo modernité, faite de mots de complexion anglo-pidgin et de réflexes d'origine médiatico-versatiles.
Ainsi, entre l'intérimaire, bachelier plus quatre (mais plus ignorant qu'un titulaire du BEPC d'autrefois) et grouillot dans une morne entreprise ou stagiaire dans une boiteuse institution, et le pur génie ou l'érudit vertigineux, la distance s'est réduite au niveau de leurs apparences respectives. Tous ces gens-là s'habillent de la même façon et usent d'un langage commun, constitué de phrases toutes faites et de slogans up to date.
Je parle ici, bien sûr, de la population parisienne et de celle des grandes villes de la véritable Europe faite da se (et non issue de troubles tribulations et d'ambiguïtés inextricables).
Si bien que nos braves gens en sont venus à se ressembler comme deux gouttes d'eau. A ceci près que, chacun rentré chez soi, les uns se retrouvent dans une chambre de bonne, les autres au deuxième ou au troisième étage avec ascenseur d'un immeuble autrefois dit bourgeois, à présent plutôt dit bourgeois.
Eût-on pu imaginer, voici encore cinquante ans, tel saute-ruisseau voisiner avec tel chercheur du CNRS ou tel cadre supérieur du secteur tertiaire dans tel restau proposant des menus à quinze euros (et les faisant, tout compris, finalement payer vingt-trois ou trente-deux) ?
On désigne ce curieux phénomène sous la spécieuse et un peu rigolote appellation de « démocratisation des mœurs et des usages sociaux ».
Vous riez ? Vous n'êtes qu'un mauvais esprit.
Gil Gouanard