Solidarité et Mondialisation
« Vit Local, pense Global » (Slogan du site Med'in Marseille)
« Tous les vingt ans, les jeunesses du monde posent aux vieillards une question à laquelle ils ne savent pas répondre » (Georges Bernanos)
Jadis, il y a moins d'un siècle en fait, la solidarité était avant tout de proximité, familiale,villageoise, tribale, ethnique (comme souvent en Afrique) : l'étranger habitait le village voisin à dix kilomètres à peine et représentait dans l'inconscient collectif l'inconnu, le danger, l'ennemi, l'altérité par excellence. Autrefois, on vivait en autarcie et se mariait entre soi dans la peur de l'autre, la crainte du mélange et la hantise de la différence.
Or, avec le surgissement des concepts post modernes de mondialisation et de globalisation et le flux incessant de « la bombe informatique », le village est devenu aujourd'hui planétaire et la solidarité, concept galvaudé et récupéré par les uns et les autres à droite comme à gauche, s'est élargie et diversifiée à l'autre bout de la terre. Avec le surgissement, par exemple, du commerce équitable qui consiste à payer au juste prix les producteurs du tiers-monde pour qu'ils puissent vivre de leur travail. Au risque parfois de se perdre et voiler son sens premier, a priori humaniste et généreux, et de cultiver un âge d'or où la notion de solidarité n'était pas alors minée par la dureté des temps et les incertitudes d'un monde en convalescence, où les relations paraissaient, à tort ou à raison, différentes, non frelatées et plus humaines. A Tunis, après le changement de régime due à la rue, on a entendu : « Ben Ali est parti avec la caisse mais nous a laissé la solidarité. »
A l'ère de la mondialisation, le capitalisme sous toutes ses formes apparaît comme universel, pas la liberté et la solidarité qui sont souvent un luxe. Nostalgie ou pas, dérision ou pas, la notion-valise de solidarité s'est banalisée, globalisée et mondialisée dans la mesure où en ce début de XXIe siècle tout influe sur tout et rien ne semble susceptible d'entraver l'ascension des grands pays émergents (Chine, Inde, Brésil, etc.) qui incarnent l'avenir et jouent les nouveaux banquiers du monde face à l'Amérique et à l'Europe. Ainsi au nom d'une solidarité pragmatique et de ses intérêts bien compris (trouver des débouchés nouveaux à leurs produits manufacturés qui inondent le monde), la République populaire de Chine se propose d'éponger les déficits vertigineux de la Grèce, de l'Irlande et du Portugal. Ayant saisi que c'est désormais par l'offre qu'on attrape la demande et non l'inverse...
Trois paradigmes se sont succédé depuis la disparition de l'empire soviétique (ex-URSS), qui se sont tous révélés tendancieux et fallacieux. Le triomphe de la démocratie de marché a disparu le 11 septembre 2001 sous les ruines du World Trade Center. Le choc des civilisations est démenti par la dynamique de la mondialisation, qui a résisté au terrible choc de 2008, comme par l'aspiration de nombreux peuples d'Asie et du monde arabe. Enfin, la déclinaison d'un monde bipoliaire opposant Washington à Pékin – alliant l'hypercroissance et totalitarisme – pour le contrôle du capitalisme universel a également long feu, notamment avec la montée en puissance du Brésil et de l'Inde .
Menée par l'Allemagne, l'Union européenne a réussi vaille que vaille à surmonter la crise financière. Mais les dettes de plusieurs pays maintiennent l'embellie fragile et le gros de la crise sociale en Europe reste à venir. Prenant à contre-pied la doxa des statistiques officielles qu'on manipule à loisir selon des impératifs démagogiques et une politique à court et moyen terme, les associations caritatives constatent l'envolée de la pauvreté dans les pays dits civilisés et lancent un cri d'alarme afin d'alerter l'opinion publique et de déranger les égoïsmes au risque de se heurter à des murs d'indifférence .
L'histoire est en effet peuplée de murs destinés à protéger, comme celui de Wall Street. Ce « mur de l'argent » doit son nom à un mur érigé par les premiers colons pour se prémunir des animaux sauvages et des Indiens. La preuve que la mondialisation de l'économie, de la communication et des échanges n'empêche pas l'édification et l'érection de murs qui se métamorphosent inévitablement en prison dans lesquels il devient impossible de distinguer le détenu du gardien. « L'histoire est pleine de murs en ruine ». De la Grande Muraille de Chine (64 000 km) au mur de Berlin en passant par la barrière de sécurité » israélienne, l'érection d'un mur représente toujours un échec politique . Avec le temps, certains deviennent des monuments historiques qu'on visite et mitraille (photos) en famille. Un style artistique a même fini par se créer, le « Border Art » né le long de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique et on continue encore à vendre des morceaux du mur de Berlin tombé début novembre 1989, il y a plus de vingt ans. Tout un symbole !
Pour autant, les murs (de l'anti-solidarité, de l'indifférence et de l'hostilité) ne sont pas passés de mode et plusieurs projets sont en cours. Par exemple, pour séparer le Pakistan de l'Afghanistan, l'Arabie saoudite de l'Irak, et d'autre encore. Selon le géographe Michel Foucher, murs existants et projets en cours totaliseraient 18000 kilomètres, soit dix-huit fois la distance entre Lille et Perpignan. Leur architecture dépend du contexte et de l'environnement. Celui qui sépare le Mexique des Etats-Unis est composé, sur 65 km, de matériaux de la guerre du Golfe de 1991. Au Sahara occidental, c'est un mur de sable de plus de 2000 km qui sépare les indépendantistes du Front Polisario et le Maroc. Le mur qui sépare Israël et la Palestine a coûté 2,5 millions d'euros par kilomètre, la barrière électrifiée dressée au Cachemire, entre l'Inde et le Pakistan, se chiffre à près de 38000 euros le kilomètre. Le manque de solidarité et la peur de l'autre affichent donc aussi leur prix et leurs tarifs élevés alors que la crise a redistribué les facteurs de risque et que l'éditorialiste du « Financial Times » préconise « l'indispensable partage » .
Foin de mondialisation et de solidarité face à la multiplication des murs de l'apartheid, de l'humiliation et des larmes, murs qui sont censés protéger des trafics, du terrorisme et de l'immigration. Car peu importe le coût, la hauteur, la matière : leur existence même se lit et se décrypte comme un appel à la résistance. Près de 400 tunnels relieraient Gaza à l'Egypte et une autre économie parallèle s'organise, voire une solidarité de résistance à l'heure de la mondialisation des moyens de communication et du buzz sur le Web. Solidarité mondialisée des internautes dont ceux qui nous gouvernent doivent tenir compte... Pas seulement du côté de Tunis, d'Alger ou du Caire. Plus que les divers communiqués dérisoires de victoires des belligérants, on remarque au bout du compte une impuissance de « l'emmureur » à maîtriser son avenir, sa peur de l'autre et son obsession d'écarter l'étranger, comme dans les communautés primitives évoquées au début de notre propos.
Au fond, les murs sont avant tout et d'abord dans les têtes alors qu'on nous prêche aujourd'hui la nécessaire solidarité, non plus au nom de la charité chrétienne des « arrières mondes » et de la proximité villageoise ou/et de sang, mais de nos intérêts mondialisés bien compris et de la real-politik. Avec en prime quelques actifs toxiques et la perversion qui tend, sans scrupule et mauvaise conscience, à traiter l'autre en objet marchand.
CD
- Le concept d'ostalgie cherche ainsi à caractériser et à conceptualiser l'état d'esprit de la majorité des Allemands de l'Est après la chute du Mur en novembre 1989 et consistant dans le sentiment vrai/faux ou faux/vrai que c'était mieux du temps de l'existence de l'Allemagne de l'Est dans la mesure où la solidarité était plus prégnante et ne passait pas seulement par le flux de milliards d'euros symbolisé par le mur de l'argent et de la finance ouest allemand.