Hommes, si vous nous faisiez un peu de place...?
Ne pas se lever.
Rester sous sa couette et dans l'ombre des draps ne plus entendre les cris et les fracas d'un monde assourdissant, versatile, préhistorique et masculin. Cruel. Un monde où la douceur et la réalité des femmes a peu d'existence possible.
Je n'imaginais pas moi qui revendiquais ma féminité comme un exutoire à vos combats, le repos du guerrier en somme, convaincue de la nécessité des rôles, de nos rôles, de notre statut de femme compensatrice et gardienne du foyer, l'impossibilité dans laquelle vous êtes d'évoluer, de comprendre, de vous déceler du sol et de toucher au ciel.
Comment est-ce possible cette inadéquation ?
Le monde des hommes est versatile. Il caquette et tournitricote de la langue et des ondes en un bégaiement incohérent : Sarkozy à genoux, la gauche qui fait deal, les syndicats qui grincent, Zemmour et Naulleau, Obama et des seins d'égéries affichés entre un poing à la rose, une voiture, une pizza et des îles bleues à rêver autrement.
Retraites ou chômage les hommes ont des idées sur tout, persuadés de savoir et d'avoir le droit, l'autorité de dire, toujours dans cette enfance dépendante du regard maternel « Maman regarde je saute sur un pied, regarde maman je sais faire ! » sans conscience qu'ils sonnent le tocsin alors que le feu a déjà tout dévoré ; qu'il ne leur reste du festin que les reliefs d'un repas que les marionnettistes, les ogres d'aujourd'hui, leur ont abandonnés.
Des miettes.
Seulement des miettes que Morgane a saupoudrées de paillettes et que des étincelles plein les yeux, vous regardez comme le Graal.
Ne pas se lever. Rester sous sa couette. Ne plus bouger. Ne pas vous voir souffrir, dans un an, dans mille ans, aujourd'hui, lorsque bafoués et incompris, vous jetterez l'éponge et rentrerez, las et désabusés. Meurtris.
Ne plus entendre que le cri des corneilles sur les champs labourés et le bruit des hautes machines creusant les sillons dans le coucher du soleil. Dans l'ombre tiède des draps, seulement imaginer l'eau mauve du Lac de St Croix, les garrigues qui griffent les jambes, les Alpes de haute Provence lorsque des pluies de mousson inondent les terres sèches, brisant les tournesols, les maïs et les blés, et qu'elles ont alors des allures de tropiques.
Ne pas vous voir tomber. Ni vous quereller, ni batailler pour de vaines victoires.
Je veux m'asseoir dans la prairie à l'instant où le plus ténu des éléments, la plus infime des particules, soustraite encore à la dilatation reste suspendue.
Je veux, païenne, guetter les premières lueurs, attentive à ce soleil qui pourrait ne pas apparaître.
Je veux, allongée dans l'herbe sèche et entre mes yeux mi-clos, regarder le soleil former des lignes que seule la trace de papillons amoureux casse par endroits. C'est beau et si harmonieux cette danse nuptiale des insectes en plein vol que j'ai toujours la volonté enfantine d'en fixer la beauté, mais je ne veux plus, les femmes ne veulent plus de vos cris et de vos fureurs, de vos tempêtes.
Elles veulent l'effervescence de tous les matins d'un monde qu'elles préservent à l'instinct, tandis que vous guerroyez, tuez, lapidez, mourez parfois.
Oh temps freine ta course. Que ton bruit un instant suspendu telle l'image arrêtée sur l'écran, disparaisse, et qu'on n'entende plus dans l'odeur accoutumée de la terre, que le bruissement des guêpes s'enfonçant dans les fruits par manque d'humidité, le vagissement des bébés s'arrachant du ventre des femmes, le crissement ailé des insectes, l'effleurement léger des baisers sur les bouches ...
J'aurais pu dire, je voudrais et au lieu de "je veux" j'aimerais, puis en forme de supplique presque vous implorer d'entendre et comprendre, mais à moins d'une fin de monde qui vous redonnerait de puissants instincts protecteurs, l'équilibre entre vous et nous reste à définir et notre meilleur des mondes encore à construire...