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Listen to your heart


Eh oui, la guerre sévit, les colères grondent et les «raisins de la colère» murissent vitesse grand V, mais dans le monde émergent des libertés nouvelles et j’ai envie de vous dire que la beauté et la tendresse toujours peuvent nous bercer, avec la force et la joie, regardez cette vidéo et laissez-vous porter par la douceur d’un monde originel, le nôtre que nous prenons si peu le temps d’aimer…


 

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ecole chair

sens-interdit ecole chair


L'érotisme dans un journal sérieux ?

Certainement, car la sexualité fait autant tourner le monde que l'économie.

Nouvelles, grands classiques de la littérature, mais aussi reportages et web-expos, vous êtes sur le seuil de notre rubrique lubrique.

ecoledelachair-15-01

Tu me voulais tienne, je me suis voulue soumise

Par Marie Panon

Cliquez, judicieusement...

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30 December 2015 par Christian Duteil
2015-12-30-17-06-11

 

La Meilleure Pub au monde


Regardez, c'est génial

carte2France

Diabète Mag N°17

Le N°17, Vient de paraître
Chez votre Marchand de Journaux

Codif : L13013

cover-superreduite

Prévenir, Comprendre, et Mieux vivre avec le Diabète

 

Au sommaire vous trouverez :

- Diabète : la fin d’un mythe

- Cholestérol - Diabète et les margarines

- Le Chrome limite de stockage des sucres

- Les complications du Diabète

- seul face à un infarctus

– comprendre l’anévrisme

- l’utilisation de la «metformine»

- Le matériel de sport au domicile

- Desserts allégés

- Gros dossier: Mincir de plaisir, des menus type.

- Quiches light – sauces allégées – saveurs de la mer 

- le lait végétal – les confipotes à faire

Nutrition :

-       le foie, source de fer – tout sur la moutarde

-       Fruits et légumes d’automne

-       Les vertus des baies de Goji

Un N° 17, Complet, pour une vie pleine de bonnes résolutions.

DIABETE MAGAZINE , chez votre marchand de journaux.

Inclus: Le Diabétique Gourmand, des recettes goûteuses et light.

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Jamais deux sans toi

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« Je sais que ce que je dis est  signe une fois pour toutes d’un anéantissement une fois pour toutes. Je me retrouverai jamais, dans mon ressassement même, que l’ultime reflet d’une parole absente à l’écriture... » (Georges Perec)

 

1

Vendredi noir

Donc, c’est fini, bien que je sache fort bien qu’on ne renonce à rien... Surtout, lorsque ce rien a été mon tout ! Charlotte a tiré sa révérence et a quitté la scène, sans espoir d’un ultime rappel : sans bruit, sans éclat, comme elle avait vécu, un vendredi noir 27 octobre 2000, à 8h30. C’était hier, elle avait glissé de l’autre côté, ou plutôt on l’y avait aidée : son corps s’empoisonnait de manière irréversible, son état empirait et le diagnostic devenait plus que pessimiste, désespéré. Ses reins ne fonctionnaient plus et la machine était usée… Trop usée pour espérer un miracle. Pour la première fois, maman nous lâchait la main et ne prendrait plus de bains de pied au singulierElle me quittait en mourant et en réfléchissant bien, je l’avais déjà quittée en naissant. Mais combien d’entre nous rompent vraiment le cordon ombilical ? Et pourtant, la vie n’occupe pas nécessairement la place du mort...

Il me semble presque indécent de parler en ce jour là , et pourtant je le fais sans me faire prier alors que je suis resté muet à la disparition d’amis pourtant très chers. Il faut aujourd’hui répondre même quand on n’en a pas le coeur, quand on ne trouve pas les mots devant le silence absolu où cependant nous restons tournés vers Charlotte. Il faut parler, et même en rendre compte, afin de combattre toutes les forces qui travaillent à effacer ou recouvrir non seulement les noms sur les tombes, mais aussi l’apostrophe du deuil... Le mutisme, en rêve, c’est la mort ou plutôt le mort qui ne répond plus...

La vie, c’est  une longue cohorte de jours qui s’enchaînent comme des phrases interminables mais pas aussi admirables que celles d’un Proust à « La Recherche du Temps perdu ». Nous marchons à travers nous-mêmes, rencontrant des sceptres, des vivants, des passants, des géants, des nains, des amis, des ennemis, des indifférents et surtout et d’abord nous-mêmes… Le danger en ce jour des morts reste bien sûr le trop plein d’émotions, de nostalgie et de souvenirs. Restons donc dans la retenue comme dans un rôle au cinéma ou au théâtre, sans en faire des tonnes, ou peut-être en imaginant ce que nos enfants feront plus tard devant notre propre dépouille, lors du dernier jour avant le jugement dernier, comme le prédisait Charlotte. Certains jouent ce jour là un personnage avec des comportements et des mots qu’ils n’ont pas choisi, car c’est presque plus facile que d’être soi-même ; alors que la plupart d’entre nous choisissent le parti de se taire ou/et de laisser parler celui qui a été et qui n’est plus à grand renfort de tirades et d’oraisons dignes de Bossuet connues pour ses vertus dormitives... Double injonction contradictoire et sans merci qui m’incite à parler cette fois ci : comment laisser Charlotte seule mais sans l’abandonner ? Et sans distiller « du chagrin dominé par la syntaxe » et à « l’épreuve de la réalité » ?

La vie ressemble, certes, à une longue suite de rencontres et de ruptures, et au bout du compte, de deuils dont il ne faut pas faire un drame, bien que ces ultimes retrouvailles avec la mère gisante ne me disaient rien qui vaille... J’essaie de me persuader que nous sommes toujours en deuil d’autrui, surtout avec les êtres qui nous sont chers, qu’il faut donc raison garder et ne pas croire à chaque fois à la fin du monde…. Ou du moins de notre monde… Certes, le rapport à la mère, qu’on soit fille ou garçon, n’est jamais simple : s’il s’agissait seulement de rompre le cordon ombilical....comme les animaux. Quand arrive le jour de l’enterrement d’une mère par définition unique et irremplaçable, on ne tourne pas seulement une page d’enfance et une tranche de vie mais on retrouve aussi un souvenir, un passé, un clair-obscur qu’on a vécu, contourné, ou enseveli. Mais jamais tout à fait gommé et qui peut surgir à tout instant. Cela nous ramène non seulement à des plaisirs oubliés mais aussi parfois à des douleurs intimes, à des refoulements secrets, parce que vivre c’est, qu’on le veuille ou non, souffrir et faire souffrir…et pas seulement aimer et être aimé.

La vie se feuillette comme un livre avec des images plus ou moins belles : on doit tourner les pages une à une et ne garder que quelques images en souvenir… Au fond,  notre enfance surgit du passé qui a toujours un avenir resurgissant au présent en ce  jour d’automne consacré aux morts. Mais aujourd’hui n’est pas le tout dernier moment mais déjà le crépuscule… Je veux tenir le pari de cerner les minutes de ma propre décomposition/recomposition et celle en partie de notre fratrie, depuis l’ultime reconnaissance du corps de la mère à la chambre funèbre jusqu’à l’enterrement. Sans rien omettre, même le plus saugrenu et intime gardant à l’esprit que la vie n’a jamais été une bonne tragédie, mais toujours une mauvaise comédie... avec quelques bons moments de franches rigolades et de séances de déconnades tout de même.

Je rumine en moi comme pour m’en convaincre  la posture fort stoïcienne et esthétisante du sociologue Jean Baudrillard : « Mourir n’est rien, il faut savoir disparaître. Mourir relève du hasard biologique, et ce n’est pas une affaire. Disparaître relève d’une plus haute nécessité. » On a, certes, les réminiscences qu’on mérite et on se raccroche à tout ce qui traîne dans la tête dans ces moments de tempête affective. La mort est parfois un don que l’on fait à autrui lorsqu’on est devenu trop encombrant dans son existence, quand on est las d’être là et qu’on n’a plus envie de vivre… diminué et couché. Au nom de l’Autre aimé. Trop aimé ? Mal aimé ?

 

2

Une sacrée mère poule

Il pleut des cordes en ce jour maussade et nos cœurs pleurent comme au dehors …. Une manière radicale de laver et d’effacer les traces et les empreintes de la mère qui n’est plus, de brouiller les pistes comme la mer fait disparaître la nuit les pas de la veille dans le sable du rivage. Le cliché convenu ne tient pas compte de l’avis de tempête annoncé dans nos têtes orphelines en ce début maussade de novembre consacré aux défunts. Il apparaît comme une évidence dans les arbres tourmentés qui cernent le salon funéraire N°1 où Charlotte gît pétrifiée dans ses habits post mortem et comme trop grande dans son enveloppe de chêne clair… J’entends comme le bruit saccadé de sa canne qui nous avertissait lorsque nous étions mômes qu’elle s’invitait dans nos jeux ou qu’elle avait décidé de nous raconter uen histoire dont elle avait le secret.

« Je est un autre », écrivait Rimbaud. Mais quel autre ? J’attends en solitaire, concentré, calme et sans impatience, mon heure pour un dernier face à face avec celle qui m’a mis au monde. Je n’ai pas peur de constater - comme à l’époque où l’on tuait à l’arme blanche un ennemi -  la mort s’installer sur son visage déjà froid. Avec sa faux cannibale, je jure sur ma tête que je l’avais déjà aperçue rôder, lundi après midi 23 octobre, sur le lit d’hôpital où notre mère en sursis semblait en apnée avec la vie. Sa vie déjà bien entamée et qui, espiègle, jouait à cache-cache avec son existence de grabataire. Et pourtant, en entrant dans sa chambre d’hôpital, une heure après son acteur de frère Michel, je m’étais cramponné, comme un naufragé à sa bouée de sauvetage, à un vague espoir en la voyant engloutir, avec une rare avidité mais déjà à moitié inconsciente, le flanby, son dessert préféré, que lui donnait, comme à la becquée, ma sœur Marie Jo, parfaite dans son rôle de mère nourricière de la Mère qui l’avait allaitée... Sein contre sein.

Même à bout de souffle et à la fin de son voyage terrestre, Charlotte conservait sa légendaire gourmandise, seul lien, avec la perfusion, qui la raccrochait encore, plus ou moins, à la vie, sinon à nous qui rongions notre frein dans les couloirs de l’hôpital transformé à la veille de la Toussaint en mouroir. Déjà, toute gamine blondinette, elle trempait en cachette son doigt dans les ramequins de crème au chocolat encore chaud dans le bistrot restaurant banlieusard tenu par ses parents. A tel point que son père, dit « le grand Charles », était obligé certains jours de rayer du menu ce dessert chocolaté au grand émoi des clients qui pensaient qu’il se fichait d’eux et qu’il ne voulait pas en servir… Et chaque dimanche après-midi de notre jeunesse, nous n’échappions pas à la maison au rituel gourmet des cohortes des religieuses, des éclairs au chocolat, des mille-feuilles et autres polonaises commandés et raflés chez le pâtissier du coin. Plus tard, ayant appris à cuisiner, je lui confectionnais un cake aux noix qui correspondait à sa madeleine et éclairait sa vie de gourmande invétérée. Elle en raffolait et en réclamait toujours plus « Il faudra, Christian, que tu me donnes ta recette, ton secret de fabrication car ton cake n’a pas le même goût que les autres. »

Même à l’article de la mort, on ne change pas ses habitudes et on ne se refait pas… Comme on dit sans trop savoir pourquoi et en répétant des formules toutes faites pour combler un vide, une absence… de pensée originale et surtout pleine d’à propos.

Afin de combattre ma tristesse d’une nature crapuleusement sentimentale, j’avais compté beaucoup sur l’évocation des gribouillages de la vie, des événements familiaux enfouis dans le passé et des objets hérités, passeurs de mémoire. Histoire de combler le vide, de vivre au jour le jour et de faire diversion… Comme le piano encombrant et désaccordé qu’on garde pour la douceur des doigts qu’une mère mélomane y posait. Ou comme la veste élimée et désuète qu’on ne portera plus jamais mais qu’on répugne à jeter ou à donner aux pauvres parce que ses épaules tombantes raniment la carrure solide d’un grand-oncle disparu…

A l’image de presque toutes ses autres belles-filles qui craignaient et admiraient à la fois Charlotte auréolée par son long calvaire d’enterrée vivante, Françoise, « mon » petit bout de femme, est là sans être là. Elle se persuade sans doute : « Ciel, « ma » belle-mère qui est désormais au ciel » ! Elève ayant séduit en terminale son fils aîné, jeune prof de philo qui lui parlait sans doute trop en classe du désir comme « présence d’une absence » ou « absence d’une présence », Françoise avait intégré la tribu des « rapportés » avec la bénédiction de Charlotte qui aimait l’amour et ne crachait pas sur le sexe. Ne nous confiait-elle pas avenue Normandie Niemen qu’André et elle « s’entendaient bien au lit »...alors que son couple allait cahin cahan. Hélas, dans la vie, ce n’était pas la même musique harmonieuse et ondulatoire des corps... Tu l’as vite compris à tes dépens, toi Charlotte, à peine épousée, qu’un élève plus déluré que les autres avait osé t’apostropher d’un insolent : « Tiens, voilà la mère Duteil » lorsqu’il avait appris - par que ne sait quel commérage de village, que tu convolais... en joyeuses noces avec ton cher André. 

Il faut bien avouer, à la décharge de Charlotte, qu’elle n’avait guère été gâtée non plus par sa belle mère, la coquette Hélène, qui ne lui avait jamais pardonnée de lui « avoir pris » son André unique... et le lui avait fait payer au centuple... en la persécutant de ses remarques acerbes et en couvrant toutes les frasques extraconjugales de son fils chéri. Et puis Hélène désormais seule  - en deuil de son mari qui s’était suicidé au gaz - avait jeté son dévolu sur moi, l’aîné de la tribu qui arrosait sans vergogne de pisse le couloir de son appartement au Mans lorsqu’elle me prenait chez elle... Pour que j’échappe un temps à Charlotte, sa jeune rivale auprès de son fils et de son petit fils.   

Toujours compatissante, discrète et fidèle comme à son habitude mais si on y regarde de près, Françoise paraît exclue, ailleurs, à l’image de tous les « rapportés », de ce rite funéraire autour du corps déjà rigide et froid de la mère. On n’est pas ici des « sauvages  homo ludens » comme au Mexique où tout enterrement est un prétexte à fête, buverie et autre ripaille. Mais, tant qu’on ne savait pas l’heure de la fin de la représentation, à certains instants, on oubliait que nos jours étaient comptés et qu’on vivait en sursis bien qu’en symbose avec son clan familial.

Dans ces rencontres entre tous ces gens sans réelle affinité qui n’auraient jamais eu, sans ces mariages et sans ses enterrements, l’occasion de se côtoyer, on jauge toujours -en fieffés maquignons à qui on ne l’a fait pas- la famille de l’autre. Sans y prendre garde, Françoise m’avait sans doute aussi écarté, en juin 1994, de son cercle rapproché à Antrain, près de Fougères, lors de la disparition de son père André, 79 ans, rendu muet et rongé par un cancer de la gorge, celui du fumeur invétéré qu’il avait été… Avec pour seul commentaire de Charlotte, de quatre ans sa cadette , mais comptant déjà les morts et les jours du compte à rebours, implacable experte en matière de maux/mots : « Ah, le pauvre homme, comme il a dû souffrir ! ». A l’époque, Françoise m’avait reproché « mon indifférence » lors de son muet « travail » de deuil sans larmes, n’ayant pas saisi qu’on est toujours seul, bien qu’accompagné et entouré, dans ces moments là.

Charlotte m’avait confié de son vivant et à plusieurs reprises sa hantise et son fantasme obsessionnel d’être enterrée vivante et m’avait prié avec insistance de vérifier dans son cercueil qu’elle était bel et bien morte. En la pinçant bien fort et en vérifiant la raideur cadavérique de son enveloppe charnelle… Elle n’a pas tout à fait tort, Charlotte : on ne prend jamais assez de précautions dans ces voyages sans billet de retour. Dont on ne sait jamais vraiment la destination qui tient du fameux pari pascalien…

Ce qu’il y a de rassurant dans l’idée de disparaître, c’est de se dire qu’après la mort, ce sera comme avant la naissance : on ne pensera plus après avoir disparu comme on ne pensait pas avant notre venue au monde. Nous flirterons donc avec le néant, cet indéfini bien pratique qui, au fond, ne nous gênait pas lorsque nous n’avions conscience de rien. Seulement voilà : le rien s’est rebellé et a pris goût à la vie. La mort n’est pas un événement de la vie. On n’éprouve pas la mort. Celui-là vit éternellement qui vit dans le présent. Avec pour credo : la vie est une pute et il faut avoir les moyens de se l’offrir en sachant qu’une mère, même indigne, n’est jamais une salope mais toujours une sainte. Mais ce n’était qu’une de ces images éphémères qui traversent l’esprit dans les moments de passion intense, de plaisir aigu ou de désespoir profond, et qui, sans lien avec ce que l’on est en train de ressentir, vous passent derrière la tête et s’en vont comme elles sont venues, telle une envie pressante en pleine nuit…

 

On a toujours tort d’abréger une fête ou de remettre à plus tard une visite car demain où serons nous ?  On surprend de temps à autre des moments dans l’existence où, comme dans les braderies et les fins de marchés, on affiche : « Tout doit disparaître », même celle à qui on doit d’être au monde, donc tout. On brouille alors la piste de ses origines alors qu’on essuie en cachette quelques larmes furtives où l’on s’apitoie sur son sort, où l’on se raconte pour passer le chagrin. La mort dans l’âme, qu’on l’admette ou non, il faut mourir, et d’abord voir mourir cet autre, matrice essentielle qui a donné la vie : la mère. On voit à cet instant crucial le monde pour la première fois...  « chaque mort », note Jacques Derrida qui vient aujourd’hui de mourir et ne peut plus en parler sinon à travers ses écrits, il y a une fin du monde ». Ce qui prend fin, ce que Charlotte emporte avec elle en ce jour maudit d’automne, ce n’est pas seulement ceci ou cela, que nous aurions partagé à un moment ou à un autre, ici ou là, c’est le monde, une certaine origine du monde, la sienne sans doute mais celle aussi du monde dans lequel j’ai vécu, nous avons vécu, une histoire unique.

Longtemps, ma mère avait été là, campant sur son unique jambe et scandant le rythme de notre existence. Elle nous aimait avec une partialité scandaleuse et elle nous pardonnait, sans se lasser nos erreurs, nos fautes, nos lubies, nos folies. Il ne pouvait rien m’arriver puisqu’elle était là pour m’aimer. Elle était une star à sa manière, faite d’abnégation sans faille et d’indulgence coupable à notre égard. Comme répétait à qui voulait l’entendre Romain Kacew, vrai nom d’état civil de Romain Gary, alias Emile Ajar, « il  n’est jamais bon d’être tellement désiré, aimé, si jeune, si tôt ; ça vous donne de mauvaises habitudes. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver ». Avec l’amour maternel, la vie vous fait une promesse qu’elle ne tient jamais. On est ensuite obligé de manger froid jusqu’à la fin de ses jours… Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, il n’y a plus de puits, il n’y a que des mirages et des désillusions. Et on a froid.... et l’on n’a pas appris à se protéger et à se couvrir.

« Ta mère est une sacrée mère poule » avait diagnostiqué, d’un implacable et définitif résumé -comme dans les épitaphes qui figent à jamais les défunts, M. Godefroy, un professeur de collège,  « hussard noir » de la République, fort courroucé un matin d’école que Charlotte osât délivrer encore et  toujours un alibi en béton à mes frasques d’élève de tête de classe mais fantasque et imprévisible. Au fond, elle n’était guère préoccupée d’elle-même… A l’inverse de mon père, élève brillant et enfant unique, agrégé de lettres, entré en Résistance  pour fêter ses vingt ans sous la houlette d’un de ses profs de lycée. Elle avait pris l’habitude pour tenter de le garder de ne guère contrarier son poète de mari qui semblait tenir toujours salon littéraire et rayonnait de mille feux, entouré d’une cour... de jeunes femmes, de préférence.

Ne faisant guère de vagues mais sachant ce qu’elle voulait, Charlotte n’apparaissait jamais dans les rubriques de journaux people nourris de scandales qu’elle aimait pourtant feuilleter et dévorer jusqu’à la dernière ligne. Kantienne sans le savoir (« Tu dois, donc tu peux »), l’ex institutrice cloîtrée à la maison par son infirmité et ses six enfants en bas âge, cultivait une plante au parfum désuet comme la violette qu’elle préférait : le devoir. Elle l’accomplissait à ma place et faisait  -contre le monde et d’abord contre moi-même, un rempart de son corps. Fidèle à « France Dimanche » et à « Sans famille », elle n’avait sans doute pas lu le livre savant sur le don du sociologue Marcel Mauss. Pourtant, Charlotte échangeait comme une reine cloîtrée tout avec nous, et jusqu’à son désir d’éternité : elle accumulait les mérites et elle les reversait sur l’ensemble de sa progéniture et donc un peu sur moi, son « aîné des vivants », comme elle aimait répéter comme pour s’en convaincre.

« Tu vois, Christian, chaque âge de la vie à ses inconvénients et ses avantages : il faut savoir pleinement les goûter et en profiter… », glissait-t-elle à son fils philosophe insaisissable qui, au dernier moment, n’avait pas voulu être médecin comme elle le désirait et le poussait à le faire. Il était sans doute celui qui lui rappelait le plus André, le conjoint insouciant, éternel amoureux des mots, qui vivait sa vie « en mangeant la grenouille » et n’était pas toujours là, auprès d’elle, notamment dans la dernière ligne droite de sa vie. Et désormais, personne ne peut plus rien pour elle. Personne. Pas même moi. Je n’ai que le délire des souvenirs qui défilent en attendant le corps du délit à mettre en terre. Et je me prends à penser que si ma mère voulait si fort que je sois toubib, c’est qu’elle avait quelques compte à régler avec la médecine qui l’avait amputée d’une jambe après le bombardement par crainte de la gangrène... qui n’était pas là. Elle m’avait raconté, pas dupe : « A mon réveil, à l’hôpital, j’ai lu dans le regard des jeunes internes et du chirurgien qui m’avait opéré, qu’ils avaient fait une énorme bourde en voulant trop bien faire, par excès de précaution  et dans l’état de la médecine pendant la guerre. Et puis ton père et mon frère bien jeunes leur avaient fait confiance et les avaient laissés faire sans demander d’autres avis médicaux ».

3

Les objets chers ont-ils une âme ?  

Mais si l’idée de mourir n’est pas très drôle, celle de ne plus vivre est, à coup sûr, insupportable. Charlotte s’était donc accrochée à la vie comme un noyé en puissance à sa bouée dans l’océan... jusqu’à ce jour fatal de fin 2000 où elle avait lâché prise. Définitivement. Le présent, ce jour là, sans contours et sans promesses dans le mal comme dans le bien, ne laissait à juste titre augurer aucun éclat pour l’avenir. Dans le funérarium, une jeune femme avenante en blouse blanche n’en finit pas de régler le ballet noir des corbillards qui sonnent à l’interphone pour signaler qu’on presse le mouvement : les morts attendent ici le bon plaisir des vivants. Elle s’excuse du retard dû au mauvais temps et propose des cafés pour doper notre attente. Elle semble compatir à notre détresse criante et presque participer au deuil de Charlotte. Du moins, si on se fie aux apparences et qu’on cherche quelque réconfort ou/et un regard amical. Elle évite avec pudeur le chemin des vérités solennelles qui fleurissent autour des tables de bistrots et à la fin des banquets, quand c’est encore trop tôt pour chanter et déjà trop tard pour se retenir de dire des conneries…

Dans le « malheur de l’après-mère », la tribu dispersée – programmée et engendrée dans l’euphorie du baby boom de l’après guerre et le désir rauque d’une autre fille pour compenser celle ensevelie-  s’est vaille que vaille recomposée : les cinq frères - arrivés dans le désordre au gré des embouteillages engendrés par la tempête - entourent  Marie Jo, omniprésente, qui n’en finit plus d’apprivoiser le fantôme idéalisé de Marie-Françoise, la grande sœur morte quelques mois après sa naissance à Courbevoie dans le bombardement qui a décimé et bouleversé la tribu des « nombreux » désormais encore plus orphelins.

Une bonne moitié de ses petits enfants campent dans la salle d’attente au milieu des quatre belles-filles et de son gendre-bouc-émissaire, François. Ce dernier, rejeté par sa propre mère dépressive,  avait   « pris » à Charlotte son unique fille (vivante) et avait éclaté en sanglots en apprenant la nouvelle de la mort de sa belle-mère, sorte de seconde mère qui l’avait toujours à l’oeil et avec laquelle il avait cohabitait au Villaexpo, à Saint Michel sur Orge, lors les quinze premières années de sa vie de couple Dans un coin, plus à droite de l’antichambre de la chambre mortuaire, on se serre  aussi autour de ses vieux amis et complices sarthois, Simone et Georges. Plus loin, on remarque presque par hasard un couple inconnu de témoins de Jéhovah, quelque peu égaré et faisant désordre dans ce cercle des familles endeuillées où l’on se compte… mine de rien ! Avec application et sans floriture, comme lors d’un appel sonore aux élèves présents à l’école primaire de Mézières, dans la Sarthe, du temps heureux déjà lointain où nous étions tous là et insouciants chez les Cabaret, autour de la mère omniprésente et du père fantasque...

Ces deux étrangers ne compensent pas les deux  absents de marque qui ne campent pas dans la chambre funéraire de l’hôpital d’Arpagon et fuient ce dernier rituel qui a survécu au temps où l’on veillait nos morts. D’abord, André, père affectueux et mari volage, resté scotché dans son village retraite à Luçay-le-Mâle ( ça ne s’invente pas !), en plein pays berrichon, près des châteaux de la Loire qui éclairaient et jalonnaient la route de nos vacances à la mer. Avec pour tout commentaire au téléphone pour s’éviter ce dernier voyage: « Je n’y serai pas à ma place » ce qui signifiait au fond « ce n’est plus ma place ». Je ne sais plus et ça m’a plus guère d’importance. Ensuite, son  frère Michel, ancien comédien devenu directeur de théâtre et atteint d’un cancer de la langue, qui s’est épargné cette dernière vision macabre pour conserver une image bien vivante de sa grande soeur et pouvoir l’accompagner ensuite au cimetière de Saint Michel sur Orge. Sa dernière représentation avant que le rideau tombe sur l’aînée des Wandler.

Curieux ce besoin d’écrire et de parler sur les morts ! Les métaphores et les épitaphes fleurissent … comme au Père-Lachaise, fin octobre 1993 si ma mémoire est bonne, lors de l’enterrement de Montand ou /et de mon prof de philosophie « post moderne », Jean-François Lyotard, le 21 avril l998 en compagnie de  Lionel Jospin, de Sylviane, sa seconde femme philosophe, et de ses gorilles voyants à oreillettes. Où tous ses étudiants et ses collègues des universités de Vincennes-St Denis et de Stanford étaient obsédés par le mot énigmatique du penseur postmoderne lancé en 1990 comme un cocktail Molotov posthume au cimetière des Communards: « Il n’y aura pas de deuil !». Je les voyais filer, tous ces mots sybillins frappés en médaille - avec une espèce de jubilation honteuse, comme on lit en cachette un livre interdit…

C’est ainsi qu’un jour d’automne, par hasard, nous nous rappelons tant de visages, tant de choses de la vie, de notre enfance envolée, mais il n’y a plus personne – pas une mère attentive et aimante en tout cas - pour se souvenir de nous et nous dire que nous sommes encore vivants. Ce 2 novembre fatidique, Charlotte passe… et trépasse partant vers ce que Chateaubriand baptisait – à tort peut-être – « l’infidélité éternelle ».

Quand on enfile les chaussons des morts trop proches comme si l’on ressuscitait le rêve enfoui des catacombes, on entre dans leurs imaginaires et dans leurs folies. C’est étrange à quel point la vie peut ne pas tenir ses promesses et créer tellement de solitude autour d’une mère que j’aime comme un enfant, c’est-à-dire sans penser qu’elle puisse un jour disparaître sans crier préavis… Peut-être, qu’au bout du compte/conte, je ne suis guère doué pour le bonheur. Mais, mine de rien, je commençais à prendre conscience qu’on ne gagne pas contre un mort... Jamais.

Le deuil, les deuils sont d’autant plus douloureux que l’on imagine les autres heureux et que l’on se réfère trop souvent à une famille normale, c’est-à-dire dans la norme et sans problèmes.  Dans ces moments douloureux, voire pathologiques, on ne tient à rien, même pas à soi. Les métaphores endorment, certes, la douleur, calfeutrent l’émotion et favorisent « le travail de deuil » comme on dit si mal, à la frontière des mots et des choses, du dit et du non-dit. On parle beaucoup pour fuir le silence pesant de sa profonde détresse intérieure, comme si le silence pouvait tuer. On n’arrête pas de faire les questions et les réponses pour se calmer et vaincre l’insomnie des nuits trop blanches qui s’annoncent... bien longues.

Ce « jour des morts » - qui était devenu pour moi, par l’ironie du calendrier, celui de la Mort par excellence, je me suis senti abandonné, jeté en première ligne sous un déluge de feu, dépouillé d’un amour que je n’avais pas crié assez fort dans les jours de bonheur. J’ai beau tenté de me convaincre que la mort d’un proche demeure toujours un scandale, même lorsqu’elle fauche un être en fin de parcours, à 82 ans et des poussières. Mais, sous des dehors pudiques et volontiers réservé, je l’aimais bien, au bout du compte, ma vieille maman…  Je l’acceptais comme elle était, avec sa jambe en moins, sa manière de régenter son petit monde, de vous téléphoner à l’improviste, en plein boulot, les nouvelles et potins familiaux tout en vous distillant en prime son envie de vivre et de partager. « J’espère que je ne te dérange pas, j’ai envie de parler et de te donner des nouvelles de toute la famille ». Et on l’écoutait sans impatience raconter les mêmes histoires et distiller ses angoisses rauques qui peuplaient sa vie couchée tout en l’aidant à vivre et à profiter des différents âges de sa chienne de vie.

4

Faire semblant

La vie, c’est faire semblant de ne pas être mort et de pouvoir en parler une bonne fois. « Après tout, comme dit Francis Blanche, on n’a que l’âge de ses obsèques ». L’un s’en va toujours avant l’autre, même les vrais jumeaux. Alors, pris d’une sorte de somnambulisme halluciné, j’ai pris la décision de raconter tout ce que je sais de Charlotte et des siens... Tout ce qui est plus ou moins exact et me concerne en tant que premier de lignée, et donc désormais en première ligne sur le front « à la vie, à la mort ». Il faut que je me sauve avant qu’il ne soit trop tard : le moment est venu de sauver ma peau  pour ne pas sombrer et retarder l’échéance fatale… C’est de cette part de souffrance qui est la sienne et qui est devenue la nôtre, que nous devons nous sauver afin d’accepter sa mort sans renoncer toutefois à la revoir vivante. Face à la grande incertitude, il fallait bien se forger un après. L’après, au présent, se nourrit de demain, ce qui ne date pas d’hier, ni même d’avant hier… mais de notre première enfance bercée par l’ombre rassurante de la sainte mère vigilante et dont on ne pouvait même pas s’imaginer alors qu’elle puisse disparaître et se fondre pour toujours dans le tombeau percé de notre mémoire d’adulte.

Il est, en effet, un temps où il importe de dire non à la pathologie familiale et aux secrets de famille qui tiennent du secret de polichinelle. Le monde de notre enfance, nous ne pouvions pas faire autrement que de nous y adapter : il nous fallait bien survivre dans un monde d’adultes aux règles complexes, aux rites quotidiens et aux passions singulières. Mais nous n’avons pas à nous sentir en dette d’une histoire qui n’est pas vraiment  la nôtre, même si nous l’avons tout à la fois éclairée, cannibalisée et vampirisée à notre manière. Mais que gagne t-on ici et là à perdre ses illusions… lorsque le voile de Maya/Mam se déchire pour de bon ?

Tous les parents sont en un sens porteurs de vie et de mort : en nous donnant la vie, ils nous empêchent inconsciemment de vivre et de construire notre propre histoire. Ils nous transmettent ce qu’ils ont eux-mêmes reçu, mais ils ne sont pas coupables de nous traiter souvent en éternels enfants. Juger au fond, c’est être injuste : quand on cherche bien, la faute n’est jamais à personne. Pas même aux « Ricains » dans leurs forteresses volantes  qui balançaient des bombes à haute altitude au risque de toucher des civils du côté de Courbevoie pendant la dernière guerre et qui m’ont empêché de connaître ma sœur aînée, Marie-Françoise, et mes grands parents maternels.

A l’heure où se concoctent les hommages posthumes et les épitaphes bibliques, la vérité me saute soudain aux yeux et m’aveugle comme Saul sur le chemin de Damas au risque de devenir iconoclaste et de choquer quelques uns : on souffre à cause d’admirables parents imparfaits qui ont eux-mêmes subi des géniteurs eux aussi admirables et imparfaits…. Le cercle de famille se resserre où chacun lave son linge plus ou moins sale entre soi, sans les « rapportés » qui font tapisserie et banquette. Sans mot dire.

On les aime malgré tout, car nos chers parents ont fait ce qu’ils ont pu, avec les moyens du bord et une  dose d’amour, d’égoïsme et d’abnégation. Je me souviens de Charlotte nous mettant la pression à tour de rôle : « Sans moi qui t’es mise au monde dans la douleur et tous mes soins vigilants lors de tes premières années, tu ne serais pas là » Ce à quoi, n’ayant pas ma langue dans la poche, je répliquais à la différence de mes frangins muets et terrifiés devant ce chantage affectif de la mère : « Tu sais bien, maman, que je ne n’ai pas demandé à vivre… », cri de bon sens auquel elle ne trouvait pas de parade et de mots assez féroces pour me clouer le bec. Définitivement comme Charlotte en route pour « son paradis » loin de nous, les « nombreux » survivants.

Au fond, nos géniteurs, André et Charlotte, ont agi comme ils ont jugé bon de le faire… dans la France de l’après guerre encore sous le coup des tickets de rationnements et en instance de reconstruction. Après, le temps fait son œuvre, sépare les êtres chers et disperse les vieux enfants devenus à leur tour parents, voire grands-parents. Décidément, je suis d’humeur morose en ce jour interminable où l’on enterre une mère, la sienne et partant une bonne partie de sa jeunesse, de ses certitudes et de ses illusions. C’est en un sens  comme une « petite mort » , cette seconde coupure du cordon ombilical qui nous relie à la terre/mère dont parle les grands mythes de l’humanité. Au regard de celle-là, toutes les autres ruptures de l’histoire, et même les miennes, m’apparaissaient insignifiantes, voire dérisoires.

 Puisque j’avais survécu au départ de Charlotte, je pouvais bien survivre à tous les abandons : j’étais passé au travers de la barrière de feu, par-delà le Bien et du Mal, comme dirait Nietzsche, un penseur qui a oublié d’être bête et nous rend intelligent lorsqu’on le lit entre les lignes, dans l’entre-deux de son texte hallucinant. Charlotte avait, elle, d’autres lectures plus orthodoxes, à la fois plus frivoles et plus bibliques pour tenter de vivre… debout sur une jambe.

 

5

Le Rubicon du ballet funèbre

Enfin, le croque-mort en chef donne le signal à la famille d’entrer pour un dernier face à face avec la morte. Je passe le Rubicon du salon funéraire N°1 devancé par mon frère Philippe, fidèle exécutant de la défunte et suivi comme mon ombre par mon frère cadet Michel, le psy de la tribu qui campera là, prostré dans ses pensées, pendant plus d’une demi-heure. Tel Œdipe incrédule - qui préfère se crever les yeux plutôt que de réaliser la terrible nouvelle ou/et pour mieux s’en imprégner. « Mimi n’a pas vu le paquet ! » se défendait-il déjà, il y a près d’un demi siècle, dans la traction noire de la famille amie Graffin (le plus important libraire du Mans) quand il était pris par Charlotte… en flagrant délit, la main leste dans le sac… de bonbons, laissés en tentation gourmande sur le siège arrière. Alors qu’il semble aujourd’hui transformé en statue de sel comme la femme de Loth, Michel se retourne sur son passé et rémémore peut-être aussi que, bien plus tard, Charlotte munie de jumelles, lisait à haute voix du haut de son balcon, à Villers sur Mer, son journal Mickey qu’il tenait fièrement à bout de bras dans le jardin en contrebas de notre maison de vacances... Troublé et bluffé par le coup de force et l’intrusion intempestive de Charlotte tandis qu’il tentait, lui, de déchiffrer vaille que vaille la BB dans un mot à mot appliqué, rançon de la méthode globale d’apprentissage de la lecture. Décidément, la mère avait l’oeil sur tout et le faisait savoir... de manière souvent facétieuse. Michel n’en était pas encore revenu... de ce tour de passe-passe.

Je la regarde pour la dernière fois, Charlotte, qui s’est fait (la) belle une fois pour toutes… Car la famille pour la tribu des « nombreux », c’était d’abord la mère, sorte de cordon ombilical entre tous.

Quelque chose est là devant nous qui n’est ni le vivant en personne, ni une réalité quelconque, ni le même que celle qui était en vie, ni un autre, ni autre chose. Ce n’est pas elle et pourtant ce n’est personne d’autre. Charlotte est là sans être là  et pourtant  on ne voit qu’elle, ou plutôt son apparence apprêtée qui n’est plus tout à fait elle. Presque elle et pourtant pas du tout elle : pas une image juste, juste une image.... comme une photo d’un album de famille ouvert par hasard et qui qui ne sait pas dire ce qu’elle donne à voir. Elle est à côté de moi, séparée de moi, à la fois proche et déjà lointaine. On ne peut pas être plus près d’un être humain que je ne suis d’elle en cet instant où tout se joue, même le pire… Je ne lui demande rien, elle est là, comme si c’était la première fois. Plus près d’elle qu’elle-même si clouée dès la vingt cinquième année de sa vie survivante.

Je ne vois pas son visage. Je la distingue à peine sans oser m’approcher du sarcophage plein d’elle. Puis je m’enhardis comme un fauve flairant sa proie, au point de lui d’effleurer le visage maquillé et froid, ses lèvres pincées et sans souffle, ses mains sans alliance, sauf un cercle de chair plus clair, fin, comme celui d’une cicatrice. Paumes jointes, blanches et presque décharnées sur un fond de violet cardinal.  Un pauvre rayon de lumière accuse son profil. Statue du commandeur tapissée de fleurs côté fenêtre où la pluie rythme le ballet funéraire et sonne le glas dans ce ciel tourmenté de lendemain de Toussaint. On a pris soin d’elle pour sa dernière toilette. Comme elle aussi avec nous, lors de nos premiers pas. Avec des manières de lionne envers ses petits, Charlotte veillait jadis avec un soin jaloux à nous nettoyer les oreilles avec un coton humecté de sa salive, malgré nos vaines dérobades pour tenter d’échapper à ce rituel matinal qui nous dégoûtait.

Je me sens flotter, et contemple de manière hypnotique son visage, à la fois joufflu et sévère, qu’on a préparé pour « un long sommeil » comme m’a glissé Philippe qui soigne ses métaphores bibliques à la manière de Monsieur Jourdain déclamant de la prose sans le savoir. Et vérifie mine de rien, comme moi, en fidèle exécuteur testamentaire, que Charlotte est froide, bien froide en frôlant son visage au masque déjà cadavérique…  et ne sera donc pas enterrée vivante une seconde fois. Elle dort toujours dans la même position. Rigide et austère.

Alors claque l’évidence mortelle, sans croix et sans ratures, de l’épitaphe invisible sur le couvercle accolé au mur portant en lettres d’or Charlotte Duteil, née Wandler, 1918-2000 : « Ci-gît quelque chose qui fut quelqu’un, et pas n’importe qui ». Le double nom propre dit la singularité duelle de la mort et, en le disant noir sur blanc, répète déjà cette singularité, lui survit, lui donne corps si j’ose dire. « Le nom court à la mort plus vite que nous » dit Derrida dans son texte à la mémoire de Joseph Riddel, « nous qui  croyons naïvement le porter (...) Il est d’avance le nom d’un mort ». A chaque fois que nous sommes en deuil, nous ajoutons un autre nom à la série des deuils singuliers et commettons ainsi ce qu’on pourrait appeler une sorte d’ « infidélité posthume » vis à vis des autres.

Et je me dis, comme pour m’en convaincre, qu’au fond, malgré nos divergences et grâce, sans doute, à des discussions récentes et  parfois vives où je jouais encore et toujours «  l’opposition de sa Majesté », je n’ai pas (plus !) de comptes à régler avec ma mère qui n’est plus là pour nous répondre. Le mort est par définition celui qui ne répond pas… et effectivement, je peux le jurer, Charlotte ne dit mot. Evitant les regards vagues de mes deux frangins Michel et Philippe comme statufiés dans leur rituel post-mortem, je m’approche pour une ultime reconnaissance et fixe sans vraiment le voir ses traits déjà gris et figés ad vitam aeternam. Avec cette impression que l’on ressent, après deux ou trois verres, d’être détaché de tout, de se mouvoir à quelques mètres du sol, délivré de la loi de la pesanteur, d’observer à l’aide d’une lorgnette un monde qui n’importe plus guère.

Alain, mon cadet de quatre ans débarqué tout droit de sa Guadeloupe, surgit alors comme un intrus en retard et en plein décalage horaire dans l’huis clos de l’antre funéraire. Toujours en retard comme lors de la traversée de la baie d’Eze à la nage où il échouait à la fin des années 60 à quelques encablures de moi, malgré un « fighting spirit » remarquable et son crawl haletant. Et déjà sous l’œil complice de l’arbitre Charlotte - cloué à « la place du mort » (déjà) de la DS 19 qui nous emmenait sur la Nationale 7, la route de nos grandes vacances estivales vers le soleil et la mer. Spectatrice et comptable de nos exploits nautiques et de nos multiples démonstrations dans tous les styles (crawl et papillon dauphin notamment et j’oublie la nage indienne !) de tes deux rejetons, nageurs émérites aux tendances exhibitionnistes, que tu encourageais du regard en croquant une glace ou un bonbon, sans jamais te départir de ton impartialité pour nous départager… Nous qui voulions à tout prix t’impressionner en étant le meilleur et gagner ainsi ton estime… Par un curieux mimétisme dont nous n’avions, bien sûr, pas conscience à l’époque, tes deux fils dauphins rampaient dans l’Océan tandis que tu rampais dans ta vie… Crawl pour crawl, sein contre sein, mère contre fils, c’était notre loi du talion plus ou moins tacite.

Ayant perdu sa silhouette filiforme de dauphin, le colosse à la bedaine de bon vivant - qui me rappelle vaguement quelqu’un rencontré dans une autre vie presque engloutie, fait même semblant de ne pas nous voir dans « la chambre du crime »… A tel point que je le prends pour un étranger baraqué, sans gêne et trop différent pour être vraiment de la fratrie et même de la famille. Un badaud sans doute entré par hasard, parce qu’il a vu de la lumière : l’auréole de la mère. Je plane et délire sec comme si j’étais shooté. Je frôle mon frère Alain comme lorsqu’on rencontre un sceptre, sans vraiment le reconnaître, comme si j’étais déjà enseveli sous les voiles du deuil au terme d’une visite qui m’aurait secoué les nerfs, presque aussi fort, que la mort d’un enfant à peine né. Ou lorsque, rue du 33e Mobil au Mans, j’avais entrevu jadis une blonde frimousse bouclée d’intrus dans son lit de nouveau né, me demandant alors ce qui nous débarquait là, dans la fratrie, sans préavis....

Et puis, au bout du chagrin que j’avais ressenti lors de cette ultime confrontation dont je me souviendrais jusqu’à la fin, j’ai souvent pensé avec effroi à la douleur que devait éprouver une mère qui perdait son enfant. Ce qu’avait éprouvé, en 1943, Charlotte à la perte de ma sœur aînée, Marie-Françoise. Toutes les autres souffrances s’effaçaient au regard de cette horreur où triomphait le mal et qui avait fait conclure à Dostoïevski que, dans ce cas inique et scandaleux de l’innocence persécutée, Dieu n’existait pas…


6

Etre-pour-la-vie et Etre-pour-la-mort

Attachés à vivre et à construire notre bonheur au jour le jour, nous nous détachons de ce qui fait notre destinée d’être-pour-la-mort. Pris par la frénésie et l’agitation du monde des vivants, nous ne songeons guère à  « cette sale gueuse » qui frappe presque toujours sans frapper mais sait cogner où ça fait mal…

En tournant autour du délit en chêne, tel un lion en cage pris au piège de l’exiguïté de l’espace et de ce cache- cache morbide, j’ai une vue plongeante sur son décolleté violet bien sage qui la protège du froid et des voyeurs macabres. Nous. Charlotte statufiée dans une dernière pose ne semblait pas douter d’accéder à une éternité souriante qui n’allait pas tarder… Si prier et croire servaient à quelque chose et à justifier une vie crucifiée. Mieux, de sa conviction sans faille que la mort n’était qu’un passage d’un lieu à un autre et que « son royaume n’était pas de ce monde », il n’y avait pas à douter. J’en étais, certes, troublé, et, toute gêne dissipée, refusait d’entrer dans la complicité par commodité ou/et lassitude.

Je réussis à transformer en élan l’effort que je devais accomplir  pour vaincre ma gêne, surmonter la fatigue qui m’accablait soudain. Pour une fois, je me sens proche de moi. Dans une espèce de quiétude et de sérénité. Rester digne, donner le change mais surtout ne pas retenir ses larmes, vivre cet instant crucial et unique: nous avons tout perdu, nous n’avons plus rien à perdre… sauf la vie. Je croyais en elle comme d’autres croient en Dieu et/ou au Diable. « TU PEUX COMMANDER TOUT CE QUE TU VEUX ». Je n’en croyais pas mes oreilles... C’était bien ma mère sur une jambe dont je servais de canne vivante qui, royale et désinvolte,  m’avait offert un 3 octobre tous les gâteaux d’un salon de thé du Mans. Histoire de fêter avec faste mon 6e anniversaire. J’étais un roi qui piouvait satisfaire tous ses désirs gourmands. Avec, en prime, une indigestion carabinée pour  l’aîné (toujours des vivants !) métamorphosé le temps d’un anniversaire en canne ou en béquille - qui avait eu « les yeux plus gros que le ventre ». Bref, je n’avais pas su résister et dire non à la tentation de Charlotte en goguette sur sa seule jambe valide.

Flash back festif, réminiscence convivia        le pour atténuer le coup de tonnerre d’un départ sans préavis de la mère vécu par les enfants devenus grands… comme un coup de poignard. Un de ces instants de coma aux portes du désarroi intime où l’on est aux abonnés absents de la vie en général  et très présent cependant aux moindres détails... comme au dernier souffle. A vrai dire, le décès de Charlotte nous a frappés à l’improviste, entrer dans la mort (notre mort ?) et a fait déborder le trop plein de nos émotions. Ce n’est qu’après des jours de larmes, larmes de l’enfant inconsolable que nous portons en nous au moment du deuil et de son soit disant  travail, que chacun peut apprendre à se retrouver ou à se trouver : certains se sont tant éloignés d’eux-mêmes qu’ils ignorent s’être perdus et se disent « Si j’avais su ». Mais il est déjà trop tard… pour refaire le monde et ressusciter les morts. La mère qu’on pousse en terre. Alors que le rituel funéraire se poursuivait comme les plats se sont succédé aux noces de Charlotte jusqu’à ce que les convives éprouvent le besoin de sortir de leur torpeur et de parler. Enfin.

Dans les situations de crise, on accepte de dire « ça ne va pas » et on prend conscience de ce qui, depuis si longtemps, n’allait pas. En profitant de ces drames et de ces pertes dont on pense ne jamais se relever, on apprend à vivre, à mieux vivre avec les vivants, nos proches et ceux qui nous entourent, en laissant « les morts enterrés les morts » et ressasser des « regrets éternels ». Eh oui, il faut admettre l’évidence qu’on ne répétera jamais assez : on meut toujours seul bien qu’entouré… Bien qu’ « accompagnée » d’une nuée de témoins et de sa nombreuse progéniture, Charlotte n’échappe pas à la règle commune, pardon,  j’allais dire… à la fosse commune comme ses parents et sa fille aînée enterrés à la va-vite, à Courbevoie, pendant la dernière guerre, après le bombardement.

En sortant à peine du brouillard de ma peine endeuillée, je fais face dans la salle d’attente à ma sœur Marie Jo sans mot dire, car nous nous sommes déjà tout dit ces derniers jours... avec une animosité outrancière. Pourtant, c’était bien elle qui, jadis, nous séparait ou/et faisait rappliquer ma mère, quand mes quatre galopins de fragins me tombaient tous dessus à bras raccourcis pour enfin me maîtriser, m’immobiliser et ne mettre hors d’état de nuire au point de me couper le souffle. « Vous allez cesser de lui tomber dessus à quatre contre un... sinon j’appelle maman »

Et pourtant, c’est bien Alain et moi, les deux nageurs émérites de la tribu, qui l’avions sauvée jadis de la dérive, sinon de la noyade lorsque Marie Jo était emportée avec sa bouée vers le large, à St Brévin, par le courant de la Loire se jetant dans l’Océan. Au risque même de nous épuiser dans ce sauvetage qui tenait de Sisyphe roulant son rocher dans la mer qui berce.

A la manière feutrée d’un garde du corps en protection rapprochée, je me glisse vers ma marraine Simone, baptisée « Le Mouton » à cause de ses cheveux naturellement bouclés. Plus âgée que son amie Charlotte, elle se demande pourquoi , à 86 ans bien sonnés, elle est encore là, elle que la vie n’a pourtant guère épargnée… Elle n’ose pas chanter son air fétiche des temps heureux : « Après tant de pei-eines (sic)… passe moi la gourde de cumin », le rustique chant apéritif qui a bercé notre adolescence lorsque nous nous étions tous à table dans l’école primaire de Mézières, dans la Sarthe. J’y donnais même en vacances des cours d’initiation à l’anglais aux élèves de Simone qui allaient bientôt entrer en 6e, histoire d’arrondir mes fins de mois d’étudiant boursier à La Sorbonne.

Prostrée et recroquevillée sur elle-même comme une première crêpe de la Chandeleur, Simone renâcle comme une jument devant l’obstacle. Elle hésite à rendre un dernier hommage à la jeune et charmante institutrice convalescente venue se réfugier dans la Sarthe qu’elle a connue chez les soeurs dans les années 40, juste après le bombardement de Courbevoie qui l’avait laissée enterrer douze heures. Entre la vie et la mort.

Poussée par Marie Jo et Georges, son compagnon qui ressemble de plus en plus à Fidel Castro qu’il admire envers et contre tout, Simone enfin se décide, se lève, fragile et forte comme la chèvre de Monsieur Seguin qui sait le combat contre le loup inégal et la fin inéluctable…

Docile et rétive à la fois, elle prend ma main comme guide et glisse un vague regard apeuré à son amie momifiée qu’elle n’ose guère approcher. Elle recule et crie d’une voix éteinte comme blessée par ce qu’elle a vu ou cru deviner, comme si elle avait vu son premier mort : « Non, je n’aurai pas dû. Ce n’est pas celle que j’ai connue… ». Et comme pour mieux s’en convaincre, distribue son poème « Belle » qui rend hommage à la beauté pimpante et à la jeunesse éternelle de la Charlotte gravée dans son souvenir et face à son éblouissement d’autrefois.

J’embrasse furtivement mon frère Bruno en retrait avec le lot des belles-filles et autres « rapportés ». L’œil brillant et fiévreux comme lorsqu’il jouait, avant-hier,  les pyromanes en jouant avec les allumettes et en faisant brûler des journaux dans la cheminée de notre salle de jeux au Mans, rue du 33e Mobil. Au risque de nous calciner tous et de nous transformer vite fait en sapeurs-pompiers sous la commandante en chef  Charlotte venue à la rescousse… Afin de parer au plus pressé et de sauver du feu sa progéniture désobéissante. Le regard vague et humide, comme lorsqu’il avait éclusé jadis en catimini tous les fonds de verre d’apéritif, lors d’un anniversaire arrosé à Sainte Geneviève des Bois, au point de distinguer à la fin des poules sur le piano à la place des candelabres et de croire que notre vaste salle de séjour était devenue une basse-cour. « Tiens, c’est rigolo, des poules sur le piano ! ». Ce qui avait fait bien rire Charlotte et tous les invités.

Aujourd’hui, Bruno paraît comme pétrifié dans son refus de ne pas franchir la morbide frontière qui le sépare du cadavre de Charlotte. Comme s’il voulait effacer de sa mémoire toute image macabre de celle qui lui avait donné la vie et lui avait laissé pousser des nattes dans ses tendres années – ainsi que l’atteste encore aujourd’hui un portrait compromettant de lui, tout joufflu à quatre-cinq ans -pour se laisser l’illusion qu’elle avait donné naissance à une (autre) fille. Enfin !

Ruminant tant de circonstances où il avait été obligé de réprimer son élan vers une mère qui, disait-il, lui avait gâché quelque part sa jeunesse en l’embrigadant à l’âge des culottes courtes dans des causes et des croyances qui n’étaient pas tout à fait les siennes. Dans les années 55-60, les mômes ne contestaient pas les choix de vie de leurs parents, mai 68 était encore loin ! Au bout du compte et sans trop se raconter des histoires de garçons qui naissent dans les choux et de filles dans les roses, «  la vie est une maladie mortelle transmissible sexuellemen »t, comme chante Jacques Dutronc.

Je sors du funérarium et avance à tâtons, tous feux éteints, entre les gouttes et les bourrasques, suivi comme mon ombre par ce colosse dégingandé qui me marque à la culotte et me donne pour m’achever une bourrade que n’aurait pas désavouer un matelot ivre en bordée… Il me balance une boutade que je n’entends guère - en guise d’exorcisme goguenard et comme pour se prouver et me démontrer que le drame de la vie, c’est qu’on ne vieillit pas comme le voudrait le regard des autres. Sonné tel un boxeur proche du KO et insensible à ses avances pressantes comme s’il était passé d’un sexe à l’autre, je persiste à ne pas reconnaître mon frère « Alain de la Guadeloupe » qui cultive sa réputation d’être toujours entre deux boulots et entre deux blagues. Comme je n’avais pas cru en avril 49 à sa naissance, en forme de poisson d’avril !

« Est dur, est dur », comme le criait déjà à Pressoir-Prompt, à quelques mètres de la Nationale 7 qui menait au soleil et dans le désert d’une véranda surchauffée, le jeune Alain aux boucles blondes sur son pot à qui, vicieusement, nous venions, mes frères et moi, de lancer en riant quelques papiers glacés de magazine et de journaux tachés d’encre en guise de PQ du pauvre. Il criait comme un prisonnier condamné à perpet’ et collé au mitard... dans le désert de la route des gros culs et des voitures chargées comme pour un déménagement. La presse vite lue ou feuillettée finit toujours mal, comme les faits divers et de société qu’elle raconte. On en trouvait quelques exemplaires jadis égarés dans les cabinets de toilette car elle  se nourrit jusqu’au bout d’éphémère… comme désormais Alain vit d’expédients, de films et de chansons sous le soleil et les tempêtes des Antilles.

Je fuis sans demander mon reste… me réfugier à l’abri dans notre pauvre Peugeot 309. Cercueil volant tout en blanc crème et déjà cabossée par quelques rencontres intempestives avec les « bites » (terme de marin : ce n’est pas ce que vous croyez !) de Levallois sur Seine. Si les barreaux avaient reculé, la cage restait la même. Non sans avoir pris la précaution de livrer à la main quelques journaux de santé et de diététique, en un vieux réflexe de papivore dégénéré, à ma belle-sœur Michèle...  Afin de tapisser et de meubler la salle d’attente de la doctoresse Molières de l’hôpital d’Arpagon avec laquelle j’ai eu quelques mots sévères et sans doute injustes au téléphone, dix jours auparavant, au sujet de la frontière ténue entre l’acharnement thérapeutique, l’euthanasie et l’accompagnement du malade dans le coma.

Comme Sisyphe son rocher, j’ai parfois la passion de l’inutile : je refusais alors l’idée même de la mort de Charlotte, ou plus exactement je voulais retarder à tout prix l’échéance fatale. Mais l’éternité ne me tente pas pour autant. Je la laisse aux dieux et aux héros. Moi, l’instant du quotidien me suffit : je suis un journaliste, donc un « voyou voyeur » (sic) qui est rétribué pour ausculter vaille que vaille le pouls du monde et ses soubresauts, pour « porter la plume dans la plaie », là où ça fait mal. Sans complaisances, ni trop de connivences, même si on m’a toujours répété que les grandes douleurs sont toujours muettes. D’abord, celles de Charlotte sur son lit de souffrances qui nous berçait jadis des récits de « Sans famille » et enrichissait d’une variante perso l’histoire de Rémi dont l’intrus, un des frangins Alain ou Bruno, avait coupé le fil émouvant. Rien, nulle part n’avait été différent de ce qui se tramait autrefois au Mans Place de l’Etoile, rue du 33e Mobil ou sur la nationale 7 à Pressoir Prompt, près de Corbeil-Essonnes, ou encore avenue du Normandie-Niemen à Sainte-Geneviève-des-Bois, les divers lieux où nous nous étions posés en famille et qui avaient scandé la jeunesse des « nombreux » du temps où tout n’était pas si sombre.


7

Une singulière histoire

A la « Salle du Royaume » à Monthléry, je sursaute en apprenant que Charlotte, dès sa prime jeunesse à Saint Vicq, « flirtait » à la sortie de l’église avec des adventistes, une secte protestante. Déjà. A chacun sa version de vérité ! A chacun sa part d’Histoire et de petites histoires !

Je ne suis pas le seul à être interloqué : son frère Michel, ancien acteur, n’en ait pas encore revenu de cette leçon d’histoire francomtoise trop belle pour être tout à fait crédible, sinon véridique. A la manière de bibliographie officielle des artistes et des vedettes où la vérité colore le roman d’une vie qui se veut exemplaire à défaut d’être édifiante. Pourquoi des étrangers baptisés « frères » de religion qui ont traversé par hasard notre vie auraient-ils retenu des faits, des gestes, des paroles dont nous-mêmes – acteurs et témoins – n’avons pas sur le champ, senti l’importance, l’irréversibilité ?

Michel a été choqué -et me l’a dit et écrit- qu’on refasse sans malveillance, certes, l’histoire des Wandler, mais il a rongé son frein. Il sait que ce n’est jamais celui qui met le feu qu’on blâme mais celui qui veut sonner le tocsin. Et il me confie, qu’à ses yeux, « son entrée chez les Jéhovah » était la meilleure manière pour « la pauvre petite » de se consoler de sa vie amputée très tôt, trop tôt… Avant que Charlotte ne quitte définitivement cette terre pour le silence. Marxiste sans le savoir, ce gaulliste pur et dur - qui devait survivre deux ans à la mort de sa grande soeur, vient de me confier à sa manière que « la religion est l’opium du peuple » et sert avant tout à se consoler des misères de ce bas monde. Il prêche à un « con-vaincu » en deux mots… comme dirait San-Antonio, lui aussi qui a succombé  à la loi mortelle de « la grande faucheuse ».

Avec un œcuménisme qui l’honore, ce drôle de paroissien de Michel Maurette (son nom d’acteur) a fait dire, avec sa femme artiste Colette Renard, une messe par le père Doiteau chez les moines de Saint Lambert, à côté de chez eux, dans une commune voisine de son fief, Milon-La-Chapelle. Dans ces moments là, on ne sait plus à quel saint se vouer, alors pour ne pas se tromper, on frappe à toutes les portes. Le frangin, désormais dernier survivant de la lignée Wandler fort décimée et presque éteinte, a beaucoup prié et par moment, il lui semblait voir le visage de Charlotte dans les vitraux de la petite chapelle. Depuis qu’il pouvait les nommer, les fantômes avaient deserré leurs étreintes : il allait encore tenir deux ans avant de rejoindre sa grande soeur...

A chacun ses visions folles, ses hallucinations et ses images saintes ! A chacun ses croyances et ses opinions … à défaut de Vérité avec un grand V !

C’est comme les phrases toutes faites qu’on prononce, depuis toujours et trop souvent à la va-vite – parce que le silence de l’absente fait peur, qu’elle ne peut plus dire l’amour qu’elle nous portait. Et qu’il faut bien exorciser la peur de sa propre mort, c’est-à-dire de la fin du monde- devant ceux que frappe un deuil terrible : « la vie continue », « il faut aller de l’avant, penser à ceux qui restent », etc. Non, la vie ne « continue » pas, elle se tord, elle se convulse. On se révolte (pardon Dr Molières !), on tempête, on ne peut se retenir parfois d’un certain ressentiment, ou au moins de dire à l’absente : « Tu as volé mon rire d’enfant »… On sait que l’insouciance ne reviendra pas, qu’une certaine enfance, précieusement gardée, a été soudainement engloutie, et pour toujours. Désormais, on est en première ligne… et le compte à rebours a commencé son œuvre sans états d’âme. On ne peut plus se raconter d’histoires… comme Bruno, qui, à neuf ans, croyait encore au père Noël malgré les dénégations de sa soeur Marie Jo, cinq ans tout juste, qui n’y croyait déjà plus. Ah ! la trop fameuse intuition féminine dont on nous rabat les oreilles … Marie Jo savait déjà que c’était « Papa le père Noël ». Ce père surpris un 24 décembre, peu avant minuit, se faufilant dans notre chambre chargé de cadeaux pour nous qui faisions semblant de dormir tout en observant son manège nocturne. Car cette fois là, nous avions résisté à Morphée et à ses sortilèges. Ce mari fin lettré - présent/absent comme le désir - qui lui avait envoyé, quelques semaines avant la mort de Charlotte, un poème en hommage de celle qui luttait à la frontière de la vie et la mort et n’était déjà plus consciente pour entendre cet adieu lyrique d’un être aimé qui l’avait quitté… Pour être sincère avec lui-même à défaut d’être fidèle aux autres. « Si tu savais… » me glissait-il en forme de litote pour tenter de m’expliquer ses rapports ambivalents et fuyants avec Charlotte. Mais, bien sûr, comme Oedipe qui se crève les yeux pour ne pas savoir le fin mot de ses origines, je ne saurai rien de ce secret de couple dont nous sommes issus... Je serai toujours voué aux supputations , voire à la divination de l’âme de nos géniteurs, comme lors de la « scène primitive » auditive, sinon fantasmatique, où j’avais surpris il y a bien longtemps, à poton minet, dans notre pavillon rue Normandie-Niemen, à Sainte Geneviève des Bois, Charlotte tenter de repousser son fougeux étalon d’André par cette supplique presque consentante et non dénuée de sensualité : « Non, tu es fou, les enfants sont là... »

 

Au Cimetière de Saint Michel-sur-Orge bien  fleuri au lendemain du ler novembre et éclairé par quelques ormes et hêtres, on aurait cru le cérémonial réglé au préalable, dans ses moindres détails, par deux complices en noir qui s’acharnaient à se surprendre mutuellement, et n’y parvenaient pas, malgré les surenchères bibliques et les méandres du rituel funèbre. C’est notre sœur -unique et donc précieuse- Marie-José, qui veille aux derniers détails… Ce qui n’est pas fait, à vrai dire, pour me tranquilliser et me met les nerfs à vif, ce besoin pathologique d’avoir l’oeil sur tout.

Comme entraînée par la pente abrupte de son deuil, on dirait une squaw qui titube sous le fardeau de sa peine : Marie-Jo a pris d’emblée la tête du cortège pour ne plus la quitter avant la mise en terre. Je la surveille du coup de l’œil comme un chasseur son gibier et remarque que Michel, le cadet, se rapproche d’elle comme pour une garde rapprochée afin de la soutenir si elle se risquait à défaillir. Il ne lui tenait plus rancune d’avoir jadis littéralement démonté son bureau, avec le renfort de Philippe, pour y découvrir les trésors qu’il cachait comme Harpagon sa cassette. Bon réflexe fraternel lorsque le mouton suit le troupeau en s’identifiant à la personnalité disparue au point de frôler le précipice et de perdre tout instinct de vie. Eros et Thanatos nous tenaient par la main en ce 2 novembre au milieu d’une nuée de témoins qui se tenaient discrètement à distance...

Au fond, tout au long  de son presque demi siècle d’existence, Marie Jo n’avait jamais tout à fait pris congé de Charlotte, elle lui avait servi de béquille vivante en relais avec Philippe alors que ses quatre autres frères avaient plus ou moins rompu le cordon ombilical en quittant le nid sans soupçonner qu’avec ceux qu’on aime, le banal au-revoir, c’est parfois un adieu…

8

Comme un syndic en faillite

En suivant le corbillard, je mâchais les mots comme les Indiens mâchent du chanvre, un peu ailleurs, perdu dans mes pensées moroses. Nous n’étions tout de même pas des chiens qu’on enterre à la va-vite, encore que désormais avec les cimetières pour chiens, on  n‘est plus sûr de rien. C’est comme mon jeune papa intello, me tançant à table au Mans par un sec « merci quoi, merci, mon chien ! »… que je répétais sans malice alors, en ânonnant chaque syllabe afin de ne pas le contredire et d’apaiser son énigmatique courroux.

Au lieu de quoi, j’étais là au jour dit, pour l’inventaire, comme un syndic de faillite, prenant peu à peu conscience que la mort, avec son cortège de rituels plus ou moins désuets et inutiles, a toujours été un prurit du pourquoi et du comment.

Déjà, je n’avais même pas atteint l’âge de raison que mon père, pour une fois pris d’une colère froide, me demandait sans rire et d’un ton sentencieux : « Christian, quelles sont vraiment tes intentions ? ». Et que toi, Charlotte, pour ne pas être en reste, tu me baptisais « le concierge » (j’étais déjà curieux de tout et pas seulement de toi !) lorsque tu me surprenais en train d’écouter les bruits de couloir, l’oreille collée à la porte d’entrée de notre superbe appartement réquisitionné au Mans, rue du 33e Mobil. Et d’épier ton voisin, un monsieur respectable à la main droite toujours emprisonnée d’un gant noir qui semblait entretenir avec toi un secret inavouable, comme l’illusion d’un membre fantôme. Je te consolais déjà de l’Absent en te soufflant « Ne pleure plus, il reviendra bientôt » quand je te voyais essuyer en cachette quelques larmes sur ton visage ovale de Joconde trahie.

Deuil pour deuil, dent pour dent… c’est la nouvelle loi du talion de la tribu décimée, pourtant nombreuse et presque recomposée pour la mise en bière et en terre de la Mère. Je m’interroge sans espoir de réponse satisfaisante. Avait-on besoin de tant d’espace quand on serait au garde-à-vous entre quatre planches et que, déjà, on a passé un tiers de son existence au lit, rêves compris? Je médite pour me changer les idées ce mot de Marx : « L’humanité ne peut que se poser que les questions qu’elle peut résoudre », comme si dans toute question, pertinente ou non, il y aurait en germe un embryon de réponse…

Je me mettais à rêver à cette aventure incroyable et pourtant si banale : les liens inextricables et mystérieux entre une mère et l’enfant qu’elle avait porté en elle et qui était sorti de son ventre fécond. Ce qu’il y avait de plus quotidien et trivial, la naissance et la mort, était inimaginable. Et proprement inconcevable comme le montre bien la fameuse histoire d’Oedipe qui tue sans le savoir son père Laïos et épouse sa mère Jocaste avant de se crever les yeux pour ne pas connaître la vérité sur ses origines, sur le fait de 1 + 1 = 1, sauf, bien entendu, dans le cas de jumeaux, de triplés ou de quadruplés… Au fond, nous passons notre existence à brouiller les pistes et à éviter les questions qui fâchent… ou/et qui réveillent… Mais les secrets de famille qui hantent de près ou de loin nos existences d’adultes revenus de tout, demeurent presque toujours des secrets de polichinelle.

C’est comme ce problème du temps sur lequel se penchent depuis toujours, et toujours en vain, philosophes et savants : si nous ne savions pas d’avance, par vocation, par destin, par miracle toujours renouvelé, ce que sont le temps, la naissance et la mort, aucun esprit, jamais, et nulle part, ne pourrait les imaginer, ni même les concevoir. Le seul mystère résidait dans la banalité de chaque jour et de chaque instant. Et même de cet instant où l’on enterre sa mère… à la va-vite et comme on peut. Avec toutes les précautions et les rites d’usage ici-bas tout de même !

Un peu à l’écart de la petite ville de Saint Michel dans l’Essonne et de la rivière l’Orge, ce cimetière sans prétentions où tu allais désormais reposer, avait prospéré en faisant l’impasse sur ces affreux monuments de la mémoire perdue où une vingtaine de personnes auraient pu, sans se gêner mutuellement, entendre la messe dans la chapelle. Il n’en était que plus authentique et sympathique à mes yeux désormais d’orphelin… seul sur terre, bien qu’entouré.

A présent, au moment de me recueillir dans la même et première fournée que Bruno et Alain, une dernière fois devant la terre remplie de ma mère, je n’ignorais plus que la vie est curieuse, pleine de paradoxes et de malentendus, que nous sommes compliqués et que, plus les êtres nous sont proches, plus ils nous sont obscurs, voire ambivalents. Soudain, claque dans le silence de ma nuit de deuil, le cri castrateur de Charlotte, au premier étage de notre pavillon en meulière de l’avenue Normandie-Niemen : « Christian, tu pisses comme un cheval » ; alors que je me soulage à potron minet dans le cabinet attenant à sa chambre après une mémorable virée nocturne avec mon pote Jacky, histoire de fêter  le passage du concours de l’agrégation. Plus si j’y pense et plus je prends ce cri de la mère dans son  lit et tiré de son sommeil, comme une forme de constat clinique plus que de reproche au pisseur jouisseur pris en flagrant délit,  comme si elle voulait se persuader qu’elle avait bel et bien engendré un premier étalon au jet puissant … afin de perpétuer la nombreuse lignée de la tribu qui n’est pas d’Israël.

D’ailleurs, me m’avait-elle pas marié à presque dix ans avec la fille aînée des Fauxt, les Routiers de la N 7 des vacances au soleil qui jouxtaient notre pavillon à Pressoir Prompt dans les années 50-60, comme le prouvent quelques photos en noir et blanc de la cérémonie nuptiale sur fond de pub réclame apéritive « Dubon, Dubon,  Dubonnet » affiché à prix d’or au mur du resto populaire et cher aux camionneurs beaux comme leurs 30 tonnes briqués sillonnant la Nationale 7. Selon sa fantaisie d’alors et à la manière de la « fête étrange du Grand Meaulnes », Charlotte avait déguisé tous les enfants des deux familles voisines qui s’étaient volontiers prêtés à sa mascarade nuptiale. J’arborais en cette occasion une tête de corsaire partant à l’abordage de la femme à conquérir et je jouais ton jeu conjugal pour te faire plaisir et entrer dans ton imaginaire de femme souvent abandonnée. La réalité était sans aucun doute moins ludique et plus triviale à ton encontre... 

Nous avions toujours eu à composer avec sa manie de marieuse invétérée qui regardait avec jubilation dès 1952 sur les premièrs postes TV à Pressoir-Prompt le mariage princier de la Reine Elisabeth d’Angleterre. Quelle boulimie tu avais alors d’images de princes charmants, de princesses heureuses et d’histoires d’amour idylliques pour nourrir une vie de recluse !

Je me souviens aussi alors que tu retournes aujourd’hui à la genèse de «  la poussière dont tu  as été tirée », qu’au crépuscule d’un mois de juillet, en vacances à Saint-Brévin-les-Pins dans les années 65, tu me glissais sur le ton complice d’une mère maquerelle à qui on ne l’a fait pas : « Je suis fière de toi (sous entendu :  et donc  fière de moi !) ». Tu avais surpris dans la pénombre du crépuscule une lueur de désir rauque, voire un zeste de concupiscence dans le regard clair d’une jeune fille brune de bonne famille égarée près de notre villa de location avec vue imprenable sur l’Océan : la jouvencelle m’avait maté furtivement en maillot de bain minimaliste, rentrant tout bronzé, sablé et salé de la plage toute proche. Tu avais toujours l’œil et le bon pour les choses de l’amour…, maman, et tu te nourrissais pas seulement de pain et d’eau…

De ces flirts poussés avec le passé souriant de notre enfance, je fus vite réveillé en sursaut et ramené sans ménagement à la réalité plus cruelle de la fin de l’histoire, de notre histoire avec la mère.  Et je lus dans le regard de mes frères et de ton cadet Michel - qui s’éclipsait en douce avec Colette Renard sans voix et sans demander son reste…, que Charlotte appartenait désormais au souvenir, qu’elle n’avait plus d’existence que virtuelle dans nos mémoires déjà encombrées et vascillantes.

La mort devient alors, qu’on le veuille ou non,  la raison d’espérer des justes et de Charlotte en particulier. Avant même que je me retire pour me mettre à l’écart de l’agitation funéraire autour du trou en terre, je finissais par me convaincre qu’avant même la mort de Charlotte, une autre rupture sanglante, à laquelle il m’était presque impossible de penser, était intervenue, à mon insu, entre ma mère et moi, c’était ma naissance.

J’étais ma mère. J’étais une part d’elle. Je vivais en elle et par elle. Et puis, dans la douleur et le sang, je m’étais séparé d’elle. De cette première rupture, qui m’avait sans doute fait pleurer et crier, je ne gardais aucun souvenir. Mais quel choc c’avait dû être ! Comme j’étais bien dans le sein de ma mère avant d’être jeté dans la souffrance du monde ! Maman me quittait en mourant : je l’avais déjà quittée en naissant.  « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament », écrit le poète René Char. Tout le reste n’était que roupie de sansonnet et mauvaise littérature. A mes yeux au moins, rien ne valait en ce moment crucial ni ma naissance ni la mort de ma mère.

Avant même que les fossoyeurs, guignols et automates tout de noir vêtus, versent sur elle des pelletées de terre glaise en ce jour consacré aux morts, une pensée philosophique me sauta aux yeux comme la beauté de la crapaude au crapaud. Au fond, en creusant bien, comment peut-on penser et concevoir la mort et le néant, puisque nous sommes là, encore vivants, à veiller nos morts, à les enterrer et à nous pincer pour savoir si nous ne sommes pas passés de l’autre côté ? Comment peut-on imaginer le rien alors qu’on n’est pas rien ? Enfin pas encore ! N’est-ce pas l’imposture intellectuelle et l’escroquerie existentielle par excellence dans ce monde de faux-semblants  et du spectacle de la mort exorcisée car aseptisée, voire niée ?

 

9

Croire à l’incroyable

Charlotte était non seulement bel et bien morte mais gisait maintenant à deux ou trois mètres sous terre: ça crève les yeux, nos yeux qui pleurent une mère partie tout entier et engloutie par la terre du cimetière. Je ne sais plus où j’en suis mais reste pourtant lucide à cet instant crucial. On n’enterre certes pas les morts pour eux mais pour nous, pour ne plus les voir se décomposer. Mieux pour être sûr qu’ils ne s’échapperont plus et qu’on aura un pouvoir sur eux en leur assignant un lieu où nous pourrons éventuellement venir nous recueillir.

On ne peut croire qu’à l’incroyable, on ne peut imaginer que l’inimaginable, on ne peut pardonner que l’impardonnableLes Juifs et les Grecs pensaient qu’il y avait, sous terre, un royaume des ombres. Dans le judaïsme, ce que Dieu nous demande ici-bas importe plus que la notion de monde à venir. Il y a bien un monde futur, mais nous ignorons tout de lui. Chez les chrétiens, l’esprit de l’au-delà se fonde avant tout sur la résurrection du Christ. Tout se cristallise et se sublime dans la destinée du fils de Dieu venu sur terre. Seulement, à l’époque du Christ, il y avait des miracles dans la rue. On apprenait cela dans la Bible que je connais un peu et au catéchisme auquel j’ai échappé de justesse. Maintenant, il n’y a plus de miracles, Dieu doit être fatigué ou ailleurs, pas dans la vie de tous les jours. « Assurément, les Dieux vivent, mais pas dessus nos têtes » (Hoderlin). A défaut de faits tangibles, seules restent les interprétations à l’aune des épitaphes. Seuls subsistent les symboles et les textes dont tous ne sont pas apocryphes, bien sûr. Mais, on ne fait pas une vie avec des symboles, avec le plaisir des textes -sacrés ou non – et  avec le fantôme d’une morte encore moins.

Dans l’islam, le croyant après sa mort est seul face à Dieu. Il attend le jugement. Son séjour en enfer est provisoire. Il ira de toute façon au paradis, l’enfer étant réservé au non-croyant, c’est-à dire à nous, les impis qui sommes rescapés du 11 septembre. Dans le bouddhisme, le salut doit conduire au nirvana. Le salut, c’est sortir du karma qui est marqué par la réincarnation avec son lot de plusieurs vies et de souffrances. Tout cela tend à prouver, à mesure que la possession du vivre est plus courte, qu’il faut la rendre plus profonde et plus pleine. A l’instar du philosophe Gaston Bachelard, on peut aussi penser que la mort totale et sans trace est la garantie que nous partons tout entier vers l’au-delà. Mais quel au-delà ? Charlotte va-t-elle vraiment vers la lumière comme le pensent certains qui, comme elle sous la terre du bombardement, ont cru mourir lors d’un accident et qui ne sont pas morts ? Y-a-t-il un au-delà d’azur, une immortalité de lait et de miel où planent les esprits, un Eden ressuscité de la Genèse ?

Personne n’est encore revenu de cet au-delà pour nous dire comment il se porte. A cet instant crucial, nous essayons de nous porter tout court, de tenir et penser debout, de faire face à la disparition de la Mère qui nous a bercé, langé et grondé. Et ce n’est déjà pas une mince affaire !! Notre esprit caracole dans ce qu’il croit être le paradis sur Terre. Un enfer très convenable où, ironie de la sacro-sainte dictée ressuscitée par Bernard Pivot,  les ex-institutrices voient voler des fautes d’orthographe et des coquilles jusque sur les épitaphes de leur tombe. Malgré le saint Bernard des dictées de son enfance, Charlotte de l’école Saint Sulpice n’aura pas échappé à la malédiction lapsus linguae des croque-morts incultes de Saint Michel. J’en ris encore... de cet ultime lapsus linguae aujourd’hui rectifié... mais qui doit sans doute persisté dans les quelques « coquilles » inévitables de ce texte qui lui est consacré.

 

Comme mes deux frangins dissidents et iconoclastes qui ne font plus partie de la paroisse Jéhovah, Michel et Bruno, je serre enfin des mains chaleureuses de « témoins » que nous avons perdus de vue depuis plus de trente ans. Jeu cruel d’ombre et de lumière sur la fuite du temps qui passe. Jean S… m’apparaît comme un  jeune vieux rabougri et presque chauve tandis que Jacques P… n’a guère changé, malgré quelques rides en plus et une tignasse toujours fournie mais bien grisonnante. Françoise G... est toute émue de « revoir une partie de sa jeunesse ». Je suis à la fois ému et gêné de les revoir en cette occasion, comme si quelque part ils avaient fait partie de notre famille et de notre jeunesse désormais compromise.

Bien que la plupart ne côtoient plus la moitié de « la tribu » depuis plusieurs décennies, ils semblent nous reconnaître tous, sans hésitation aucune. En dépit des griffes du temps qui ravagent nos visages d’adultes transfigurés par cette mort… Comme si nous les avions quitté hier, comme si nous étions soudain devenus les fleurs et les tiges prolongements de Charlotte désormais au ras des racines de pissenlit. Tu pousseras comme une fleur et grandiras encore à l’ombre du marbre car tu fais partie de « la secte des inhumants », et pas de celle des « incinérés » comme mon pote écrivain Jean-Louis D... parti, sans fleurs ni couronne, quelques mois après toi ; et ton frangin Michel, inconsolable, qui allait te rejoindre… deux ans plus tard dans son urne à Milon-La-Chapelle, en vallée de Chevreuse.

Parmi tous ces témoins d’un passé spirituel commun un rien sectaire, il n’y a, sans doute, guère d’avenir biblique pour « les grands » Michel, Bruno et moi, qui avons pris nos distances comme pour l’instit’ déjà à la retraite, Rino R.. Un fidèle dissident aperçu dans le cortège funèbre avec qui j’échange toujours, de temps à autre, des balles sur un court de tennis à Morsang /s Orge, à quelques kilomètres de toi et qui n’avait pas, lui non plus, coupé tout lien avec Charlotte. De tout ce passé plus ou moins enfoui, il ne reste peut-être que la fuite illusoire à la recherche du temps perdu et de notre adolescence quelque peu embrigadée, studieuse et sportive. J’ignore alors que je m’inscrirais quelques années plus tard au tournoi des vétérans du Club de tennis de Saint Michel sur Orge pour aller – avant ou après mon match - me recueillir sur ta tombe, Charlotte, tout en sachant que tu n’es plus vraiment là pour assister et applaudir à mes exploits sportifs sur les courts. Comme d’ailleurs à mes pélerinages prétextes au cimetière, devant « ta dernière demeure » où tu n’es plus là pour me guider. La preuve, j’ai bien du mal à me repérer dans ce dédale mouvant consacré aux morts et à trouver un (sur)vivant pour me ramener à toi, ou à ce qu’il en reste... d’autant plus que si j’en crois une récente affiche : des vandales iconoclastes s’amusent à voler les fleurs des morts, voire à saccager les tombes. Pas la tienne un peu à l’écart qui réussit à échapper à leurs convoitises. Pour l’instant.

Tout ça me rappelle l’histoire d’un type dont parle Henri Bergson et qui assiste silencieux à un office religieux alors que tout le monde sanglote et se lamente. On lui demande interloqué pourquoi il ne participe pas au rituel collectif et à la compassion de la noble assemblée. Alors, il a cette réplique qui fait mouche et laisse tout le monde bouche bée : « Je ne suis plus de la paroisse ».

Je ne suis plus de la paroisse, de ta paroisse, je vais survivre à cette nuit, j’espère à beaucoup d’autres nuits pour me souvenir… de toi. Sans doute, et je te demande pardon à l’avance, il m’arrivera d’oublier et d’être fasciné par les images de notre temps et par les stances de la vie, de ma vie qui s’écourte, même si tu m’as peut-être programmé pour devenir centenaire... Je ne pourrai pas vivre à chaque instant avec cette mémoire morbide de la fin de celle qui nous a mis au monde, puis bercer et tancer pour l’éternité au rythme de sa jambe de bois. Un jour ou l’autre, le temps passe si vite, j’irai te rejoindre dans ce que, faute de mieux, nous appelons l’éternité. Un éternité de néant, peut-être, même si, bien sûr, tu penses, là ou tu es, sans doute le contraire… Eh bien, je ne serai pas malheureux de partager ce sort avec toi qui m’aimait plus que toi-même et que j’avais le bonheur d’aimer sans toujours oser te le dire en face. Alors, pour cet adieu-là, pour cette dernière rupture, les seules larmes à verser seront des larmes de joie et de sérénité qui feront le deuil du deuil. Comme les derniers mots de cette chanson de Claude Nougaro, qui lui aussi vient de lâcher prise :

« II faut tourner la page

Aborder le rivage

Où rien ne fait semblant

Saluer le mystère

Sourire

Et puis se taire. »

 

10

A-Dieu

A défaut d’une polonaise de Chopin ou d’une valse de Strauss qui aurait rythmé les derniers pas de Charlotte, pianiste amateur à l’oreille presque absolue, j’aurai voulu chanter à tue tête dans ce cimetière venteux pour me persuader que chanter purgeait l’organisme des germes de toutes les maladies, mettait le sang en mouvement et ressuscitait les morts le troisième jour à la manière de Lazare. Mais je restais muet car je chante faux bien entendu, et mon désir demeure rauque et sans voix face à « la grande faucheuse » et à l’ « éternelle infidélité ». Je voulais simplement dire à défaut de le chanter : un mort que j’aime ne sera jamais mort pour moi, car il existe en nous. Pour nous. Je ne peux même pas dire ;  je l’ai aimée, non, je l’aime. Et si je refuse de parler de mon amour pour Charlotte au temps passé, cela veut dire que cette mère qui est morte est. En moi. En nous.

Et d’ailleurs, dans la ville du Mans déjà libérée, tu me racontais que je criais si fort le matin de ma naissance… A tel point que la sage-femme, moderne pythonisse venant de t’accoucher à domicile d’un gros bébé de neuf livres, premier né des vivants d’une longue portée, lança à la cantonade - et devant une noria de « collabos » repentis, quasi inconnus et anonymes penauds venus fleurir par inadvertance mon berceau de rejeton d’un résistant, comme une grosse blague à peine croyable : « Madame, votre garçon est un beau bébé de neuf livres qui a du coffre et de la voix. Eh bien, pas de souci pour lui : au moins, vous pourrez en faire un fort aux Halles… s’il ne fait rien d’autre de sa vie » (sic). On a les vocations qu’on mérite dès les premiers cris pour se prouver qu’on est bien vivant !

Bilan des courses en cette fin de vie où l’on brade les comptes à l’aune des petites histoires de jeunesse et des anedoctes plus ou moins croustillantes de naissance qui m’intéressent que nous, toi et moi. Tu m’as quitté et laissé… sans voix. Je ne suis pas devenu fort aux halles (désormais déplacés à Rungis), mais je suis invité régulièrement dans les vignobles et les meilleurs restaurants de France et de Navarre depuis que j’écris des articles sur la cuisine, le vin, la diététique et la santé gourmande et que je suis payé pour ça et sans doute bon qu’à ça. Je suis devenu fort en plume et bercé désormais par le rythme des mots/maux qui ont remplacé les contes et les histoires que tu nous lisais et inventais.

Quoi, la vie, c’est aussi ça ! Les plaisirs de la table et pas seulement le plaisir/déplaisir de compter « nos morts »... nous, les survivants en relative bonne santé et plutôt bien nantis.

La suite après la fin, comme une séparation dans un film de Sautet. En ce 2 novembre 2000 où tu as disparu sous terre, décidément j’avais tout faux,  et presque tout perdu… Sauf le pouvoir magique des mots qui te donnait un second souffle au détour de ma phrase hallucinée qui cherchait à combler ta béance, le vide de ton absence encore trop présente bien qu’enterrée !  C’est la chance de la lecture de ce récit narcissique d’un deuil presque impossible  : elle dit, au delà de toute destination, le destin même du deuil, c’est-à-dire la dispersion qui vient à la connaissance de soi et se relève de l’anéantissement du néant. Il nous faut faire aujourd’hui le deuil non, seulement d’une mère mais aussi de l’amour qu’elle nous distillait jour après jour. Le nous composé au moins de moi qui écrit et de toi qui lis. La cendre est encore matière, je persiste et signe dans l’humus et parce cela saigne.

A-Dieu, maman : c’est fini, tout recommence, jamais deux sans toi!

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Tango argentin… et maternité!

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Dieu que c’est beau une femme qui danse, et les rondeurs de maternités visibles à l’œil, n’enlèvent rien à la grâce des mouvements et des corps, peut-être même qu’elles rajoutent une sorte de sensualité à la beauté, et l’on va jusqu’à oublier devant les jeux de jambes et les hanches qui bougent, que ces femmes qui dansent le tango comme des amoureuses, sont enceintes de plusieurs mois parfois.

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de Dan Brown

 

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Dan Brown mêle avec brio l’histoire, l’art, les codes et les symboles. En retrouvant ses thèmes favoris, Dan Brown a certainement construit l’un de ses romans les plus stupéfiants, au cœur des grands enjeux de notre époque.

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